lundi 7 février 2022

Saisir la perche, pousser la porte, changer l’eau

 


Liberté ! Photographie de Juan Conca (avec son aimable autorisation)


Je cherchais en vain, à part ces samedis qui se succèdent à être aux côtés de ceux qui se battent contre l’infamie de mesures despotiques, sans relâche, comment inviter à saisir la perche, ouvrir la porte entrebâillée et commencer à changer l’eau croupie d’une société plus fermée que bocal à poisson rouge malade.

Je cherchais en vain : j’aurais pu signer un appel à voter, mettre mon nom dans une liste que presque personne n’aurait parcourue. Je n’ai pas voulu.

Alors, ma plume virevoltant sur des pages qui resteront secrètes, elle a fini par se poser ainsi : la poésie, c’est encore ce que je sais faire de mieux. Ça n’est pas très politique, ça voudrait être poétique ; c’est peut-être cette porte qu’il nous faut pousser, celle d’une poétique du Tout Monde si chère à l’ami Edouard Glissant.

C’est celle-là que je voudrais que, pour une fois, mes amis, mes frères et soeurs en territoire infiniment contraint, nous ayons le culot de pousser.

Voici donc pourquoi je voterai pour Jean-Luc Mélenchon, à coup sur et que j’aimerais que vous saisissiez cette perche, car elle est la seule clé, désormais, qui nous ouvrirait la porte d’un autre avenir, où tout sera à construire, à reconstruire, sans fin.

Pour ne pas vous voir rejoindre la longue cohorte des noyés.


Te voici noyé ami

Dans le bouillon infâme d’un monde

Noyé


Vois-tu la perche tendue

Celle qui ne te dis pas 

Qui ne te dis rien

Celle que tous t’invitent 

À négliger


Car

Vois-tu 

Ils te préfèrent noyés

Agonisant sous les mauvais coup

Du moment que leur argent est sauf


Combien de crimes ont-ils

Cachés sous le tapis de leur « bienséance »

De leur « bonne gouvernance »

Combien de noyés

Combien de désespérés

La corde au cou

Sous le joug de leur totalitaire volonté


Et tu négligerais la perche tendue

Tu accepterais d’être le poisson nageant

En l’eau trouble d’un temps aveuglé

Qu’on vaccine sans rien changer

À l’eau croupie qui l’étouffe


Et tu négligerais la perche tendue

Qu’il te faudrait au contraire

Saisir et ne plus lâcher


Nul ne sait

Ni celui qui tend la perche

Ni ceux qui pourraient s’en saisir

De quel monde accouchera celui-ci

Mais

De toute évidence

Il aura la couleur qu’ensemble

Joignant nos diversités d’esprit

Nous saurions lui donner


Si une porte est entrouverte

Entre un dedans irrespirable

Et l’air pur du dehors

Ne la pousserais-tu pas

Ami


Si une brèche

Une seule

Apparaît sur le vernis

De leur monde rance

Ne faudrait-il pas l’écouter

Ne serait-ce que pour aller voir

Derrière

Le monde qui s’ouvre


Ils s’en vont 

Les esclaves de leurs maîtres

Disant que rien n’est possible

Que tout n’est que démagogie

Sauf qu’il ne s’agit pas là

De laisser faire mais d’agir

Pas le choix ami

C’est l’heure


C’est l’heure d’agir 

L’heure de saisir la perche tendue

De pousser la porte entrouverte

D’agrandir la fissure dans le mur des certitudes


Rien n’arrive 

À qui ne fait qu’attendre

Rien jamais ne fut acquis

De liberté et de joie

Sans mettre la main

À la pâte d’une vie à construire

Il est l’heure


Il est l’heure 

Tu le sais

Tu le sens

Ami

Rien ne se fera sans toi


Un tour

Un seul et la petite fenêtre de l’espoir

Pourrait s’ouvrir enfin

Aurais-tu peur


Aurais-tu peur du chantier terrible

Qui nous attend derrière la porte

Derrière le mur

Que je ne pourrais que 

Te comprendre

Mais


Rien n’arrive sur le terreau de la peur

Rien n’arrive à qui ne se saisit pas de la perche

Rien n’arrive à qui n’ose pousser la porte

Rien n’arrive à qui rejette les mains tendues

Sinon la noyade assurée

Sous les sourires goguenards

Des soldats d’un temps révolu


Nous le savons

Nous le sentons

Que leur temps est révolu

Que quelque chose nous attend

Qui changerait l’eau du poisson

Qui en prendrait soin

Avec bienveillance

En place d’appât du gain


Il est l’heure

Ami

De saisir le manche et la cognée

De travailler à abattre ce vieux monde

Croupi dans l’eau infâme

Où tant d’hommes

De femmes et d’enfants

Ont perdu leur précieuse vie


C’est pour eux qu’il nous faut construire

Pousser la porte entrouverte

Changer l’eau du poisson

Le purger des poisons avalés


Ils ne savent rien de la singularité du vivant

Laissons les où ils sont

Nous n’avons rien à attendre d’eux

Sinon qu’ils nous tiendront la tête sous l’eau pourrie

Jusqu’à notre noyade

Sans une larme


Moi je ne cesse d’en avoir 

Des larmes et des soupirs

De vous voir errer

Pauvres âmes en peine

Vous précipitant vers les récifs

Où leurs fausses lumières

Leurs sémaphores de pacotille

Vous attirent


Je ne cesse d’en avoir

Des larmes et des soupirs


M’offrirez-vous

Avant qu’il soit trop tard

De vous voir 

Un sourire aux lèvres

Vous mettre à construire 

L’humanité qui nous manque 


Je vous attends

Je saisis la perche et vous la tends à mon tour

Il est temps

Il est l’heure


Poussez la porte

Poussez la


Xavier Lainé

4 février 2022


jeudi 3 février 2022

SOS





Photographie de Pierre Weber - SOS Urgences Hôpital




Je reviens au poème

Dernier havre de paix avant issue de secours.

Je reviens au poème pour ne plus laisser mes neurones

Partir en vrille dans les profondeurs d’un temps

De naufrage et de perdition.


Il me faut nager.

Atteindre coute que coute le rivage

Avec dans les rêves d’accoster

En un lieu à mille milles de ces terres arides

Où les coeurs vont

Infiniment desséchés.


*


C’était un soir gelé

Avec SOS de bougies devant les portes vitrées


C’était un soir de parole donnée

De mots qui hésitaient

Ne sachant plus vraiment que dire

Devant le foule masquée


C’était un soir de lutte

Mais de quelle lutte encore parler

Puisqu’est admise la santé totalitaire

Celle qui soigne personnes saines

Laisse tomber les malades

Fermant ici services d’urgence

Ailleurs interdisant d’exercice

Ailleurs encore appelant retraités

Pour compenser soignants suspendus


C’était un soir la mort dans l’âme

Un soir à ne pas y croire

Un soir de froid en dedans comme en dehors

De parole n’exprimant rien

Sinon longues litanies de chiffres

Qui faisaient face à d’autres 

En vaines querelles de gestion maladive


C’était un soir de parole donnée

De parole donnée par assurance de conformité


Y voir clair ne t’autorise à rien

Dans l’indigence d’un temps qui ne pense plus


C’était un soir de lutte

Mais sans solidarité

Sans la chaleur fraternelle

Qui donne le goût et la saveur

Aux protestations aiguisées


C’était un soir de rendez-vous manqué

Devant les portes muettes 

D’un hôpital sans âme

D’où l’humain est évacué

Vers la morgue d’un temps d’arrogance


*


J’en reviens au poème

Ultime bouée de sauvetage 

Quand tout se délite et se noie

Quand tout se brise sur des murs d’argent

Quand l’humain part à la dérive



Xavier Lainé


28-29 janvier 2022