mardi 27 juillet 2021

Peindre dans l’air du temps (trilogie) Tome 1 - Théodore entre deux temps 16

 



Le baiser - Théodore Géricault



Je prends tout de ta vie, cher Théodore.

Tout mais dans le désordre.

Mes mots jouent à saute mouton par-dessus ta chronologie.

C’est une vie si courte que celle de l’artiste !


Je ne sais comment tu te retrouves à Rome.

Tu y viens contempler ce qui reste d’un monde éteint.

Tu y découvres rites et sacrifices qui t’évoquent d’autres rites, d’autres sacrifices dont ton temps est fécond.

Ainsi va l’art jailli du plus profond des hommes qu’il ne cesse d’interroger son époque.

Le plus étrange au fond, c’est que ce flambeau qui se transmet, d’un temps à un autre ne fasse pas vaciller les convictions des promoteurs d’une histoire par le haut, celle qui ne connaît destin que des élites.

Lorsque tu dessines les courses de taureau, les abattages des boeufs, le corps à corps des esclaves avec les bêtes sournoises et déchaînées, ça n’est pas sans rapport avec l’histoire récente, cette course après un monde qui ne fait que retomber, comme soufflet, une fois les imaginations calmées.

Calmées mais on sait avec quels moyens de conviction.

Ici on conduit à la torture, on pend, on coupe en morceau.

Les têtes tombent, ne cessent de tomber et le peuple est spectateur de cet affront à la vie.

Bien sur, les têtes ne roulent plus aujourd’hui dans la sciure.

Mais on éborgne, on mutile sans un accent de remord.

Ce qui traverse ton esprit Théodore, ne cesse d’envahir le mien lorsque le triste constat survient : les temps changent mais le fond de barbarie propre à l’humanité dominante, lui, demeure.

C’est notre tyrannie, notre cauchemar, tapis au fond de nous-mêmes.

Nous sommes acteurs et victimes, notre part de responsabilité est immense.


Xavier Lainé


16 juillet 2021


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