mardi 31 mars 2020

Jour 12 : voir clair depuis les confins



Longtemps j’ai cru que l’essentiel se trouvait au centre de la scène et non sur les côtés.
Sans doute un héritage d’un enseignement de l’histoire qui donnait place aux « grands hommes » et jamais aux petits.
Réfléchir depuis les confins où nous nous trouvons enfermés permet d’y voir plus clair.

Car ce que nous montre un pouvoir bien au centre des choses mais coupés des riens confinés, c’est l’image pitoyable d’un nombre incalculable de décisions contradictoires, d’une vision bien éloignée de la réalité que nous vivons, même cloisonnés dans nos confins.
Des bouches s’ouvrent, elles en ont enfin le temps.
Elles disent l’incroyable incohérence des gens de pouvoir lorsqu’il deviennent sourds et ignorants des confins.
Mais ils nous y enferment quand même.

Avec cette distance imposée, cette agitation sur le devant de la scène paraît si peu réaliste.
L’urgence, nous le savons, nécessite de demeurer calme pour ne pas prendre les mauvaises décisions.
On nous a tellement affirmé que ce monde allait nous assurer une sécurité absolue !
Voyons donc ce qu’il en reste, une fois nos yeux décillés.

“Si l’on nous demandait le bienfait le plus précieux de la maison, nous dirions : la maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix.”
Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace (1957)

Xavier Lainé
27 mars 2020

samedi 28 mars 2020

Jour 11 : théorie des confins


Je sais, c'est difficile de prendre de la hauteur quand on te maintient dans les confins d'un monde dont on te refuse les clefs. Difficile de rester maître en sa demeure quand au dehors les vents mauvais des décisions totalitaires souffle à bas bruit sous le tonnerre des épidémies. Difficile de raisonner, de penser, de ne pas se laisser engloutir dans le flot insupportable des injonctions paradoxales. Mais, au fond, bien peu de différence avec l'ordinaire, sinon l'agitation en moins, donc l'impression d'être coupé du troupeau.
Car on nous l’a bien dit : il y a ceux qui s’en sortent, qui réussissent, et les riens, ceux qui vivent dans les confins d’un monde réservé aux premiers.
Pour qui a pu voir la série « Trepalium », sur Arte, il y a quelques temps, on s’en approche.

Nous confiner, c’est nous maintenir dans les marges, les mangroves, les haies tandis qu’en plein champ l’économique bat son plein d’effondrements.
C’est nous maintenir en un lieu qui nous est propre (au sens de ne pas être contaminé) pour que nous n’allions pas infester l’autre partie du monde, celle des décideurs, des « premiers de cordée ».
Tandis que nous nous disputons sur notre sort, râlons de ne plus avoir de revenus, nous traitons d’imbéciles à tout va dès lors que l’un seulement émet réflexions contraires à la parole divine, les plantes de plein champ, les belles plantes engraissées aux OGM de la bouffissure et de la suffisance financière préparent la régression à leur seul profit.

On s’extasie devant le ciel redevenu bleu, sans la moindre trace de passage des avions, mais on contraint, sans égard pour les risques de leur contamination, les ouvriers d’Airbus à travailler (on leur imposera même 60 heures hebdomadaires sans état d’âme).
On a le sens des symboles, en pays confiné !
On ne trouve plus de médecins, de dentistes, de kinésithérapeutes, en pays confiné. Ils ont tous du fermer pour ne pas répandre le virus, tandis qu’on invite les salariés de chez Renault à poursuivre leur travail malgré les contaminations et les morts, au nom de la relance de l’économie.
Mais on trouve formidable que, dans des villes enfin débarrassées de leur flot de véhicule, oiseaux et nature reprennent leurs droits dans une atmosphère respirable !

Nous voici devant ces archipels de contradictions propres aux temps troubles.
Du chaos finit toujours par jaillir une nouvelle organisation !
En nous rejetant aux confins, on nous invite à la distance.
Celle-ci ne peut que nous être salutaire, si nous savons ne pas plonger dans les frénésies pré-apocalyptique de l’ébranlement collectif.
Et construire la pensée en archipels chère à Edouard Glissant.
Des confins venaient les esclaves qui nous ont donné poésies, littératures, musiques renversantes et créolisation de nos vies.
Entre les confins, les fils se tendent qui nous relient.

Ce serait comme mains tendues de fenêtres à fenêtres, balcons à balcons.
Ce serait cet archipel de mots qui nous font encore vivants, en souffrance parfois, mais toujours et encore vibrant de ce souffle capable de plus grandes beautés, comme des plus viles horreurs.
Libre à nous de voguer d’archipels en archipels, construisant les solidarités immuables qui nous fondent.
Ne vivre dans aucun reproche d’être et de décision.
Juste amorcer la lente progression vers un autre jour, moins gris, plus radieux.
Observer des confins la nullité de ceux qui occupent le centre, la vanité sans fondement de leurs discours, et faire mûrir nos mots et solutions dans la pénombre de nos demeures.

J’ai besoin de définir ce que pourrait être ces confins où l’on m’enferme.
Je ne sais que constater qu’ils n’ont guère changé.
Entre avant et maintenant, la seule différence réside dans le fait que nous y soyons confinés.
Avant, on pouvait en sortir dans de belles manifestations.
Les confins sortaient de leur réserve et envahissaient brutalement tout l’espace.
Ceux qui pensaient en être les propriétaires se trouvaient donc confinés en leurs palais, leurs ministères, leurs aires de jeu médiatiques.
Comme si leur pouvoir tout à coup se trouvait isolé, incapable de continuer à contaminer les esprits devenus rebelles.
Le rien devenait tout, ou presque, tandis que ceux qui se pensaient tout, se mettaient à avoir peur.
Les digues étaient rompues et la peur, justement, avait changé de camp.
Que survienne le risque pandémique relève de la bonne aubaine pour rétablir la politique des confins.
Retour à la norme, à la rigueur d’une vie contrôlée, dans les marges d’un Etat confisqué.

Les confins sont lieu d’où nul ne sort s’il n’a fortune et relations.
Les confins sont zone de non droit, de violence habituelle, de survie assurée. On ne vit pas dans les confins, on s’y confine, on s’y calfeutre, on y cherche l’oubli, loin du monde télévisuel du loisir et de la fortune.
Des confins, nul ne parle, on vous dit seulement de vous y confiner.
Vous aurez beau soupirer, vous révolter, vomir sur les pelouses du centre qui vous sont interdites, les confins sont une patrie sans frontière, on y côtoie les exclus en tous genres, on y crée un monde qui vibre à l’opposé de l’autre.
Les confins sont tranchée et barbelés dans la guerre que les plus fortunés mènent aux plus déshérités.

“ – C’est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c’est l’honnêteté
– Qu’est-ce que c’est l’honnêteté ? dit Rambert, d’un air soudain sérieux.
 – Je ne sais pas ce qu’elle est en général. Mais dans mon cas, je sais qu’elle consiste à faire mon métier”
 La Peste, Albert Camus

Xavier Lainé
26 mars 2020

mardi 24 mars 2020

Jour 8 : Du confinement comme double peine


“Souffrir de la solitude est mauvais signe ; je n’ai jamais souffert que de la multitude.”
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (1881)

Or justement c’est de solitude dont nous souffrons le plus.
Isolés face à un système qui nous aime seuls.
Isolés sous le joug de destruction de tout ce qui pouvait encore nous lier et qu’on nomme « protection sociale ».
Isolés c’est à dire mis en incapacité de protéger collectivement nos vies des prédateurs du système.
Ceux qui royalement offrent quelques milliers de masques quand ils se dérobent à leur premier devoir collectif : celui de payer les impôts dus pour que « collectivité »  puisse vivre.
Symbolique confinement qui n’est que l’achèvement d’une oeuvre de destruction de la vie, ou dans un premier temps de sa mise en péril.
Innombrables suicidés sur l’autel de la rentabilité au travail.
Innombrables morts fuyant la barbarie sanglante des dogmes religieux qui ne sont que la face B d’une pièce dont les profits dispendieux frisent au grotesque.
Innombrables sacrifiés vivant dans la dépendance de pouvoirs choisis par défaut, par corruption des esprits.
Innombrables dépendants ne sachant par eux-mêmes diriger des vies détruites à la dignité évaporée.
Terre, terre révoltée d’avoir donné le jour à une espèce dont les soit-disant élites ne vivent que pour elles-mêmes, ne réfléchissent qu’à leur propre sauvetage en isolant encore plus celles et ceux qui, hier encore, en couleurs d’arc-en-ciel, leur faisaient ombrage par la force de leur protestation.
Il faudra qu’on s’en souvienne, qu’on se rappelle le goût de la matraque et des LBD, des visages tuméfiés, des yeux arrachés, des mains amputées.
Il faudra qu’on s’en souvienne, de cette irruption du collectif, là où l’élite déchue de notre espèce nous voulait depuis un demi siècle seuls et démunis devant ses lois et décrets.
Ils ont fait de Nietzsche l’emblème de la négation, accusant les bâtisseurs d’être gens rétrogrades.
Nous étions les constructeurs de cathédrales qui symboliquement ne pouvaient que s’enflammer au contact de leur négationnisme.
Car ils sont prompt à nous faire oublier sur quel outrage ils ont bâti leur empire.
Prompts à nier avoir été les chevilles ouvrières de toutes les boucheries, de toutes les tueries, de toutes les guerres, de toutes les famines, de tous les camps de la mort et de tous les génocides.
Regardez bien, vous qui me lisez : derrière toutes les exactions qui traversent l’humanité, vous trouverez l’ombre de leurs mains sanglantes.
Car la plus grande guerre qui traverse siècles et millénaires, c’est celle que les plus riches mènent contre les plus pauvres, non celle de l’humanité contre quelques infections, certes et hélas fort meurtrières, qui nous poussèrent à faire oeuvre collective pour survivre.
Ils nous disent que nous sommes en guerre.
Derrière les mots se profile une volonté de nous isoler dans une guerre que nous mènerions contre nous même, cherchant à nous préserver seuls quand la sauvegarde de notre espèce, liée à celle de toutes les autres, ne peut être qu’oeuvre collective.
Apprendrons-nous de l’épreuve l’art de construire dans nos différences, nos divergences, nos couleurs et croyances, nos philosophies diverses, un monde qui connaisse l’échange où le profit nous tue ?
Nous voici isolés, dans l’aboutissement logique d’un système en cours d’auto-destruction.
Tirons les leçons de la fin d’autres empires qui implosèrent lorsque les pyramides furent sapées par appât du gain de leur sommet tandis que leur base retournait à la jungle frémissante de vie.
Tirons les leçons de l’impossible remise de notre pouvoir d’exister entre les mains sanglantes de nos assassins.
Qu’un virus vienne nous révéler notre constitutive fragilité devrait nous ouvrir les yeux : nous n’avons jamais été fort en vivant seuls.
Et si nous avons sillonné la terre, en multitude d’archipels humains, diversifiant nos cultures, c’est qu’ensemble nous étions plus forts, sans la stature étouffante des guerriers et des chefs.

Je vous écrits de ces confins où mes neurones s’agitent. 
Ma parole n’a aucune valeur en elle-même.
Mes mots jaillissent de ce bouillonnement qu’offre la méditation solitaire qui n’est pas isolement.
Ce sont antennes dressées au travers des murs qui vont à votre rencontre, sentent vos détresses, vos pensées désemparées.
Il est dur, le bruit du silence à qui s’est toujours réfugié dans le bruit médiatique du monde prétendu civilisé.
C’est l’heure d’apprendre du silence imposé l’art d’aller à la rencontre, de ne plus avoir peur.
Ne plus avoir peur en nous tenant par la main pour passer le gué des cataclysmes.
C’est en nous tendant des perches entre nous que la peur changera de camp.
Ils ont cru en notre double isolement : celui physique de ne pouvoir sortir de chez nous, mais pire encore celui de la peur endémique devant des informations toutes plus contradictoires et incompréhensibles.
De cette double peine faisons une force, tendons nous des perches de maison à maison et inversons le cours d’une histoire dont nous avons su, par le passé, si souvent nous affranchir.
Il est l’heure, puisqu’ils nous en donnent le temps, de cultiver cette terre fertile de l’art et de la beauté, du don gracieux de vivre selon nos rêves en rompant avec leurs nécessités.

Combien sommes-nous désormais à devoir envisager le tournant : travail perdu, revenus en berne, vie suspendue à des solidarités invisibles.
On peut toujours applaudir aux fenêtres, on pourrait aussi prendre le temps de voir derrière ce tableau ce qui est symbolique de la fin d’un règne.
Hier combien qui applaudissent faisaient preuve de peur devant la violence d’un Etat qui lui même vacillait sur ses bases ?
Peur au combien compréhensible lorsque l’intégrité physique et morale des contestataires était si évidemment blessée.

Je fus de ceux qui se sont levé, brandissant la nécessité d’un contrôle du commun sur la gestion particulière des profits.
Je vous ai vu rentrer dans vos solitudes lorsque les coups pleuvaient sur mes révoltes.
C’était il y a plus de trente années.
Je n’ai cessé de tenter de comprendre depuis ce mécanisme des terreurs intimes qui nous vouaient à devenir les bons petits consommateurs serviles d’un monde qui portait en lui la haine de l’autre pour le plus grand bénéfice d’une poignée.
Nous avons oublié pendant trente ans la force commune de nos révoltes qui ne portent en elles-mêmes aucune violence, sinon la soif de vivre avec dignité, tandis qu’en face de violences symboliques en violences physiques, il fallait nous faire avaler qu’il n’y aurait aucune alternative.
Je n’ai cessé d’écrire pour tenter de comprendre, mes antennes dressées dans le bouillonnement de mes neurones.
Ma voix n’a pas su trouver faille où se faire entendre, vraiment. Et ce n’était pas mon souhait.
Je n’ai aucune leçon à donner.
J’ai juste soif d’entendre cette diversité émerger du silence imposé.
Une voix plus une autre, puis des centaines accumulées, ça pourrait faire un choeur dont la dynamique saurait soulever le couvercle posé sur notre créativité.

Et découvrir que nous n’avons rien à attendre du sommet détaché de la base que nous sommes.

« Certains jours il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire. », écrivait René Char dans la « Recherche de la base et du sommet ».
Il serait temps de réhabiliter la place du poète dans la cité.


Xavier Lainé
23 mars 2020

jeudi 19 mars 2020

Jour 5 : Je ne cesse de confiner.


Je confine, j’écris de mon confinement, mais guère plus que du temps où j’écrivais sans.
Bien sur j’écris de ce confinement en zone de confort dont je n’ai pas fini de payer la facture et qui à la sortie me laissera aux confins du monde de Leila Slimani par défaut de paiement.
Alors j’écris entre deux démarches pour ne pas finir en ces confins dont visiblement beaucoup se moquent.
J’écris de ce fragile équilibre parce que écrire est mon balancier d’équilibriste dans un monde dont je n’ai jamais eu le mode d’emploi pour « sauver ma peau », « me vendre », vivre avec la fierté de « l’oeuvre accomplie ».
J’écris de cette tour d’ivoire contrainte, j’observe le volcan qui couve à l’intérieur de mes enfants qui confinent entre allée, terrasse et intérieur et ne sont pas loin d’exploser.
J’écris de cette tour d’ivoire imposée et je croise Malika qui angoisse devant sa « Petite marmite » fermée pour cause de confinement.
Elle ne sait pas combien de ceux des confins n’auront aucun refuge une fois constaté sa fermeture.
Malika a raison : ils iront où, ceux des confins, si personne des bénévoles confinés ne peut plus leur tendre la main, leur offrir le couvert, l’amitié, le petit geste humain qui donne juste un peu chaud au ventre, nous fait humains, quoi ?

Alors je confine en pensant aux femmes seules avec leurs enfants délaissés par pères absents, confinés en leur mâle sécurité.
Je confine, avec pensée constante vers ceux qui confinent sur leurs cartons d’agonie, avec la faim au ventre et la peur ajoutée.
Je confine avec pensée émue, vers familles confinées en logements si étroits qu’au fil des jours il faudra bien que ça explose.
Je confine sans pouvoir imaginer le confinement de cet homme perdu qui ne verra plus son fils le temps du confinement et qui vient de perdre son emploi précaire sur des chantiers arrêtés faute d’avoir prévu les protections, faute de moyens, faute d’argent, il tourne entre ses quatre murs, plus seul que jamais : tiendra-t-il sans se remettre à boire pour oublier cette vie des confins qui n’attends pas le confinement pour être une vie de merde ?
Je confine et ça ne fait qu’ajouter à ma colère devant ce monde de gens hors sol, décidant pour les rejetés aux confins dont la parole est toujours confisquée par les gens comme moi, qui écrivent d’une tour d’ivoire des mots aux antipodes de leur vie confinée, virus ou pas.

Ceci n’est pas un « journal du confinement », c’est le confinement lui-même, celui adulé par le système : chacun pour soi se doit de se protéger, accessoirement pour protéger les autres. Mais quand ces « autres », ceux des confins du confinement, n’ont plus rien à protéger, on fait quoi ?

Xavier Lainé
20 mars 2020


dimanche 15 mars 2020

Il fait froid dehors 12


Dans un soudain revirement, la parole présidentielle trouve des vertus à la solidarité et à l’humanité !

De même,  et puisque certains, au nom de l’urgence nationale, m’y invitent, j’aurais envie de dire « chiche » !

Alors, c’est vrai : on va revenir aux « normes » sociales qui s’étaient construites de lutte en lutte, au fil de l’histoire, contre les appétits égoïstes des capitalistes à chapeau  et ventre replet ?

Alors vrai : on va revenir sur les lois travail qui ont balayé d’un revers de décret plus d’un siècle d’âpres batailles pour que les plus faibles ne soient pas pieds et poings liés sous le joug des plus forts ?

Alors vrai : on va abroger les lois qui mettent à mal l’indemnisation du chômage en jetant à la misère ceux qui s’en trouvent exclus ?

Alors, vrai : on va permettre aux écoles d’avoir les moyens d’offrir une chance à nos enfants et non de sélectionner les meilleurs pour livrer les autres aux appétits consuméristes ?

Alors, vrai : on va offrir aux hôpitaux des moyens et techniques et des soignants assez nombreux pour soigner tout un chacun à égalité et sans sélection selon ses moyens ?

Alors, vrai : on va revoir à la hausse les revenus de tous pour nous permettre de soigner, de créer, d’enseigner sans la crainte de dépasser la ligne rouge de nos comptes sinistrés chaque mois ?

Alors, vrai : on va tendre la main aux plus démunis d’entre nous pour pas qu’il crèvent dans nos rues, pandémies ou pas, et qu’il puisse lentement se reconstruire sous un toit et dans des relations qu’on pourrait peut-être qualifier « d’humaines » ?

Alors, vrai : on va aller chercher ceux qui se noient et sont repoussés à nos frontières pour qu’ils puissent eux aussi se reconstruire loin du fracas de nos bombes ?

Alors, vrai : on va arrêter de mener ce commerce de mort dont souffrent ceux qui fuient, au risque de perdre notre troisième place mondiale dans ce commerce morbide ?

Alors, vrai : on va arrêter de piller les continents les plus pauvres, contribuer à ce qu’ils se reconstruisent après le cataclysme d’une néo-colonisation qui fait préférer la mort à des populations entière plutôt qu’une vie affamée derrière les barbelés de nos dominations ?

Alors, vrai : on va permettre à tous de créer, chanter, composer, danser un peu partout dans nos quartier s rendus à la joie des rencontres solidaires ?

Alors vrai : on va donner à tous les moyens d’une vie décente en accord avec une nature réhabilitée et honorée comme étant notre matrice et notre avenir commun ?

Alors, vrai : on va indemniser, libérer et réhabiliter les milliers de blessés, éborgnés, emprisonnés depuis des mois et qui ne faisait que demander  un peu de solidarité, d’égalité, de dignité (le discours opportun d’un soir, quoi !) ?

Alors, vrai : pour une fois ce ne serait pas discours de circonstance, juste opportunité de reblanchir un blason souillé et de te laver les mains sanglantes qui sont les tiennes ?

Vrai ? Dis : vrai ? Chiche ? Moi je suis pour, avec ou sans pandémie : un moyen d’en arrêter une autre, celle de notre déshumanisation…

Xavier Lainé
13 mars 2020

mardi 3 mars 2020

Il fait froid dehors 1

-1-

C’est temps d’hiver revenu, gris et froid.
Plus haut et plus loin, les nostalgiques de l’autorité font usage abusif de leur pouvoir.
Le temps est gris, au dehors comme en dedans.

Passé une partie de la nuit à convoyer enfants ici et là, à guetter sur leur retour, leur sommeil, leur possible apprentissage de la sérénité.
Pas moyen de demeurer en paix avec moi-même.
Il fait gris et froid dehors.
Il fait triste en dedans.

Plus loin à l’Est, on meurt à Idleb.
On fuit.
Puis on se casse le nez sur les murs que bons bourgeois érigent devant le résultat de leurs crimes.
On ferme les frontières.
On ne les ouvre qu’au dieu d’argent et d’or.
Pauvres types que ces cyniques déshumanisés.
Ils sont l’aboutissement logique d’une humanité perdue.

Il fait froid dehors.
Dedans c’est tempête qui ne trouve pas son issue.
Il me faudra, car engagé, surfer sur le printemps des poètes.
Il faudra faire comme si tout n’était que poème en ce monde perverti.

Me voici devant nuées froides.
Incapable d’un geste d’humanité pour secourir tous et chacun.
Impuissant à faire tomber les triomphants bourgeois ventripotents et sûrs de leur raison.
Impuissant.


1er mars 2020 (1)

Pour que poésie dure, bien au-delà du printemps


Depuis trente ans la question est posée : à quoi bon la poésie, les poètes ?
Si les poètes passaient leur temps à écrire de la poésie et se battaient pour avoir leur juste place dans la littérature, se poserait-on encore la question ?
Si les poètes arrêtaient de ne se congratuler qu’entre eux et se contentaient d’écrire et de lire, laissant aux autres le soin de les nommer poètes dans la cité, y aurait-il encore question ?

A ce train d’enfer qui dure depuis les années 80, il se trouvera bien un technocrate qui mettra en place une formation universitaire ès-poésie.
On y apprendrait à devenir poète, c’est à dire, au sens strict du terme, à écrire de la belle et bonne poésie, de celle qui pourrait être éditée sans trop de risque mais avec un maximum de gain financier…
Alors, les poètes seraient contents, ils verraient leurs oeuvres en tête de gondole des « espaces culturels » de tous les supermarchés.
Ils pourraient sans vergogne vanter leurs oeuvres avec le soutien de leurs « mécènes » éditoriaux en des « marchés » de poésie florissants.
Ils seraient au pinacle de la littérature au même titre que les romans de gare sans un regard pour le nombre d’ouvrages voués au pilon.
Ils seraient les serviles représentants, au même titre que tous les plumitifs qui, à grand coup d’avances, écrivent ce que leur éditeur attend pour arrondir son chiffre d’affaire.
Quel bel avenir !

Depuis donc vingt ans, nous n’avons pas bougé.
Nous écrivons des textes qui ne trouvent leur place nulle part dans un système voué d’abord aux calculs financiers et non à l’élévation de l’esprit.
Certes, les « mécènes » tolèrent quelques paroles qui dénotent.
Certes, pour la façade on invite quelques poètes et autres contestataires en leurs essais, aux émission médiatiquement soumises.
L’objectif n’en est pas  de cultiver l’esprit critique mais de faire croire en la démocratie à l’heure où, son euthanasie commencée en 1958 arrivant enfin à son but, autrement dit son absence, elle s’éteint sous les coups bien ajustés d’individus démocratiquement élus mais dont la « carrière » est soutenue par les mêmes « mécènes ».
Certes la royauté et le féodalisme en ont pris pour leur grade en 1789, mais voilà que les gagnants de la période, deux siècles et demi plus tard, rétablissent l’ordre ancien assis sur leurs monstrueux profits.
On demande alors au poète de faire bien dans le paysage.
Et le poète, en bon toutou bien raisonnable, sachant par voie universitaire le triste sort de son ancêtre François Villon, se range à la raison très XVIIIème des nouveaux maîtres et seigneurs.
Le poète moderne ne dira rien ou pas grand chose du sang que ses mécènes ont sur les mains.
Il regardera ailleurs quand d’autres poètes qui ont eu le malheur de naître du mauvais côté de ce beau monde, éternels exilés parmi les réfugiés pudiquement nommés migrants, jetés à la mer pour le plus grand profit des mécènes du nouveau monde, trouvera la mort par noyade préférable aux sordides calculs qui rendent son pays proprement invivable.
Le poète moderne devra se montrer mufle s’il ne veut pas écrire une belle oeuvre maudite et posthume.
Il ne cessera de psalmodier son mantra, « à quoi bon la poésie et les poètes ».
Ça amusera un bon coup la galerie des intellectuels en vogue.
Ça portera un coup de grâce à l’art d’être poète, c’est à dire de démasquer les impostures, de regarder derrière l’écran de fumée, le visage sordide de ce monde perdu, depuis qu’à grand coup de peurs, de répressions, de neuro-marketing, l’homme moderne a vu le jour, robotisé en son âme comme en sa conscience, mais dépourvu de ce qui faisait son charme imprévisible : son humanité.

Je ne saurai entrer en ce jeu de dupes : je me contente d’écrire et me moque éperdument qu’on parle ou non du poète que je ne revendique pas d’être.
Je suis comme je suis, de chair et d’os, de sang et de larmes.
Je pleure plus souvent qu’à mon tour d’observer, depuis mes pages qui se noircissent chaque jour un peu plus, en quels degrés d’ignominie nous tombons, inéluctablement guidés par des algorithmes et des écrans, indifférents aux êtres et aux humeurs bonnes ou mauvaises qui les font éructer parfois, comme lave d’un volcan, leur colère et leur dépit, puis rentrer sagement dans le rang, lorsqu’ils voient la misère les ronger de l’intérieur, les affamer de l’extérieur.
Je ne suis ni poète, ni soignant, ni je ne sais quel titre ou relation algorithmique qui me permettraient de briller en ce monde sans lumières.
Je suis ce que je suis, d’os et de chair, coeur battant à tout rompre devant la beauté, triste à en mourir à chaque mort sous les bombes de notre inhumanité.

J’observe depuis plus d’un demi siècle, cette lente dégringolade qui nous poussait autrefois, à échelle de mémoire d’homme, de revendiquer un monde plus humain en éradiquant celui qui nous oppressait.
Je parle au passé car désormais, ce ne sont plus que feux de pailles, embardées sans pensées qui chahutent un instant les dictateurs mous, puis retombent comme pitoyable soufflet.
J’observe qu’il s’agit de moins en moins d’en finir avec ce vieux monde mais de l’aménager, comme si les bénéficiaires allaient donner les clefs avec un sourire bienveillant.

Les poètes sont perdus depuis qu’ils ont cessés d’être les chantres du peuple et de ses affres.
Les poètes, à se poser la question de leur survie, achèvent le contournement et l’assassinat de l’âme humaine.
Preuve en est désormais devant nos villes sans figures, ces zones commerciales hideuses vouées au commerce sans esprit, les poètes qui étaient autrefois ceux qui chantaient les sacrifices des hommes pour cultiver leur grandeur, vont comme les autre remplir leur caddie de fadaises.
La poésie, pour ne pas mourir en ce monde, doit redevenir une arme souterraine, à moins d’admettre sa belle mort.

5 février 2020


Xavier Lainé