samedi 31 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 20

 



Le baiser - Théodore Géricault



D’oeuvre en oeuvre ne cessons de nous poser question.

C’est notre humanité qu’il nous faut interroger.

De combats en esclavage, de lutte en infinies misères, quelle est la boussole ?


Voici les récifs où vient se fracasser notre esquif.

Nous faisons confiance au capitaine.

Mais il a déjà quitté le navire, nous laissant livrés aux caprices de la mer.

Aux caprices de l’amer.

Toujours les vagues nous appellent.

Le fond se dérobe dont nous voudrions pouvoir toucher les rocs.

Histoire de pousser vers la surface nos cris d’espérance.


Quand il ne reste plus du navire que radeau si fragile que les rouleaux n’en feraient qu’une bouchée.

Quand nous voici sur ces quelques planches, réduits à nous-mêmes.

La folie n’est pas loin qui s’empare des rescapés.


Nous sommes sur la Méduse.

Notre radeau est si frêle que nous en devenons fous à lier.

Prêts à nous dévorer pour une journée d’espoir.


Nous avons vécu l’errance et la fuite éperdue devant toutes les violences.

Nous avons été cannibales réduits à nos pires instincts dans les heures sombres de l’histoire.

Mais nous ne comprenons pas ceux qui par milliers s’enfuient pour ne pas mourir.

Nous ne les comprenons pas alors que nous sommes les capitaines qui ont fuit le navire, laissant les marins à leur sort tragique.

Nous ne les comprenons pas et ne volons pas à leur secours.


Xavier Lainé


21 juillet 2021


vendredi 30 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 19

 



Le baiser - Théodore Géricault




J’aurais aimé, Théodore, être peintre plutôt qu’écrivain.

Les mots ont infiniment plus de mal à évoquer la complexité du vivant.

Alors que couleurs, traits, tentatives et croquis en disent bien plus.

Les mots parfois sont interprétés avec restriction par esprits pas toujours aiguisés.

Les mots peuvent blesser, être interprétés à l’inverse de ce qu’ils sont.

Tes oeuvres, Théodore ont une immortalité.


Elles sont le reflet de nos sentiments.

Les yeux, les visages, des chevaux et des hommes, en disent long sur nos inquiétudes.

Y aurait-il seulement, dans cette histoire, un moment pour la quiétude, pour l’apaisement, le repos et l’amour ?

Nous voici fétus de paille, chahuté de mains de maîtres qui ne nous lâchent jamais, nous laissent toujours exsangue dans les chemins creux de leur gloire.


Comme toi, sans doute et comme beaucoup d’autres, j’en viens à céder la place.

Abandonner cet être au monde qui te pousse au devant de la scène quand tu ne peux être que derrière le voile, le miroir, regardant avec effarement la course échevelée de tes contemporains.

Une fois vécu l’expérience des leurres, pas d’autre solution que de s’en écarter à moins d’aimer être trompé.

La vie est considérée comme une lutte incessante entre les hommes.

Il faudrait jouer des coudes comme tu le montres dans tes recherches autour des luttes gréco-romaines.

Vivre ne serait que ça : une lutte permanente entre humains pour triompher de l’autre, ce rival.

Sans doute est-ce le symptôme de cet éloignement de l’état de nature qui nous caractérise.


Xavier Lainé


19-20-21 juillet 2021


jeudi 29 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 18

 



Le baiser - Théodore Géricault




Tu sais, Théodore, je t’écris d’un monde qui n’a pas encore basculé.

Pour toi la révolution était derrière, tu voyais déjà la réaction thermidorienne en son aboutissement logique : le directoire, le consulat et l’empire.

Nous, nous sommes les fruits, à quelques soubresauts près, de la réaction versaillaise qui n’avait rien à envier aux thermidoriens de ton époque.

Sinon que les fastes sont moins visibles car les riches bourgeois d’aujourd’hui se cachent pour compter leurs dividendes.

Ils ne parlent d’ailleurs que de leurs profits.

Ils en sont aveuglés comme l’empereur en ton temps fut aveuglé par la victoire de ses divisions armées.


Lorsque tu te mets à dresser le portrait des femmes et hommes du peuple, eux aussi ont ce regard hagard, un peu perdu.

Sans doute serions nous croqués de même désormais.

Nous allons, les uns et les autres, nous heurtant à la fatigue d’exister.

Tes oeuvres oscillent entre peuple à l’échine courbée et résurgence de l’esclavage, rétabli par l’empereur.

Un silence pesant s’attarde sur la toile.

Les sauveurs suprêmes se succèdent aux commandes, sans que quiconque n’en sente le moindre soulagement.


Tu n’as que très peu de temps devant toi.

Tu ne le sais pas, mais dans les peines et les désillusions, tu engranges les termes de ta fin.

Tu sens dans les regards de tes contemporains, quelque chose d’un naufrage.

Tu n’y es pas encore mais ça va venir.

Quelque chose est dans l’air qui déjà montre les récifs.

C’est discret une montée de colère !


Xavier Lainé


18 juillet 2021 (2)


mercredi 28 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 17

 



Le baiser - Théodore Géricault




Pardonne-moi, Théodore, de t’avoir un peu abandonné.

Tu connais ça, l’abandon, la solitude, l’errance.

Tu connais ça, la solitude lorsque l’amour se présente qui te place en travers des conventions bourgeoises.

Ça ne se vit pas, ça ne se fait pas, alors on te met à la porte, et l’enfant qui vient se retrouve en nourrice (aujourd’hui on dirait en foyer ou en famille d’accueil).

Tu lui rends visite, parfois, la mort dans l’âme.

Les visages dans tes oeuvres disent ça : la mort dans l’âme.


Devenus les jouets d’une histoire qui se joue malgré nous, nous avançons la mort dans l’âme.

La bonne bourgeoisie triomphante nous a pourtant appris la maîtrise.

Maîtrise est l’autre versant du mot domination.

En ton temps comme aujourd’hui, ils en ont plein la bouche de la maîtrise.

Prétentieux qui s’imaginent voguer au-dessus des lois, au dessus de la nature, au-dessus de la vie elle-même qu’ils aiment corsetée et voilée.

Regardez donc le miroir des misères dans les esquisses de Théodore.

Regardez donc, ce temps qui s’étire sous le joug des mêmes.

Nous sommes dans cette glu qui nous fige, nous empêche.

Nous rêvons d’une vie à l’image des bourgeois qui nous oppriment.

Nous attendons d’un sauveur suprême qu’il vienne nous libérer de nos chaines.

Nous ne voyons pas, dans le tableau de Théodore, les échines courbées, les têtes et les membres tranchés.


Théodore, peut-être suis-je à côté de la plaque, en t’inventant des intentions que tu n’avais pas. 

Je cherche juste à démêler l’écheveau d’une vie au tournant.

D’une vie inscrite dans une époque étonnamment semblable à la nôtre.


Xavier Lainé


18 juillet 2021 (1)


mardi 27 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 16

 



Le baiser - Théodore Géricault



Je prends tout de ta vie, cher Théodore.

Tout mais dans le désordre.

Mes mots jouent à saute mouton par-dessus ta chronologie.

C’est une vie si courte que celle de l’artiste !


Je ne sais comment tu te retrouves à Rome.

Tu y viens contempler ce qui reste d’un monde éteint.

Tu y découvres rites et sacrifices qui t’évoquent d’autres rites, d’autres sacrifices dont ton temps est fécond.

Ainsi va l’art jailli du plus profond des hommes qu’il ne cesse d’interroger son époque.

Le plus étrange au fond, c’est que ce flambeau qui se transmet, d’un temps à un autre ne fasse pas vaciller les convictions des promoteurs d’une histoire par le haut, celle qui ne connaît destin que des élites.

Lorsque tu dessines les courses de taureau, les abattages des boeufs, le corps à corps des esclaves avec les bêtes sournoises et déchaînées, ça n’est pas sans rapport avec l’histoire récente, cette course après un monde qui ne fait que retomber, comme soufflet, une fois les imaginations calmées.

Calmées mais on sait avec quels moyens de conviction.

Ici on conduit à la torture, on pend, on coupe en morceau.

Les têtes tombent, ne cessent de tomber et le peuple est spectateur de cet affront à la vie.

Bien sur, les têtes ne roulent plus aujourd’hui dans la sciure.

Mais on éborgne, on mutile sans un accent de remord.

Ce qui traverse ton esprit Théodore, ne cesse d’envahir le mien lorsque le triste constat survient : les temps changent mais le fond de barbarie propre à l’humanité dominante, lui, demeure.

C’est notre tyrannie, notre cauchemar, tapis au fond de nous-mêmes.

Nous sommes acteurs et victimes, notre part de responsabilité est immense.


Xavier Lainé


16 juillet 2021


lundi 26 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 15

 



Le baiser - Théodore Géricault

Source photographique


« De parents inconnus », disent-ils.

Sauf qu’un enfant, intuitivement, ça sait ne pas venir de nulle part.

Alors ça cherche, ça creuse, et ça retrouve un père, même banni de la bonne bourgeoisie.

Je ne sais quelle relation finit par s’établir.

Certains prétendent que tu lui rendais visite, à cet enfant perdu.

J’en sais quelque chose, de la souffrance de ne pouvoir élever ses enfants.

J’en sais quelque chose, de la souffrance des enfants sans père, parfois sans mère, parfois élevés si loin et sans affection.

Enfants abandonnés à leur sort, enfants réfugiés, perdus en des territoires de rejet.

Enfants devenus énigmatiques pour défier la douleur d’exister.

Enfants qui parfois mettent un terme à leur trouble.

Enfants sans larmes, devenus durs comme pierre pour ne pas s’écrouler sous les vents mauvais de temps qui leur ferment la porte au nez.


Tu en peins, Théodore, des enfants énigmatiques, le regard perdu.

C’est comme si tu cherchais le tien derrière les traits des autres.

Ça leur donne une étrangeté.

Qui sont ces enfants ? 

Tu en dresses un portrait, ou plutôt celui de leur absence.

Ils sont comme évanescents, perdus dans le fleuve du monde.

Un enfant, ça apparaît, puis ça s’envole, ne laissant que vagues souvenirs de brefs moments de bonheur.

Le tien, à peine né, aussitôt retiré, plongé aux oubliettes des conventions bourgeoises.

Un enfant sans parents qui passera sa vie à se chercher un père, à tenter de deviner qui était sa mère.

On devine derrière chaque toile, jusque dans le regard de tes chevaux de référence, cette énigme posée qui est celle de la vie.


Xavier Lainé


15 juillet 2021


dimanche 25 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 14

 



Le baiser - Théodore Géricault



Tu vois, Théodore, entre ton temps et le nôtre quelle différence ?

Sinon qu’aujourd’hui nous ne pouvons plus dire que nous ne savions pas.

Je comprends ton refuge auprès des chevaux.

Ils ont la fierté de ne pas se laisser faire.

Il faut déployer mille astuces pour les approcher, les dompter, et encore, une fois domptés, ils savent se retourner contre le cavalier qui ne les respecte pas.


Tu avais commencé par le cheval du cuirassier.

Puis les chevaux libres à Rome, et enfin ces chevaux qui ne supportent aucun licol.

Chevaux qui ont cette superbe, ce regard qui passe à travers les êtres comme pour en sonder les plus intimes convictions.

Tu en as fait tes principaux modèles.

Nous n’avons même plus, à quelques exceptions près, ce recours aux grandes échappées, aux grands galops qui font ressentir ce que pourrait être la liberté.


Je ne sais pas pourquoi je t’écris.

Tandis que tu admires la cavalerie, te voilà épris.

L’amour ne distingue rien des conventions établies.

Il s’insinue sans demander la permission dans les coeurs les plus endurcis, les plus méticuleux à respecter les conventions.

L’amour est comme un cheval fou : il va sans selle et sans bride et t’emporte dans les grands espaces du coeur.

Jusqu’à l’enfant qui vient trahir l’idylle.


Te voilà renvoyé à l’enfer d’une vie solitaire.

L’enfant lui, est voué a disparaître de ta vie.

Voué à errer, « de parents » inconnus, qu’ils diront.


Xavier Lainé


14 juillet 2021


vendredi 23 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 13

 



Le baiser - Théodore Géricault

Source photographique


Au fond, la dictature d’un empereur, ça avait un certain panache.

Je peux donc comprendre, cher Théodore, ta méprise, puis ta déception devant le martyre de ces grognards, marchant épuisés dans la neige.

Je peux comprendre ton revirement puisque ton berceau t’y invitait.

Nous sommes ce que nos parents nous font.

Lorsqu’eux-mêmes ont appris à suivre comme des moutons le flot de « combattants » partant le fleur au fusil, on peut allègrement deviner ce qu’il en sera de leurs progénitures.

Sinon que toi, tu avais ce talent en plus : peindre.

Ce talent devint le miroir tendu devant le visage d’une époque.


Si tu revenais, cher Théodore, que peindrais-tu aujourd’hui ?

Des CRS glorieux chargeant le peuple, éborgnant des citoyens sans défense, en mutilant d’autres ?

Des migrants se noyant si près de nos côtes que le secret de ce crime ne peut plus être caché ?

Les uniformes d’aujourd’hui sont le reflet de l’époque : ils sont noirs, résolument noirs.

Ils en disent long sur l’absence de gloire des Napoléons minuscules qui se succèdent au pouvoir dans un acte de fausse démocratie.

Peut-être pour ça qu’aujourd’hui, les peintres préfèrent l’abstraction.

Ça évite de montrer le nihilisme d’une époque.

Tout le problème, comme Zao Wou-Ki sait si bien le faire, c’est de montrer ce vide mais habité.

Chacun peut ainsi habiter le vide comme il l’entend.


Je t’écris depuis ce rivage qui nous engloutit sous les immondices de la bourgeoisie triomphante.

Elle a désormais l’arrogance des anciens aristocrates.

Avec nos refus d’obéir à ses injonctions, nous voici devant l’apartheid.


Xavier Lainé


13 juillet 2021


jeudi 22 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 12

 



Le baiser - Théodore Géricault




Tant que domination demeure, la lave de la liberté cherche son chemin.

Elle s’insinue dans les plus petites failles, elle germe au fond des êtres.

Elle est si vite étouffée qu’on finit par s’inquiéter de son avenir.


Faute de merle, on mange des grives, ou l’inverse, je ne sais plus.

Quelle importance ?

Toujours on finit par confier son sort à celui qui clame être notre sauveur.

Puis derrière, à force de têtes coupées, de membres mutilés, on rentre penaud.

On traine les pieds pour reprendre le cours de la vie.

Vie qui se poursuit comme une blessure irréparable.

Ainsi vont les têtes sur les toiles de Théodore.

Elles nous regardent du fond de leur détresse.

Elles semblent vivre encore débarrassées du corps, en dessous.

C’est d’ailleurs cette vie, cet intervalle dont doutait Monsieur Guillotin.

Il prétendait « humaniser » les peines capitales que les dominants ne cessaient de prononcer.

Le peuple assistait médusé à ces spectacles d’horreur.

C’était pour mieux en museler la soif de liberté.


Certains se mirent à imaginer un laps de temps où la tête pouvait encore avoir conscience d’être séparée du corps.

C’est cette question que Théodore se pose.

Les têtes ne cessent de rouler dans la sciure, sous le directoire, le consulat, l’empire, la restauration.

On ne cesse de condamner et les questions affleurent qui mettront tant d’années avant de jeter Monsieur Guillotin dans les tombes de l’histoire.

Théodore est de ceux qui s’interrogent.

Il oscille entre la magnificence d’un cheval blanc et l’horreur des têtes humaines suppliciées.


Xavier Lainé


12 juillet 2021


mercredi 21 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 11

 



Le baiser - Théodore Géricault
`


Théodore revient aux chevaux.

C’est son intermède, sa façon de ne pas se laisser happer.

Le père Guillotin passant par là, « l’humanisation » de la peine capitale répandit le meurtre officiel.

Il tombait des têtes chaque jour.

Qu’on soit thermidorien, empereur ou roi, les têtes ne cessaient de tomber.


Intermède

C’est un bruit de fond permanent

Une rumeur qui vogue sur l'absurde

Nous sommes perdus sur cet océan 

De paroles coulées toutes au moule

D'un savoir sans fondement


C'est un bruit que font les mots

Lorsqu'ils perdent le sens de l'Homme

Lorsqu'ils ne servent qu'à justifier

Le pire au lieu du meilleur

Le laid en lieu est place du beau


Il ne nous reste que poèmes et pensées

Comme bouées où nous accrocher

Dans ce naufrage halluciné


Il ne nous reste que la subtilité du beau

Un élan de tendresse partagé

Des mots d'amour discrets 


Il ne nous reste qu'un ciel et des étoiles

Et puis dame poésie toujours debout

A la proue de nos nécessaires solidarités


(Composition instantanée, comme le café du matin partagé)


Xavier Lainé


11 juillet 2021


mardi 20 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 10

 



Le baiser - Théodore Géricault




Théodore peint ce qu’il voit et ce qu’il ne voit pas.

Quelles tragédies façonnent nos ressentis ?

Théodore n’a pourtant rien vécu de ces deux ans tragiques, où le sort d’un peuple se soulève et en finit avec un roi.

Pourtant les têtes tranchées hantent les toiles.

Hantent les esprits, deviennent fantomes planant sur les mémoires.


Qui furent les criminels et de quel côté de l’instrument furent-ils qui se succédèrent sous le tranchant d’un monde en éruption ?

Le tragique n’est pas toujours contenu dans le sang versé, pas seulement.

Le tragique est dans l’usage officiel fait de la barbarie.

Il y aurait le crime impardonnable et celui absout d’avance car officiellement admis.

Il en faudra du temps et des larmes pour qu’enfin on réalise, contre une majorité d’obscurs qu’un homme qui meurt sous le couteau, d’où que vienne l’arme demeure une victime, ou de bourreau passe au statut de victime.

La violence ne résout rien, le mutisme devant elle non plus.


J’ouvre ici une brèche en me considérant, parmi vous comme responsable des atermoiements d’un siècle.

Je poserai plus tard la question des origines sociales de la violence.

L’une répondant à l’autre qui se proclame, avec des airs offusqués, comme vierge de tout soupçon de complicité.

Une violence, même symbolique, en ouvre une autre qui se fait brèche béante dans le flanc de l’histoire.

Le sang ne sèche jamais vraiment, et la plaie ouverte se transmet.

La preuve par Théodore qui n’a jamais vu de ses yeux les têtes coupées, promenées au bout d’une pique.

Juste une exposition, il semble, à Rouen, de têtes momifiées, reliques exsangues d’un temps  de terreur réduisant à néant les espérances.


Xavier Lainé


10 juillet 2021


Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 9

 



Le baiser - Théodore Géricault



Puis ce baiser qui est ton refuge.

Quand tout tourne mal, le mieux est encore de se blottir dans les bras accueillants.

De laisser filer les gestes tendres, ceux qui mettent baume au coeur qui rassurent et réconfortent.

L’histoire est friande des grandes batailles.

Elle l’est un peu moins des pieds gelés, des plaies ouvertes, des souffrances endurées.

C’est pourtant avec ce quotidien qu’il faut bien composer.

Alors on battit nid douillet où laisser se déposer l’amour.

Un amour qui n’attend aucune autorisation pour s’éveiller au coeur sensible.

Il est là, il frémit dans l’ombre.

Il te suit, Théodore jusque dans ta fuite éperdue.

Il reste entre deux toiles, jamais avoué mais toujours présent.

Il devient la boussole des jours mauvais, le phare dans les tempêtes d’un temps sans repères.


Ce baiser qui est notre refuge.

Un instant suspendu entre deux luttes, entre deux misères, entre deux portes.

Baiser interdit en zone de tous les périls, qui pourtant nous est si nécessaire.

Je ne sais quand ni où, mais la découverte de cette toile est là, qui m’emporte au tréfonds de l’oeuvre.

Théodore fuit.

Il ne fuit pas que l’air du temps.

Il fuit l’amour jugé fautif lorsqu’il dévore les êtres hors des normes édictées par prude bourgeoisie.

Tous les ingrédients des dominations à venir est contenu dans un baiser.


Xavier Lainé


9 juillet 2021


samedi 17 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 8

 



Le baiser - Théodore Géricault

Source photographique


Tu ne pouvais être indifférent.

Ce qui s’offrait à tes yeux, à ta jeunesse, c’était un temps écorché.

Un temps de pieds bandés pour résister à la morsure du froid et des défaites.

Que de souffrances endurées en batailles rangées pour le seul panache d’un homme.

Tu es l’observateur d’un temps qu’on dirait aujourd’hui de « transition ».

Transition entre l’ancien et le nouveau.

Entre le connu et l’inconnu.


Tu ne pouvais être indifférent à la souffrance de ces preux guerriers.

Tu découvres entre deux toiles, entre deux esquisses, l’horreur d’une dictature qui méprise les hommes.

C’est ce qui vient, un temps sans limites.

Un temps qui s’aveugle de sa propre gloire.

Un temps qui nie la Bérézina par seul souci du gain et du pouvoir.

Pas seulement cet affrontement entre l’ancien et le nouveau.

Pas seulement.


Tu peins.

Tu avances en titubant dans les chemins creux de l’histoire.

Les bourgeois triomphants accrochent tes cuirassiers dans les salons de leur gloire débutante.

Ils avancent comme l’aigle renaissant de ses cendres qui remonte le cours du temps.

Ce qu’on ne fait jamais. 

On ne remonte pas quelque chose qui nous pousse vers l’avant.

Quelque chose qui n’existe que dans nos esprits mutilés.

Tu peins la couleur triste de ce temps qui fomente ses défaites.

Tu peins le chaos qui vient d’où les petits sont exclus.


Xavier Lainé


8 juillet 2021


vendredi 16 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 7

 



Le baiser - Théodore Géricault




On a besoin de panache à dix-huit ans.

On a besoin que ça bouge, que ça cavale.

Il faut que ça agisse et que la cavalcade mène à d’autres mondes.


Il faut que la peinture dise cet élan.

Il lui faut dire tout et son contraire, puisque le monde en est là.

Tout et son contraire.

Un vieux monde s’effondre, un autre tarde à venir.

Nous sommes aux prises avec les démons de l’incertitude.

Notre destin nous effraie.


Alors nous cherchons à le confier à d’autres.

D’autres qui s’avèrent être des monstres.

Qui ne naviguent que pour eux-mêmes, leurs petites fortunes, leur célébrité.

Oui not’ Monsieur, oui not’ Bon Maître.

On se courbe devant l’apparence du génie qui n’est qu’opportunisme.


L’oeuvre va de ce pas guerrier et rencontre misère et humiliation au bord des chemins creux.

L’oeuvre hésite, elle dit ce que le coeur ne peut écrire ou prononcer, même du bout des lèvres.

Théodore commence à peine.

Sa peinture pourtant affole les académies.

Le génie est rarement là où, présomptueux, il s’auto-congratule.

Il suit le pas lourd et glacé des grognards vaincus.

Les rêves des démiurges se terminent si souvent en Bérézina de l’humanité.

De Napoléon à ceux qui ont blessé l’Europe et l’histoire, c’est le même récit ou presque.


Xavier Lainé


7 juillet 2021