mardi 28 février 2023

Homme (ou femme) mais humains (peut-être) 9

 



XL - Enigmatiques assises 1



L’Homme de février, depuis son nid, observait le balancement doux des branches du noisetier.

Le ciel ne savait ce qu’il devait faire, entre le gris nécessaire et le bleu qui enchante les inconscients.


L’Homme de février tournait les pages d’un livre.

Il rêvait de rester là, de se nicher entre les pages, au coeur tendre des mots, juste pour oublier son incompréhension tenace du monde et des humains.

Chaque page lui montrait un chemin de beauté.

Mais lorsqu’il sortait…


Certes l’Homme de février savait que le beau demeure parfois étrangement invisible aux yeux qui ne veulent s’en éprendre.

« Le beau, c’est comme l’amour », se disait-il en secouant la tête, « on ne sait jamais vraiment où le trouver. »

Sauf que parfois le beau et l’amour venaient sur la branche, devant ses yeux.

Une larme de tendresse lui montait alors aux yeux.


(9 février 2023 — 1 — 14h36)


Xavier Lainé


lundi 27 février 2023

Homme (ou femme) mais humains (peut-être) 8

 



XL - Enigmatiques assises 1


L’Homme de février perçoit le monde au prisme des médias.

Ce qu’il entend le laisse pantois.

Y aurait-il un humain sur cette planète ?

On parle d’atrocités comme si elles allaient d’elles-mêmes.

On parle de guerre, de misère, de viols et de tortures sans état d’âme particulier.

L’humain réduit à sa bestialité.

Voilà ce qui parvient aux oreilles de l’Homme de février.

Il commence sa journée avec la nausée.


(8 février 2023 — 1 — 8h05)


*


Mais décidément février est un mois de surprise.

Un jour au printemps, le lendemain en hiver.

Le climat est en mode gouvernemental : il ne fait que souffler chaud puis froid, histoire de nous perdre un peu plus.

Mais qu’il se perde avec nous ne semble pas inquiéter grand monde.

On se satisfait d’un temps clément et de l’absence de pluie.

Qui rit l’hiver pleurera en été.

Car c’est la soif qui nous guette, tapie dans l’ombre de la clémence.


L’Homme de février tente encore de tirer le signal d’alarme.

Il semble bien que ce soit sans succès.


(8 février 2023 — 2 — 9h00)


Xavier Lainé




dimanche 26 février 2023

Homme (ou femme) mais humains (peut-être) 7

 



XL - Enigmatiques assises 1



L’Homme de février traversait sa ville quasiment déserte.

Nombre de vitrines n’affichaient plus rien derrière rideaux baissés.

Mais l’édile en chef était ravi de la « reprise économique ».


Tandis qu’on se pressait aux portes des super marchés « discount », les rues étaient jalonnées de mains tremblantes attendant maigres oboles.


C’est le coeur serré que l’Homme de février cherchait en vain dans les médias « main stream » quelqu’un qui parle des milliers de morts turcs et syriens.

En vain il cherchait quelqu’information sérieuse sur les mouvements sociaux à la colère croissante.

Un édile national avait sans doute graissé la patte aux détenteurs d’information pour qu’ils ne disent rien.


Des milliers de morts ici, d’autres milliers dans les rues criant leur soif de vivre, mais rien ne filtre.

Motus et bouche cousue.


Il parait que nous sommes encore en démocratie.

Mais en fait le mot a été changé, le pouvoir du peuple a été travesti, sans doute par un étrange carnaval.

La démocrature, ce panaché inventé en Turquie, lentement ronge toutes les sociétés, toutes les « nations », tous les pays.

Pour le plus grand bonheur des oligarques qui encaissent des milliards de dividendes sur le dos des « riens » qui « osent » manifester.


L’Homme de février finissait sa journée épuisé et écoeuré.

Il n’était même pas nécessaire de changer la loi pour qu’il ne puisse prendre retraite bien méritée avant ses soixante et huit ans…

Il savait devoir oeuvrer encore au moins dix ans pour combler les charges en cours, résultat d’une vie biscornue.

Car seuls les nantis peuvent revendiquer la vie droite.

Les autres font ce qu’ils peuvent entre deux fracas.


(7 février 2023 — 1 — 20h09)


*


L’entraide et le soucis de l’autre, passés à la trappe des égoïsmes.

L’exemple même d’un monde dont l’humanité déserte.


Quelques voyous passent.

Ils fracassent trois boites aux lettres.

Le voisin prend un air désolé.

En bougonnant il change la sienne.

Mais celle de son voisin du dessus, malade, reste fracassée au sol.


Egoïsme quand tu nous tient…


(7 février 2023 —2 — 21h17)


Xavier Lainé


Homme (ou femme) mais humains (peut-être) 6

 



XL - Enigmatiques assises 1


L’Homme de février n’avait pas attendu que retraite soit réformée pour ne pas pouvoir la prendre.

L’âge aidant, il ne perdait cependant pas son sens de l’humour grinçant.

Aussi à la veille des grands défilés, il lui venait à l’esprit de voir tout un peuple danser et chanter en conjurant le triste sort que réservaient les élites aux manants de son espèce.

Il se mettait donc à écrire une petite chanson qui pourrait se danser et se chanter en traversant villes et villages :


Viatique contre une réforme

(Sur l'air de "Il était une fermière")


Il était une réforme

Qui voulait nous plumer

Elle portait dans sa tête

Tout c'qu'il faut pour crever


La Borne disait

"Rouli-Roula"

Nous on disait

"On n'veut pas d'ça"


STOP


Trois pas en avant

Trois pas en arrière

Trois pas sur un côté

Trois pas de l'autre côté


(Reprise ad libitum)


(6 février 2023 —1 — 8h44)


Xavier Lainé


vendredi 24 février 2023

Homme (ou femme) mais humains (peut-être) 5

 



XL - Enigmatiques assises 1


Il fallait à l’Homme (ou à la Femme) de février beaucoup de patience.

C’est justement elle qui parfois se dérobait sous ses pas.

Alors, ielle allait, un peu bancal(e), boitillant sous le roulement de tambour de la pensée unique, inique.

Ielle en voyait allant se réjouissant de certaines maigres victoires.

Aussitôt ses yeux s’élevaient et distinguaient les masses noires et orageuses qui couvraient l’horizon.

Ielle sentait plus qu’iellle ne voyait.

Ielle sentait ce porte-à-faux qui plongeait ses semblables dans une errance bizarre.

« Vivre, cependant vivre », se disait-ielle.

Mais ielle ne savait plus très bien, ayant avalé toutes les couleuvres du siècle, ce que vivre aurait pu signifier.

Rien de ce qu’ielle lisait lui permettait de mieux comprendre.

Mais peut-être la connaissance, au fond, n’était pas dans les livres, mais dans leur confrontation à ce réel ressenti.


(5 février 2023 — 1 — 7h41)


*


L’Homme de février suivait la piste vers le ciel.

Le sentier parfois s’enfonçait dans la boue du siècle.

Puis, une fois franchies les ornières, les pierres du sentier roulaient sous son pas mal assuré.

Un crépuscule écarlate dardait ses ultimes rayons entre les branches nues de l’hiver.

Au loin les cimes trahissaient un réchauffement dont bien peu semblaient se soucier.

Une pleine lune esquissa un sourire avant de se voiler la face.


(5 février 2023 — 2 — 21h11)


Xavier Lainé


jeudi 23 février 2023

Homme (ou femme) mais humains (peut-être) 4

 



XL - Enigmatiques assises 1



L’Homme de février a de la mémoire.

Il ne cesse de la cultiver pour ne pas sombrer sous les immondices informationnels.

Il sait avoir besoin de prendre de la hauteur pour mieux écouter le monde qui l’entoure.

C’est parfois d’ailleurs une bonne raison de désespérer.

Il voudrait tant savoir ouvrir la mémoire et la culture des autres.

Pas pour qu’ils le suivent mais pour qu’ils se retrouvent.

Qu’ils découvrent que pour faire humanité, demeurer seul dans son canapé devant les médias vendus est un acte sans avenir.


L’Homme de février reprend les vers de Maïakovski :

« Ça ose s’appeler poète

Et carcailler tout gris comme une caille !

De nos jours

Il faut

Muni d’un casse-tête

Fendre le crâne du monde⁠1 ! »

Il se rappelle Maïakovski et son désespoir final.

Il voit bien qu’à trop attendre des autres (de ceux qui prétendent diriger, ou « éclairer » s’entend), tôt ou tard les espérances plongent sous le joug des dominations.


L’Homme de février appelle de ses voeux le retour d’une espérance collective.

Il souhaite la résurgence des « communs », ce qui nous rend humains, toujours plus, sans que nul ne dirige nos pas.


L’Homme de février parfois plonge lui aussi, parce qu’il sait préserver en lui-même cette flamme vacillante.


(4 février 2023 — 1 — 21h36)


Xavier Lainé



1 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, éditions Le Temps des Cerises, 1997

mercredi 22 février 2023

Homme (ou femme) mais humains (peut-être) 3

 



XL - Enigmatiques assises 1



L’Homme de février ne cesse de donner de sa personne.

Parfois son don donne libre cour à une bouffée d’amour.

Mais plus souvent en terre sèche, il reste sur le bord du chemin, épuisé et hagard.


« Nous vivons un drôle de temps, une drôle d’époque », marmonne-t-il au crépuscule d’une journée bien remplie.

« Une époque où plus tu donnes et moins tu es rémunéré pour ton art. »

« Une époque où à donner de ton temps et de ton énergie, tu passes pour un intrus parmi les inhumains. »


C’est difficile à comprendre le geste de se donner sans compter.

D’autant plus difficile à comprendre qu’on vit dans l’attente de récompenses.

Or, l’Homme de février, ayant appris à ne rien attendre, se contente de donner.

Puis il rentre en sa demeure de silence et de solitude.

C’est d’ici qu’il contemple la dérive du monde prétendu civilisé.


C’est un signe de ne pas savoir comment prendre un retour d’amour.

On ne donne pas pour ça, on ne donne pas pour un salaire, on donne par soif de venir en aide.

Par soif de créer de l’humain et de le perfectionner sans cesse.


L’Homme de février parfois s’en va solitaire.

Il écoute l’écho de la fureur du monde.

Il mesure le fossé qui le sépare de ce monde qui court à sa perte sans un regard.

Il saigne, au fond de lui, de ne pouvoir porter secours à la foule hagarde et épuisée qui ne pousse même plus un cri, ne verse plus une larme.


(3 février 2023 — 1 — 21h19)


Xavier Lainé


mardi 21 février 2023

Homme (ou femme) mais humains (peut-être) 2

 



XL - Enigmatiques assises 1


L’Homme de février travaille au bureau.

Mais le bureau n’en est plus un, mais un « pool ».

Pour la convivialité qu’ils disent.

Avec ses box dans un style d’aquarium pour les entretiens « confidentiels ».


L’Homme de février ne quitte pas des yeux son écran, entre deux cloisons à mi-hauteur.

Officiellement c’est une question de « relations humaines ».

En fait, c’est plus une notion de surveillance étroite de ses faits et gestes.


L’Homme de février, rentré chez lui, n’en peut plus.

Alors il se vautre devant n’importe quelle chaine télé.

Il avale à n’en plus finir les « amusements » et les « informations ».

Tronquées, les informations, pour qu’il ne réfléchisse pas trop.


(2 février 2023 —1 — 8h48)


 *


La Femme de février travaille.

Quand elle trouve du travail, c’est toujours moins bien payé que pour l’Homme de février.

La Femme de février n’a rien d’autre qui la distingue de l’Homme de février que son sexe.

Mais bien sur, dans un monde dirigé par les hommes elle se sent toujours regardée de haut, jugée non sur ses capacités et ses connaissances mais sur des appâts qui n’ont rien à voir avec ses diplômes.

Ce qui se joue entre la Femme et l’Homme de février ne prend pas sa source dans leurs différences biologiques.

Ce qui se joue c’est qu’à l’un, pour son sexe, on donne le pouvoir de dominer, tandis que l’autre devrait se soumettre.

Ce qui se joue là est l’essence même du monde capitaliste : on joue sur des différences pour mieux écraser les uns en glorifiant les autres.

Les mérites n’ont pas grand rôle dans ce jeu de dupes.

Ils permettent seulement de jouer sur les mots et de maintenir un système où les dominants dominent tandis que les « riens » doivent se taire.

Et bosser le plus longtemps possible quand par chance « en traversant la rue », ils rencontrent enfin un travail.


La Femme de février ne fait pas que le travail commandé ou recommandé.

L’Homme de février étant éduqué dans le fil des dominations, il oblige la Femme de février à faire double ou triple journée.

Cette relation est un tue-l’amour.

L’une reproche à l’un ce qu’il est en vertu d’une éducation machiste, l’autre reproche à l’une d’être ce qu’elle est lorsqu’enfin elle se rebiffe.

Domination, domination vous dis-je.


L’Homme et la Femme de février finissent bien souvent seul(e)s à grelotter lorsque leur vie s’est éclatée contre le mur du conformisme.

Le gouffre ouvert par l’esprit du système les broie avec volupté.

Car le système des dominations est aussi celui des négations.

La vie ne vaut rien au regard des porte-feuilles à remplir.


(2 février 2023 — 2 — 15h02)


Xavier Lainé


lundi 20 février 2023

Homme (ou femme) mais humains (peut-être) 1

 


XL - Enigmatiques assises 1


L’humain⁠1 de février arpentait les rues et parlait.

Il disait toute l’amertume d’oeuvrer à la fonction commune mais sans retour gratifiant.

Il criait sa douleur de devoir vivre chichement en travaillant tellement qu’il ne sentait plus son corps au crépuscule.

Il sentait d’ailleurs ce crépuscule le saisir dans ses froides tenailles.


L’humain de février par lassitude s’asseyait sur le pavé gelé.

Il tendait une main tremblante aux passants indifférents.

Il dormait comme il pouvait, où il pouvait.

Il ne croyait ni en Dieu ni en diable mais chaque soir sous un porche, il priait pour être encore en vie le lendemain matin.

Car Février avait sorti ses griffes et ses gelées mordantes.

Il est tellement naturel, ce froid hiver.

Il est tellement moins naturel que dans un pays prétendu riche, des hommes et des femmes de février grelottent sous les porches.

Il est tellement moins naturel que d’autres passent, leur panier à provision à bout de bras et feignent l’indifférence devant les mains tremblantes.


L’humain de février rejoignait ses ami(e)s sur les boulevards.

Une banderole lui tenait la tête haute.

Il n’était donc pas si seul, l’humain de février.

D’autres, s’ils ne grelotaient pas encore dans la rue, tremblaient d’effroi devant la chute brutale, non du thermomètre mais de leur capacité à payer ce qu’ils doivent.

C’est un miracle des siècles d’injustice que de devoir d’autant plus que vous gagnez moins.

Et certains, inhumains passant devant l’humain de février ironisaient sur cette chute mortelle d’un piédestal social si souvent branlant.


L’humain de février ouvrait les yeux aux aurores, heureux d’être encore vivant.

(1er février 2023 — 1 — 6h46)


*


L’homme comme la femme de février, outre greloter et contempler son panier à provision qui s’amenuise, doit affronter le mépris de classe d’un monarque qu’il a laissé élire par dépit.

Il faut reconnaître à l’homme comme à la femme de février qu’en l’espace de cinquante années, peu de choses ont été faites pour leur faciliter la vie.

Au contraire même, on dirait qu’il y a, de la part des monarques successifs, un savant plaisir à compliquer la vie de ceux qu’ils considèrent de haut, comme n’étant rien ou pas grand chose.

Il va de soi qu’en cinquante années de turpitudes et de déceptions, la tendance au repli et l’isolement protecteur est un réflexe compréhensible.


L’humain de février donc, a appris depuis fort longtemps et à ses dépends qu’il n’a rien à attendre de personne et surtout pas d’un Etat au service des inhumains qui se l’accaparent.


(1er février 2023 — 2 — 9h17)


Xavier Lainé



1 J’avais écrit « l’homme », mais alors pour satisfaire aux couleurs du temps, il m’aurait fallu, pour ne pas être accusé de sexisme, ajouter « ou (et) la femme ».

J’ai hésité, procrastiné, puis j’ai changé pour mettre « l’humain » à la place de tous les genres.

Mais peut-être viendra-t-on me reprocher de ce masculin du genre humain que je n’arrive pas à contourner.

Me faudra-t-il ajouter « les humaines », pour satisfaire à la platitude de l’extinction des genres ?

Je ne sais pas. Je suis d’accord avec l’idée de ne pas privilégier un genre sur un autre, mais la langue me joue des tours.

Alors peut-être me faudra-t-il un jour m’abstenir d’écrire pour ne pas qu’ »iels » me tombent dessus ?

dimanche 19 février 2023

Α-σώματος/In-corporel ? 31

 



XL-In-corporel-Fusain/2001



Le temps est passé de se plaindre.

Douleurs du corps et de l’esprit solidaires, c’est l’heure d’agir.

Ne plus s’en laisser compter ni dompter.

Aller d’un bon pas où nos pensées nous mènent : à l’opposé d’un camp qui prend des allures de fossoyeur.

Dresser des cloisons étanches autour de ces esprits mercantiles.

Ouvrir les portes à la vie dans toute ses subtilités.

Bien sur permettre aux plus meurtris de prendre refuge dans une oisiveté chèrement conquise.

Enseigner partout l’art du partage et de la mise en commun des savoirs et des pouvoirs.


Le temps est passé de se plaindre.

Trop longtemps nous avons attendu un hypothétique « grand soir ».

Fort de l’expérience de son impossible advenue, il nous reste à construire sans délais.

Construire les notions qui nous rassurent et nous rendent solidaires.

Construire un monde où le commun passe avant nos ego étriqués et solitaires.


Le temps est passé de rester devant les portes fermées.

Le temps est venu de bousculer les barrières d’indifférences hostiles.

Nous sommes, jeunes et vieux, le ferment d’un avenir heureux.


(31 janvier 2023 —1 — 14h07)


Xavier Lainé


samedi 18 février 2023

Α-σώματος/In-corporel ? 30

 



XL-In-corporel-Fusain/2001



« La souffrance, qu’elle soit celle d’un être humain ou de la terre elle-même, doit être traduite en mots de révolte, de repentir ou de prière⁠1. »


Il faut bien que corps s’exprime.

C’est souvent par la voix, la parole.

Mais bien avant, son langage reste mystérieux.

Nous savons mais n’en disons rien.

Nous nous « adaptons », même au pire qui avance masqué.

C’est tout l’art : ignorer ce que corps dit, rendre sourd à son expression.

Comme la bonne gouvernance doit rester sourde aux cris.

Aux cris de révolte et d’insoumission, on oppose grenades et fumées.

On blesse les corps révoltés, on les éborgne, on les mutile.


Il faut bien que corps s’exprime.

Que ce soit en larmes silencieuses, ou en grommellements à peine audibles.

Les corps disent, mais, chut, il ne faut rien en dire.

Juste les soigner assez pour qu’ils retournent à leurs bourreaux.

Travaille et ferme-là !

Travaille toujours, toujours plus, plus longtemps et ne proteste pas.

Sauf que corps eux, protestent, parfois en longues maladies.

Mais on vous dit que ça coute un « pognon de dingue », tous ces « riens » !

Riens qui doivent avancer courbés devant les caisses automatiques.

Riens qui ne sont bon qu’à remplir le caddie du samedi.

Remplir leur organisme fatigué de produits frelatés.


Il faut bien que corps protestent.

Puisque toute tentative d’en dire quelque chose est vouée au silence.

Chut ! On vous dit : ce qui vient devant vous ne doit pas sortir au grand jour !

Vous êtes les dépositaires de la souffrance du monde et vous devez vous taire !


N’en rien dire qui serait trahison d’un secret.

N’en rien dire qui soit révélateur des causes de malaises.

Le silence est imposé pour que les yeux jamais ne s’ouvrent.


(30 janvier 2023 — 1 — 7h20)


*


Et pourtant l’usure.

Usure de qui a commencé tôt.

Usure des métiers de force.

Usure de l’’exploitation pour une vie sans.

Une vie sans vacance et sans sortie.

Une vie qui n’en est une que pour être encore vivant.

Une vie passée sous les fourches de qui vous exploite et vous tond.


Ce fut dit : ceci n’est rien aux yeux des dominants.

Rien regardés avec mépris de classe du haut d’un perchoir politique.


Et pourtant l’usure et la fatigue d’exister.

Et ce peu d’espoir qui reste une fois pansées les plaies.


(Lundi 30 janvier — 2 — 17h49)


Xavier Lainé



1 Alberto Manguel, De la curiosité, éditions Actes Sud, 2015