dimanche 31 juillet 2022

Comme le lierre 17

 




J’étais bien parti pour vous en lire, de la poésie.

Mais j’ai préféré me taire.

C’est ainsi : comment mesurer si le poème est bienvenu ?


*


« Green concept »

Pour servir de paillasson à l’esprit mercantile

Je vis en ville

Ville qui repeint en vert l’inacceptable

Ville qui fait semblant

Tandis que le niveau d’eau baisse

Aux pieds du « Green concept »


En fait il s’agit d’un faux gazon en plastique vendu pour être vert été comme hiver, posé sur terre morte.

Ma ville se porte mal d’être aussi mal dirigée depuis tant d’années.

On y entretien les copinages à grands frais.

La population désemparée se terre dans ses logements de « standing », non conçus pour les vagues de chaleur ou de froid.

Mais on y tapisse la terre morte, au bord du lac vendu aux appétits privés, d’un « green concept » qui dit bien ce qu’il est : juste l’allure du vert, mais en dessous l’effondrement.

Vous pourrez toujours maquiller le forfait.

Il restera un crime, celui de votre participation à l’extinction de l’humanité, prise au piège de sa prétendue « sapiens ».


« Ma ville est morte, ma ville va pas bien », chantait Maxime, mais c’était au siècle dernier, celui où on pouvait encore afficher une certaine insouciance.

Celle-ci n’est plus de mise désormais : le feu couve sous les futaies, et derrière les saboteurs aux commandes, il ne restera rien.


Xavier Lainé


16-17 juillet 2022


Comme le lierre 16

 




Vous avez des rêves plein la vie

Des idées comme s’il en pleuvait

Vous n’imaginez pas ce monde

Autrement qu’espace qui se crée sans cesse

En y semant graines fécondes

D’un autre avenir


Bien évidemment

Ils viennent

En costume trois pièces

Cravates et chaussures pointues

Souliers vernis comme leur vie 

Vie qui se morfond en banales tristesses


Le monde qui momentanément

Vient fermer les portes des rêves

N’est qu’un monde qui se meurt

Tandis qu’en infinies poésies

Vous imaginez 

Nos lendemains qui chantent

Quoi

Serions-nous voués à la tristesse

À subir sans imagination

Leurs tristes frontières

Leurs impossibles compromis

Aussi mortels que leurs dollars


Avec vos rêves

C’est d’avenir que nous pourrions causer

Sans attendre de qui que ce soit

Le réveil des consciences


Xavier Lainé


15 juillet 2022 (2)


vendredi 29 juillet 2022

Comme le lierre 15

 




Tu t’accroches

Lierre foisonnant sur les murs de pierres sèches

Tu t’insinues dans chaque fissure

Tu t’ancres au sol infécond des terres les plus arides


Tu combles les lacunes

Tu fais disparaître les détails et les plaies du passé.

Qu’importe que le mur sous ton poids s’écroule

Tu te relèves de l’écroulement du monde

Tu y survis


*


Mes pensées errent

Elles ne trouvent point de port d’attache

Alors je les dépose en vrac

Au bord de ces précipices ouverts sous nos pieds


Je viens d’un monde béant

D’un monde écartelé

N’ouvrant même plus la bouche

Pour exprimer les souffrances endurées


« Même plus de larmes pour pleurer »

Disiez-vous

Même plus de larmes

Une fois les douleurs infligées enkystées


Je ne suis que voyageur indiscret

Mes mains explorent l’intimité de ce monde

Où il est si simple de se noyer moins de survivre


Xavier Lainé


15 juillet 2022 (1)


jeudi 28 juillet 2022

Comme le lierre 14

 




Il y aurait tant de Bastilles à prendre

Tant de remparts et de murs à défaire


Mais non

Vous restez chez vous

Je reste chez moi

Je maudis ces temps absurdes

D’humanité sans envergure

Qui ne sait plus rien construire


Un Eden s’est perdu

Qu’avons-nous fait de nos vies

Sinon cette stupide conformité

À des canons qui ne sont pas les nôtres

D’un coup de pied il faudrait

Savoir renverser les trônes 

Bousculer les assemblées

Renverser tous les pouvoirs


Il me prend l’envie de voler

De rejoindre moineaux et hirondelles

Qui squattent ma génoise

Aller comme eux

Dans cette liberté totale


Il me prend le rêve

D’un lieu solitaire loin de ce monde

Où lire 

Penser 

Rêver 

Seraient mon ultime secours


Xavier Lainé


14 juillet 2022


mercredi 27 juillet 2022

Comme le lierre 13

 




Ce qui fut semé de peur et d’angoisse

Au coeur même des vies déjà en lambeaux


Ce qui fut semé dont la récolte vient

Si longtemps après gâchant toutes relations


Ce qui fut semé

Dont le feu couve

Au plus profond des êtres perdus

Qui ne comprennent ni ne savent

De quoi il en retourne 

De l’infinie complexité de vivre


*


Aussi sec que le temps

La page est un vertige

D’où ne sortent plus aucun mots


Les idées se déclinent 

En lacs de fatigue

 

*


Je me suis tu devant le triste spectacle

D’un pays qui ignore tout des luttes

Qui ont contribuées à son visage


Je me suis tu

Car que dire encore devant le déclin

Que dire encore de cet effondrement programmé


Xavier Lainé


13-14 juillet 2022


mardi 26 juillet 2022

Comme le lierre 12

 




Beauté radieuse éclatant de rire au crépuscule

Tu vas

Un plateau à la main

Parmi les tables indifférentes

Une bière ici

Un verre de vin plus loin

Mais toujours le regard en alerte


D’un signe de main 

On t’appelle

Et tu viens

Souriante et brillante

Dans la pénombre d’un soir


Il fait si chaud

Les âmes vont en tels déserts

Que tout sourire en est le rafraîchissement


*


Solitude

La pire est celle qui va

Parmi d’autres


Solitude

Qui te colle à la peau

Même dans la foule

Même parmi les autres


Solitude

Elle se lit sur les visages apeurés


Xavier Lainé


13 juillet 2022 (1)


lundi 25 juillet 2022

Comme le lierre 11

 




L’enfant devenu adulte ne pouvait se lever matin

Il ne s’était pas couché

Avait vidé tout ce qu’il trouvait d’alcools forts

Puis marchait

Couronne de travers sur la tête

Roi d’un royaume

Qui n’existait que dans ses rêves

Royaume dont il était seul démiurge

Oubliant qu’en ce carnaval de la vie

Les manants ne sont rois qu’un seul jour


L’enfant devenu adulte ne pouvait se lever

Le jour était trop aveuglant à ses yeux ébrieux

Il avançait comme un somnambule

Sorti de l’école trop tôt pour comprendre

Que les rêves sont nécessaires

Peuvent être même bénéfiques

À la seule condition de ne pas s’y brûler

En mettant le feu aux alcools absorbés

Pour oublier


L’enfant devenu adulte ne pouvait pas voir

Contre quels murs il allait se heurter

Perdu dans les rêves vendus

Sur les écrans d’un monde fictif

Où chacun pourrait se croire roi

Monde virtuel où errent les manants

Subjugués et ignorants de l’âpre réalité


On ne renverse pas les tyrans avec des rêves

Mais parfois aussi avec des pavés bien réfléchis


Xavier Lainé


11 juillet 2022


dimanche 24 juillet 2022

Comme le lierre 10

 




Tous suspects

Tous dans la crainte du soupçon

Tous dans la retenue des gestes

Sous les regards accusateurs

Ce qui fit de nous des humains

Définitivement banni

Ne demeurent que les vieilles dominations


Sans raison

Certes

Sans raison


Savent-ils les violeurs

Ce qu’ils tuent en l’humain

En souillant la femme

Savent-ils


Quelle sordide traduction

Du monde ils entretiennent

Où chacun se fait maître de l’autre

Maître de son corps et de son âme

Sinistres esclavagistes

Esprits étriqués


*


Le champ de toute poésie se meurt

Sous les coups des violeurs

Sous l’extinction des tendresses si spontanées

Qu’elles ne supportent aucun soupçon

La poésie s’étiole sous les coups portés à l’amour


Xavier Lainé


10 juillet 2022


samedi 23 juillet 2022

Comme le lierre 9

 




En fait, il me faut l’avouer : je suis assez égaré en ce monde.

Car :

Quand il faut suivre, je ne sais pas ;

Quand il faut aller devant, je ne sais pas plus ;

Quand il faut commander, je ne sais pas ;

Quand il faut conseiller, je ne sais vraiment pas ;

Quand il faut être à ma place, j’hésite ;

Mais :

Me mettre à la place de l’autre, ça je sais faire ;

Me faire tout petit dans la foule, je suis expert.


*


« Je m’suis fait tout p’tit devant une poupée

Qui crie « maman » quand on la touche »

G. Brassens


Vierges effarouchées d’un temps étrange

Un temps sans toucher ni baisers

De peur d’on ne sait quelle contamination


Cries d’orfraie au moindre geste

Trop emprunt de mâle assurance


Dès lors ne plus bouger

Attendre dans la crainte du procès


Savons-nous ce que nous perdons ?

Savent-ils les mâles absurdes de la domination

En quelles sombres relations ils nous plongent

En quelles solitudes aussi


Xavier Lainé


9-10 juillet 2022


vendredi 22 juillet 2022

Comme le lierre 8

 




« Comprendre, comprendre la visibilité de l’invisible est l’oeuvre d’une vie. » Peter Brook, L’espace vide, Ecrits sur le théâtre, éditions Points Essais, 1977


Tu ne fais que fuir

En fait

Tu ne fais que fuir


Fuir la douleur de ce qui toujours se perd

Fond dans le paysage d’une vie

Te laisse sanglant sur le bord d’un chemin chaotique


Tu crois « faire le deuil »

Tu ne fais que construire des digues

Pour éviter la marée des peines

Ne pas te noyer sous ce déluge


Tu en vois qui ne connaissent rien

De ces affres qui t’accablent

À moins que


À moins que

Comme toi

Ils dressent barrages

Pour ne pas trop plier 

Sous le joug des douleurs


Tu vas l’esprit tranquille

Tenter de tenir la tête hors de l’eau

À pauvres gens qui souffrent plus que toi

Qui te voient comme tu n’es pas

Planqué derrière tes persiennes


Xavier Lainé


8 juillet 2022


jeudi 21 juillet 2022

Comme le lierre 7

 




Je ne sais plus ce qui

Du climat ou du déni

Me rend le plus anxieux


Car sur l’un je n’ai pas grand pouvoir

Que sur l’autre

Avec juste un peu d’ouverture des esprits

Peut-être


Mais non

Le déni est immense

Qui vous mène à rouler 

Rouler

Rouler

Déni qui vous mène 

À faire comme si

À vous donner l’illusion de 

À ne surtout rien changer

De vos habitudes


De supermarchés

En stations services

Vous allez

Je vous regarde

Je ne comprends pas

Mais peut-être suis-je moi

Profondément atteint

Pour ne pas pouvoir m’y faire

À ne savoir vous voir

Vacquer l’air de rien

Tandis que tout s’effondre


Xavier Lainé


7 juillet 2022


mercredi 20 juillet 2022

Comme le lierre 6

 




Ce sera jour de grande fraternité des dominants

Réunis en assemblée dont ils se pensent les propriétaires

Comme ils se pensent aussi propriétaires de la terre et des cieux

Propriétaires de toutes richesses dont ils s’arrogent les titres


Ce sera jour de grande fraternité des pires

Réunis en l’assemblée d’un peuple qu’ils veulent invisible

J’aurai une pensée émue pour tous ceux qui

Croyant faire barrage à l’un votèrent pour l’autre

Croyant faire barrage à l’autre votèrent pour l’un

Ils n’auront plus que leurs yeux pour pleurer

Car les uns et les autres

En sacro-sainte union de défense des un pour cent

Scelleront dans le marbre et aux yeux de tous

Une alliance qui signe notre défaite


Ce sera jour de grande fraternité sur les bancs

Ce sera jour d’intenses douleurs dans les arrière-bancs

De larmes à verser de n’avoir pas su

Pas pu

Pas vu

Pas réfléchi assez


Ce sera jour de grande tristesse pour celui qui n’aura cessé

De crier eu feu quand tous détournaient leur regard


Le feu est dans la demeure

Il pérore à l’extrême droite d’un hémicycle défiguré

Le climat s’en frottera les mains

De nous voir tous avancer à grande vitesse

Vers son mur de catastrophes


Xavier Lainé


6 juillet 2022


mardi 19 juillet 2022

Comme le lierre 5

 




« Jeune, l’un se donnait pour mission d’être le vengeur des mondes incréés, de donner l’existence à cela qui n’existe pas. L’autre s’assignait la mission de fonder ex nihilo des unions qui s’appuyaient sur des revendications d’indépendance. L’un voulait être l’indocile ouvrier des mots. L’autre rêvait de faire la révolution. » Linda Lê, De personne je ne fus le contemporain, éditions Stock, 2022


Des rencontres improbables jaillissent tant de ferments.

Les mots sont plantés dans les couches profondes de l’humanité.

Il faut en tourner et retourner la terre pour que germent les poèmes.


Ce que raconte Linda.

Ce moment Mandelstam en futur exilé, tombant sous le couperet des idées forcenées.

Force nées.

Nées comme néant qui nous attendait pour longtemps.

Mais il était de bon ton de n’en rien voir.

De bon ton de considérer un mal unilatéralement déposé.

De ce côté ou de l’autre d’un « rideau de fer ».

En quelle idée du monde avons nous grandi ?


Ce que raconte Linda.

Ce moment Ho, soulevant son peuple à bout de poème.

Ce moment Ho, et d’occident français convaincu d’être « la civilisation ».

Ce moment Ho, qui s’efface ensuite.

Car la poème a cette brièveté.

Aussi vite il brille aussi vite disparaît des mémoires.

Parfois il se trouve posé sur son piédestal.

Par ceux qui déportaient Mandelstam.


Des rencontres improbables jaillissent aussi les monstres.

Dès lors qu’on les laisse grandir et prospérer sur nos territoires de fatigue.


Xavier Lainé


5 juillet 2022