L’être est irréductible à la somme de ses parties
C’est le refrain qui monte
De sous le galet où mon sommeil pose son pied
Mais on vous dit de regarder le doigt
Non la lune ou le bras qui dirige le doigt
On vous dit
On vous dit que pour être en prison
Il faut bien avoir commis quelque crime
Que la mort est méritée
Que la maladie aussi
Ce qui monte de sous le galet
Où mon sommeil pose le pied
C’est ceci
L’être est irréductible à la somme de ses parties
C’est ce qui fait science
Si j’observe les parties
C’est bien pour tenter d’en approcher la somme
Mais comme la quadrature du cercle
Il en manque toujours un bout
Alors je lis
Étrange résonance
Que ce qui importe dans un monde de pensée unique
C’est de regarder le doigt
Puisque le doigt est ma spécialité
Alors je soigne le doigt
Je dois
Même si
Dans mon sommeil
Je pose mon pied sur un galet
Qui me dit que non
Que c’est injuste
De me limiter à ne voir
Que ce qu’on me dit qu’il faut voir
Je lis et j’écris
Je joins mon cri à tant d’autres
Perdus dans les brumes de l’époque
Semées de mains de maîtres
Qui assoient leur pouvoir sur les fumées semées
Qui vous dicte de ne voir que le doigt
Quand votre instinct vous dit
De regarder le bras qui le porte
Le corps qui soutient le bras
Le sol qui soutient le corps
Et la lune que montre le doigt
J’écris
« Votre cri est comme le mien, parfois un peu "étranglé", et en tous cas, étranger à une forme de pensée unique, inique, imposée, qui ne sied qu'à qui a pris la mauvaise habitude de courber l'échine pour ne voir que le doigt quand il faudrait regarder la lune. »
J’écris
Je crie
C’est ainsi
Même si mon cri est voué au silence et à la brume
Même si les cris étouffés montent
De sous les galets où mes pieds se posent
Traversant le gué de la vie
Perdant de vue la rive de mon départ
Ne voyant rien de l’autre
Mais toujours montent les cris
Des noyés
Des paumés du petit matin
Et du soir
Et de la nuit
Toujours montent les cris
Toujours d’où que se trouvent les prisons
Il monte
Ils sont ce corps vivant qui se prolonge dans un bras
Derrière un doigt
Qui me montre la lune
Mon esprit rebelle ne peut se faire
À l’idée de ne regarder que le doigt
Que la plaie sans un mot pour le couteau
Que les mots comme galets du gué
S’avèrent instables et incertains
Voilà qui me situe chez les vivants
Pas du côté des doctes qui dictent
Ce que je dois savoir pour leur complaire
Au bout de leur dictée
Mon esprit rebelle voit déjà la dictature
Cette façon de gouverner qui ne souffre pas
Qui impose la souffrance
En ne souffrant aucune opposition
Et condamne à la brume et à l’eau froide
Qui ne fait que commencer à voir et entendre
Dans la nuit
La multitude des cris
*
Je vis avec ça
Cette sensation forte
De n’être réductible à aucune de mes parties
D’être un tout vivant
Plus ou moins en équilibre
Instable
Je vois avec ça
Cette perception de ce fragile équilibre
De le savoir sans cesse compromis
Remis en question
De devoir lui en inventer un autre
Pour continuer ma route
Sauter de pierre en pierre
Sur le gué de vivre
Il en est ainsi pour chacun
Car vivre n’est pas une ligne droite
Au contraire
Rien n’est acquis
Tout doit s’inventer à chaque pierre du chemin
L’être n’est en aucun cas
Réductible à la somme de ses parties
Ni réductible à ce que l’environnement
Lui fait subir
Tout nous façonne et en retour
Nous sommes avec les autres vivants
Des fabricants de vie
Xavier Lainé
19 février 2024