jeudi 25 avril 2024

Pas savoir 2

 




À quoi reconnait-on la déprime du siècle

Sinon à l’absence d’humour un premier avril


La neurasthénie gagne du terrain

On se lève fatigué

On traverse le jour fatigué

On se couche fatigué

Chaque jour apporte son grain

À l’épuisement général


Il est évident que depuis trop longtemps

Nous avons perdu le contrôle de nos vies

Invités à en confier la destinée

En des mains peu secourable 

Qui ne travaillent qu’à leur petite gloire

Quand il faudrait oeuvrer au commun


C’est là que

Abasourdis par la violence systémique

Nous sommes restés prostrés

Tandis que les égoïstes en tous genres

Prenaient les rênes pour ne plus les lâcher

Indigents de la pensée ils ne rêvent

Que d’être élus 

De voir leur nom sur une affiche 

Les voici bouffis d’orgueil


Lorsque le bâton de l’abstention se retourne

Ils trouvent encore le moyen de crier victoire

Ils ne savent que nous enfoncer

Dans des discours généreux certes

Mais devenus stériles car incompréhensibles


Ils ont oublié leur vocation première

Éduquer et instruire

Donner les outils de la lutte

À ceux qui en sont dépourvus

Oublier leur petite gloire

Pour mieux défendre les humains du commun


C’est là que quelque chose a foiré

Quelque chose d’essentiel

Qui fut le ferment des dépossessions successives

À la sidération d’un coup d’Etat violent et sanguinaire

A succédé l’abattement et la solitude absolue

Chacun voué au culte de la débrouille individuelle


Le ver était dans le fruit

Que le fascisme néo-libéral a su faire fructifier

Chacun seul devant sa lucarne télévisuelle

Puis devant son écran d’ordinateur 

Puis devant son téléphone

Devenu consommateur programmé

Ne pouvait qu’oublier ce qui nous distingue

L’élan de solidarité qui fait de nous des humains


On regarde sans réaction le malheur des autres

Les famines et les guerres

Les nettoyages ethniques et les génocides

Comme s’ił s’agissait de fictions

L’indifférence devient la règle

Cultivée par médias aux ordres de leurs possédants

Faisant de nos cerveaux un espace libre pour Coca-Cola

Nous voici devant l’apparence de leur victoire



Xavier Lainé

2 avril 2024


mercredi 24 avril 2024

Pas savoir 1

 






Tant d’histoires qu’on raconte

Qui se font culte et parfois dogmes

Mais qui restent des histoires

Pour occuper les esprits

En mal de vivre


Il faudrait pouvoir ne rien croire

Juste poser les jalons printaniers

D’une vie follement arrosée

D’un espoir à créer


Je pourrais moi aussi

Écrire de vaines blagues

Qui vous feraient sourire

À défaut d’en rire


Il ne resterait qu’à attendre

Que vienne d’un au-delà de ce monde

Une résurrection des morts

Qui serait sélective

Les plus pauvres d’abord

Les pauvres cons de morts pour rien

Disait le berger des mots


Mais dans ce sens là ça ne marche pas

Car certains meurent plus que d’autres

Certains ont la mort qui pèse plus que d’autres

On a la mort sélective le premier avril

Mais pas seulement


*


Ce n’est pas une blague

Quelque part nous n’avons pas su

Dire cette confiscation néo-libérale

Dénoncer cet ordre construit 

Sur le meurtre et la torture


Ils n’ont cessé de vous dire 

Que nos pensées étaient mauvaises

Qu’en détruisant leur domination

Nous détruirions aussi nos petites vies

Nos vies minuscules au regard des fortunes

Qu’ils étaient décidé à engranger et défendre


Nous n’avons pas su depuis ce demi-siècle

Montrer que nos idées sont irréductibles

Car elles n’ont pas la rigidité des monolithes

Elles ne sont pas gravées dans le marbre des dogmes

Tandis que parmi nous les fauteurs de désespoir

Signaient trop souvent pacte avec le diable


Sous la contrainte qu’ils disaient

Mais c’est qu’ils avaient peur eux-mêmes

Les fossoyeurs de pensées généreuses

Ils avaient peur pour eux-mêmes

Que vous soyez noyés dans cet enfer

Réduits à n’être que les suppôts du commerce

Dont les fossoyeurs de toutes démocraties

Tiraient profits et dividendes


Nous n’avons pas su maintenir 

Du fond du gouffre où ils nous ont plongés

Coupant les doigts de Jara

Assassinant Pablo Neruda

La parole d’espoir qui était la nôtre

Qui n’était pas celle d’un bloc dogmatique

Condamnant aux goulags les révolutionnaires 

Qui espéraient en des idées communes

Construire un autre monde


Celui dont vous héritez est la suite logique

D’une tragédie dont les propriétaires de la presse

Font tout pour effacer la mémoire


Vous voici vous cognant aux murs trop étroits

De leur monde ensanglanté

Qui ne cesse de s’étendre en ruines et misères


C’est que nous avons vu surgir

Cette bête immonde détournant l’idée même de liberté

Pour la réduire à celle de consommer toujours plus

Tandis qu’ils réduisent la terre elle-même

À devenir potentiellement notre tombeau


Et nous avons laissé par naïveté malsaine

Le pouvoir à des trompes-l’oeil

Des fac-similés des avatars sans pensée

Détournant nos idées généreuses

Pour mieux les mettre à genoux

Les corrompre et les retourner comme gants

Au service de leurs maîtres


Ce n’est pas une blague

Nous devons relever le gant des espérances refoulées

Trop longtemps enfouies et murées

Sous la pression des dogmes assassins

Formés dans les écoles du fascisme néo-libéral



Xavier Lainé

1er avril 2024


mardi 23 avril 2024

Folies 31

 



Image : Graphèmes enfantins- Xavier Lainé (avec l'accord de l'enfant)



Comment dire combien Sébastien peut avoir raison

D’écrire depuis son temps lointain

Que nous voici embarqués sur la nef des fous


La folie dure un jour

Elle traverse une semaine

Puis dure un mois

Puis franchi les frontières de celui-là

Et envahit tout


Elle envahit tout cette folie dure

Elle dure

Elle se traduit en longue liste de pauvres gens

Jetés du pont de la société

Dans le coeur même de la misère

De la misère dans la rivière

De la misère ou de la guerre

Dans les eaux troubles de l’oubli


Nous en sommes là de la folie

D’un monde dont on avait cru sortir

Mais il semble que si nous en sommes sortis

C’est sans tirer les leçons de notre passé

Passé qui se décompose au fond de nos mémoires

Alors comme le poisson rouge

Nous repassons sans cesse par la même case

Où nous attendent nos peurs et nos angoisses

C’est folie encore qui traverse les mois et qui dure

À se demander si un jour nous saurions

Enfin mettre un terme aux dominations absurdes



Xavier Lainé

31 mars 2024