vendredi 7 juillet 2023

Pousser les portes du devoir (Un chemin étroit avec Gide) 15

 



Vierge voilée de Giovanni Strazza (XIXème sicèle)

(Photographie glanée ici : Livingstone)


« Parfois je me disais que la volupté viendrait à bout de ma peine, et je cherchais dans l’épuisement de la chair une libération de l’esprit. » André Gide, Les nourritures terrestres


La peine est une errance.

Un vide à combler qui se fait tonneau des Danaïdes.

Qui ne se remplit jamais.

Plaisir et joie fuient par les trous de l’existence.

Puis te laissent en cale sèche, un peu hagard, un peu perdu.


La peine est une errance.

Un pousse à volupté introuvable.

C’est une soif insatiable, une faim impossible à rassasier.

La volupté s’y niche tissant les rêves qui demeurent et s’envolent.


La peine est une geôle.

Le chagrin ses barreaux.

La soif de volupté leurre d’évasion.


Mais qui suis-je à suivre Gide sur les pas de la volupté, à l’heure où des centaines de linceuls se déposent sur les rives de mon enfance ?

Ce qui m’épuise l’esprit ne relève point de l’épuisement de la chair.

Chair réduite à devenir menu des poissons carnivores pour tant et tant de pauvres gens.


Moi, sur cette rive nantie du monde, je rêve de volupté et liberté pour tous.

Moi, qui écris ces mots trempés dans le sang des réfugiés, je n’ai qu’une soif : distribuer douceur et tendresse à profusion dans un monde débarrassé de la souillure de ses peurs.

De la souillure de ses replis frileux derrière des barrières, des murs, des barbelés, des vigiles sans états d’âme.

A rêver de volupté en monde criminel, je me souille moi-même.


Y aurait-il orage assez puissant pour laver cette souillure ?

Y aurait-il esprit libre possible en corps contraint ?

Où commencent les contraintes ?

De quelles tenailles user pour en rompre les barrières ?


Je ne sais vivre apaisé en monde qui nourrit tant de tragédies.

Je ne sais me livrer comme Gide, à « l’épuisement de la chair » en pays ravagé de sinistres appétits.

Je ne sais vivre sans peine.

Je ne sais.


J’étale mon journal qui affiche les derniers morts au large de la Grèce.

Tu regardes d’un air distrait puis passe à autre chose.

Moi, j’attaque ma journée avec le poids de cette macabre information.

Quand donc s’arrêtera l’indifférence ?


Les chairs publicitaires s’étalent partout au nom d’une volupté commerciale.

Impossible d’échapper à ces manoeuvres de diversion.

Certains comptent leurs pas, tâtent leur pouls, calculent leurs heures de sommeil.

D’autres confient à leur montre connectée le soin de surveiller leurs constantes.

Aucun ne s’arrête pour protester.

La volupté commerciale tue la liberté de l’esprit.



Xavier Lainé

15 juin 2023


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