mardi 30 novembre 2021

C’est toujours l’automne quelque part 17

 




Parfois ne demeurent

Qu’infinis pleurs

Pieds qui errent 

Feuilles chues


Ciel de larmes

Puisque ne savons

Qui sommes 

Ni que faire


Parfois ne demeurent

Que maigres souvenirs

De saisons enfuies

Vers d’étranges frontières


Un grand froid gagne

Au dedans des êtres

Au coeur des choses

Un triste tremblement


Comme toi

Ou toi encore

Je suis

Passant fantomatique


Rien ne me distingue

Sinon tout au fond

Cette tentative d’exister

Au delà des murs posés


Mes pieds dans les ruines


Xavier Lainé


26 novembre 2021 (1)


lundi 29 novembre 2021

Effeuiller les jours (Ou la vie sous contrainte) 6

 




C'est un jour de colère désormais habituelle.

Colère lorsqu'on me dit qu'il faudrait avancer apaisé.

Apaisé lorsque le monde, à feu et à sang pour les dividendes d'une poignée d'inhumains, bascule toujours plus dans le chaos des systèmes totalitaires ?

Apaisé lorsque des femmes, des enfants, des hommes, fuient sous les bombes made in France ?

Apaisé lorsque ces pauvres hères affublés de l'étiquette "migrants" se noient, meurent sous les mauvais coup de ce pays qu'ils croyaient "terre d'accueil et des droits de l'homme" ?

Apaisé lorsqu'ici même la logique d'apartheid se banalise pour un café en terrasse ou le plaisir bien bourgeois d'une place au théâtre ?


C'est un jour de colère et de révolte.

Colère et révolte que plus rien ne vient apaiser lorsque je vous observe aller comme à votre ordinaire, masqués et soumis, présentant bien docilement votre "droit de passage" obtenu par injection à l'essai, bon petits cobayes d'un monde à l'envers qui ne sait plus rien du vivant, des vivants que nous sommes parmi tous les autres vivants.

Qui des uns ou des autres passera le premier la ligne d'arrivée ?

Pas besoin d'être devin : nous serons bien, pauvres pas encore humains, par nous vouer à notre perte pour quelques menues monnaies avant même que le reste du vivant, dans un soubresaut cataclysmique ne vienne nous inviter à raison.


C'est un jour de raisonnable colère.

Qu'un virus vienne, quoi de plus "naturel" ?

Mais que dans nos impayables prétentions nous allions, fiers de notre progrès sans limite, lui faire la guerre sans même lire le message qu'il nous porte, faut-il en rire ou en pleurer ?

Nous voici, bande d'incapables, soumis ou arrogants, courants de ci de là, après les vaines gloires et les paillettes d'un monde sans âme, prétentieux savants alignant nos mantras de connaissance prétendues définitives, buvant à la bouche des gourous persuadés détenir vérité, mais inaptes à conjoindre la moindre réflexion pour sortir de l'ornière.


Bien sûr, sont toujours décoctions d'automne pour tenter d'apaiser les colères, insipides discours de chefs visant à devenir grands vizirs à la place du grand vizir.

Mais toujours la soumission dans un quotidien malade avance, scandaleusement banalisée en l'absence de pensées critiques et contradictoires.


Et surtout ne m'applaudissez pas, ne m'approuvez pas, réfléchissez et vivez l'esprit et le coeur ouvert.


Xavier Lainé



dimanche 28 novembre 2021

C’est toujours l’automne quelque part 16

 




C’est pur gris qui vient 

À grands coups d’estompes

Voiler luminosité du ciel


Oiseaux frileux lancent

Petits cris sous la génoise


Puis te vient l’envie

De te blottir toi aussi

Pour verser larme

Dont tu n’aurais idée

Si elles seraient

De tristesse ou de bonheur


Juste te blottir

Rencontrer l’âme tendre

Où pousser doux soupirs


C’est un pur gris qui s’en vient

À l’unisson des âmes errantes

Qui marchent en regardant leurs pieds


Ce sont regards hagards 

Posés au-dessus des masques imposés


Un automne des coeurs

Qui emporte le tien 

Jusqu’aux frontières de douleurs

Où s’accrochent les éternelles migrations

Derrière les murs dressés

Tendresse saigne


Xavier Lainé


24 novembre 2021


samedi 27 novembre 2021

Effeuiller les jours (Ou la vie sous contrainte) 5

 




C'est un jour de parole difficile, où tu ne sais que répondre lorsqu'il s'agit de valeur de ton acte. Qui donc peut en avoir une idée, sinon celle ou celui qui le reçoit ?


C'est un jour de parole difficile, où tes yeux observent la scène qui se referme sur les agoras défiant le temps.

Le liesse vient couvrir les mots sous les yeux amusés d'un élu qui n'en demandait pas tant.

Mais on te dit que non, que rien n'est volontaire dans ce chevauchement.

La liesse, pourquoi pas ?

La bravade d'un café pris en terrasse qui ne demande rien d'autre que la valeur d'un café (mais combien ça vaut, vraiment un café sous l'épée de Damoclès d'un interdit ?), pourquoi pas ?

L'indifférence notoire des consuméristes du samedi, pourquoi pas ?


C'est un jour où, tandis que la liesse accompagne les mariés, tu ressens ton divorce consommé d'avec un monde qui plie sous la perversité : on ne t'interdit pas, on fait en sorte que...

On ne t'oblige pas, on fait en sorte que...


C'est un jour où tu voudrais que tous les vernis de façade, les apparences trompeuses, s'écroulent.

Un jour où tu voudrais savoir confondre les hypocrisies qui mènent à accepter de vivre sans visage, éternellement cachés sous un masque de honte bue, avalée, digérée.

Un jour où ton allergie à la perversité d'une langue travestie sous la sensure (merci, Bernard Noël) explose sous un soleil d'automne.


C'est un jour de feuillets vains emportés dans la nuit d'un temps qui tolère l'obscur en prenant l'artifice des sunlights pour la lumière solaire des esprits libérés.

Un jour où la liberté s'assoit où nul n'a dressé son couvert (merci René Char), tant le mot n'est plus qu'ombre de lui-même.


C'est un jour qui ressemble tant à la nuit que tu te demandes si un jour la pensée serait en mesure de se réveiller, de s'étirer, puis d'aller mettre un grand coup de pied dans la fourmilières des conformités.


Xavier Lainé

vendredi 26 novembre 2021

C’est toujours l’automne quelque part 15

 




Mais bien sûr que tu te penches

Sur la beauté des saisons qui passent


Tu écoutes la sève

Qui lentement descend vers les racines

Et ce ronflement de la terre

Où peu à peu toute vie

Entre en la léthargie des hivers


Tu sais derrière les branches nues

Lire la lente gestation 

Qui vient en petits boutons verts

Annoncer le printemps


Bien sûr que tu te penches

Sur la beauté que les hommes 

Savent faire jaillir

Lorsqu’ils entrent en communion

Avec les forces d’une nature

Dont ils sont les rejetons impétueux


Tu les vois

En cet automne où déjà

L’hiver pointe son nez 

Tu n’arrives pas à les imaginer

Les hommes

Incapables de fomenter quelque printemps

Sous la carapace  qu’ils se fabriquent

Pour accuser les coups bas

Que seuls inhumains savent infliger

À qui se lève tôt et entreprends de lutter


Xavier Lainé


22 novembre 2021


jeudi 25 novembre 2021

Effeuiller les jours (Ou la vie sous contrainte) 4

 




C'est le jour où tu regardes effaré des chiffres qui en disent long sur l'achat de ton silence : à quoi ça rime de faire ton travail à 20€ la demi-heure remboursés à 60% par l'"Assurance maladie" quand tu pourrais curer le nez de tes patients toutes les dix minutes pour 25€ sans prise en charge ?


C'est le jour où tu as prétendu aux fausses amitiés en réseau et où tu t'en voulais, pliant sous l'avalanche des messages de soutien, sans savoir comment y répondre.


C'est un jour bien ordinaire où tu vis mal de ne pouvoir trouver le temps d'écrire, passant ton temps précieux à aiguiser tes défenses en tous genres.


Vont ainsi les jours "soignants" que tout le monde croit qu'il suffit d'ouvrir ta porte et d'appliquer tes techniques de sorciers pour réparer les dommages collatéraux d'un monde malade.

Mais toi, c'est chaque jour la même chose, tu ne sais pas, tu ne sais rien, tu te demandes ce que tu pourrais bien faire pour réparer le vivant en chacun, tellement maltraité que plus rien ne va.


C'est le jour où tu vois bien l'incompréhension de ton discours qui dit que nous ne sommes pas qu'os, muscles, neurones et qu'il ne suffit pas de molécules pour éradiquer les maux qui nous taraudent.

C'est chaque jour ainsi puisque depuis si longtemps nous avons désappris à faire confiance au vivant.


C'est le jour où tu poses commentaire en ce sens sous interview d'un "président de conseil scientifique", puis tu le retires sous l'avalanche des incompréhensions comme autant de plaies ouvertes que la langue ne cesse de creuser quand les mots ne disent plus, ne parlent plus, ou se perdent en glissements sémantiques infinis.


C'est le jour, et puis la nuit, où tu te dis que la tendresse des racines bercerait mieux ton sommeil que le faux confort d'une maison.

Où tu voudrais ne plus te réveiller... ou te réveiller mais dans la grande liesse libératrice de tous ces jougs qui s'accumulent depuis tant d'années de domination de ton genre sur tout ce qui respire et s'émeut.


C'est le jour où tu lis ce que des femmes sont en train d'accomplir, sous la pression des guerres, sur un territoire fracassé par les hommes et leur penchant guerrier dominant.

Et tu te dis que, si tu savais ne pas être un boulet masculin de plus aux pieds de leur rêve, tu irais bien les accompagner dans leur lutte.


C'est un jour comme ça, d'aube délicate posée sur un ciel timide.

Tu n'en es qu'à l'automne de l'âge, et tu voudrais voir tes rêves adolescents, qui ne t'ont jamais quittés, eux, prendre leur envol et se déposer là dans la beauté d'un jour paré de feuillages d'or et de lumière.


Xavier Lainé



mardi 23 novembre 2021

C’est toujours l’automne quelque part 14

 




Dans mes rêves les plus fous

J’aurais cabane de branche et de feuilles jaunies

Où héberger mon âme qui pleure à l’unisson des cieux


Dans mes rêves les plus fous

J’irai attendre au milieu des bois

La visite silencieuse d’amis sauvages 


Dans mes rêves les plus fous

Il suffirait d’un feu de bois

D’une étreinte d’un baiser


Dans mes rêves les plus fous

Quelle que soit la saison

Nous serions de cette fête


Dans mes rêves les plus fous

L’amour serait là

Jouant sur la carte des saisons


Dans mes rêves les plus fous

Il se tiendrait debout

Un petit sourire au fond des yeux


Dans mes rêves les plus fous

Le monde autour prendrait les couleurs

De tes yeux, de ton visage éclairé par la flamme


Dans mes rêves les plus fous

Sur une table de guingois

Nous partagerions le miel de nos pensées


Xavier Lainé


18 novembre 2021


lundi 22 novembre 2021

Effeuiller les jours (Ou la vie sous contrainte) 3

 




C'est le jour où tu apprends tard la veille que l'aide apportée en validation soignante d'auto tests n'était plus possible.

C'est aussi le jour où tu pourrais être interdit d'exercer si.


Mais...


Mais c'est le jour où tu ne t'interdiras rien.


Ton fils est au fond de son lit : il a appris que son BAC ne serait de toutes les façons pas validé pour deux semaines de stages non effectuées au moment du premier confinement.

Tu n'as plus d'argument, plus de logique à avancer dans un système qui déraille chaque jour un peu plus.


Dans cette apothéose du rien, tu t'en vas ouvrir ta porte sans plus aucune conviction, juste par nécessité de ne laisser personne en jachère.

Aider malgré tout, puisque tu ne peux pas faire autrement.

Sans savoir si demain ce serait encore possible.


Mais c'est le jour aussi où tout le monde s'en fout.

Jour où on ironise sur tes propos, alors tu les retires.

Jour où tu voudrais te taire, t'abstraire pour ne plus avoir à subir l'abject et le vulgaire.

C'est un jour sans comme tant depuis deux ans.


Le frais des collines te fait un clin d'oeil : et si tu ne te refusais pas d'aller faire travail buissonnier, comme l'autre l'école ?


C'est le jour où tes propres mots, tu regrettes de les jeter en pâture sur des réseaux sans âme, d'amitiés évanescentes.

Le vie est ailleurs, et ce système ne sait que la corrompre.


Xavier Lainé




dimanche 21 novembre 2021

C’est toujours l’automne quelque part 13

 




En gris et or se découvre le jour

Que sais-je encore du ciel

Sinon que brume le voile

Comme vont voilées et muettes

Femmes soumises aux sombres

Qui vont de certitudes en servitudes

Satisfaire étranges exigences

Que nul dieu ne proclame


En gris et or se découvre le temps

Que sais-je encore des hommes

Sinon le délabrement du monde

Qui n’a rien de saisonnier

En ce pitoyable acharnement

Bien sur que ce monde a un genre

Celui de la domination sans partage

D’un automne qui n’en finit plus


En gris et or vont mes rêves

Qui se déposent comme limon

Sur les rives d’incertaines utopies

Me voici devant le tableau 

D’apocalyptiques défaites

L’empreinte de mon pas

S’éloigne et s’efface à jamais

Qui demain pour lire encore


En gris et or va ma page

Qui voudrait ouvrir les yeux

Sur un ciel radieux

Sur beautés sublimes


Xavier Lainé


15 novembre 2021


Effeuiller les jours (Ou la vie sous contrainte) 2

 






C'est le jour où un membre du "conseil scientifique" s'exprime et balance tout : "Nous n’avions pas prévu que la quatrième vague se ralentirait aussi vite. Cela s’explique en partie par le très haut niveau de vaccination en France et par la très grande efficacité des vaccins, d’ampleur inattendue. Il y a probablement d’autres facteurs qui nous échappent un peu. Cela ne signifie pas pour autant que la quatrième vague est complètement derrière nous. Avec l’arrivée de l’automne, les comportements changent, on vit en milieu clos, une reprise de la circulation virale est donc possible." 

Donc, comme nous le savions déjà, il n'est pas de science capable de tout prévoir.

Ce qui, bien entendu, permet quand même d'affirmer que c'est grâce à la vaccination que...

Tout en expliquant que quelque chose continue d'échapper à la science (mais ça, nous en étions convaincus depuis longtemps).

Que les milieux clos de la rentrée automnale puis hivernale peuvent entraîner des circulations virales supérieures (donc que confiner les gens aurait pu augmenter la dite circulation).

Donc qu'on peut, dans un docte langage dire tout et son contraire et se dire scientifique...


Xavier Lainé



vendredi 19 novembre 2021

C’est toujours l’automne quelque part 12

 




Dès lors j’irai dans les bois

Mes pieds auront l’ivresse de l’humus 

Ma tête dans les frondaisons

Les branches nues caresseront le ciel


Je serai dans la solitude des arbres

Seul vivant à mille lieux à la ronde

Ma voix se mettra à hurler

Dans le crépuscule rayonnant


Regardez

Regardez-moi


Je n’ai pas d’autre consistance

Que le silence des brumes

La feulement du vent 

Sous la porte des désirs vains


Quelques feuilles d’or

S’accrochent encore 

Elles résistent au vent mauvais


Quelques feuilles d’or

Feront un diadème de saison

Sur ton front endormi


Mes pieds traineront

Dans l’épaisseur des feuilles


Je me confondrais avec la terre

Pour bercer ton sommeil


Xavier Lainé


14 novembre 2021


jeudi 18 novembre 2021

Effeuiller les jours (Ou la vie sous contrainte) 1

 




C’est un jour où s’en vont envahir médiathèque ceux qui défendent « l’accès à la culture ».


C’est un jour où ils ne voient pas ce qu’il y a de condescendant dans cette expression « accès à la culture ».


C’est un jour où il est devenu tellement admis qu’il y aurait d’un côté ceux qui ont les codes d’accès et ceux qui en seraient dépourvus.

Une forme de colonialisme des esprits qui conduit à toutes les ségrégations.

Une manière de se concevoir comme dépourvu du mot et de l’esprit tandis que d’autres pourraient venir te dire ce qu’il faut penser, faire, supporter.


C’est un jour de colonisation des esprits par une société du spectacle au bord du gouffre qui finit par accepter le pire au nom du plus pire qui sévit au-delà des frontières.


C’est un jour d’où sont exclus les miséreux de la culture laissés en jachère avec dans la tête l’idée qu’elle ne serait pas pour eux.


C’est un jour de culture triste car amputée de celle qui se tisse dans le quotidien de nos si humaines conditions.


Xavier Lainé


https://www.francemusique.fr/emissions/carnet-de-voyage/ecoutes-partagees-avec-bernard-lortat-jacob-19610

mercredi 17 novembre 2021

C’est toujours l’automne quelque part 11








(Sur Miserere mei Deus de Allegri)


Parfois la nuit m'égare

Les rêves suivent leurs chemins d'étoile

Si loin des murs et barrières

Déjouant les frontières absurdes

Que les hommes dressent


Alors une voix s'en vient 

Qui se fait légère brume déposée

Sur des rivages inconnus

Où tout savoir se repose

En humilité et infinies grâces


C'est la nuit encore

C'est l'hiver qui fourbit ses armes

Mais c'est un hymne de printemps

Qui sait maintenir la flamme 

Allumée au plus profond


Parfois la nuit m'égare

Alors une voix s'en vient

Allumer les lumières


*


Il me faut traverser cet automne permanent

Celui qui lentement nous initie

Aux froidures et gelées

Où s’arrêtent pensées transies

Puis attendre un printemps des coeurs


Xavier Lainé


12-13 novembre 2021







mardi 16 novembre 2021

Effeuiller les jours (Ou la vie sous contrainte) Préambule

 





« Si la culture ça consiste à aller au théâtre et à regarder des gens qui font des choses parfaitement ennuyeuses, moi, non, ce n’est pas mon affaire. Je pense que la façon de s’impliquer dans une culture en tant qu’acteur, créateur me paraît une dimension essentielle de la culture et si on perd ça on perd beaucoup.

Cette mise en relation de soi-même en tant que sa potentialité de création, d’invention, d’expression, c’est ça qu’on cherche.

Je refuse cette société du spectacle qui nous est imposée. »

Bernard Lortat-Jacob, anthropomusicologue, interview France-Musique, 7 septembre 2014


« Si l’on tient pour vraisemblable que l’idéologie sort généralement de masque à l’intérêt personnel, on a quelque raison de présumer que les intellectuels, en interprétant l’histoire et en formulant des conceptions politiques, tendent à adopter des positions élitistes, à condamner les mouvements populaires  et la participation  du peuple à la prise de décisions, en insistant a contrario sur la nécessité de s’en remettre à ceux qui possèdent le savoir et la connaissance requis — du moins  à ce qu’ils prétendent — pour gérer la société et maîtriser le changement social. »

Noam Chomsky, Raison & liberté, éditions Agone


« S’informer, (se) former, (se) transformer, voilà ce que l’épistémologie de la démocratie enseigne à la politique. Et c’est ce qu’il y a, derrière le grand continuum du soin : l’attention aux idées, à la connaissance et l’attention aux êtres et au monde.

Se mettre au service des humanités et de la santé, ce n’est pas s’inscrire contre la technique. Au contraire, c’est lui donner sa seule orientation viable, sa finalité. Les humanités sont technophiles par essence ; elles demeurent un grand plaidoyer pour la science, les machines, au sens même où celles-ci ont pour finalité d’émanciper l’homme et de l’aider à poursuivre sa sortie de l’état de minorité. »

Cynthia Fleury, Le soin est un humanisme, éditions Gallimard


« Le moindre mouvement vers la complexité, une chanson, un poème, le tressaillement d’un peuple, exalte infiniment le tout et fait liaison avec le plus petit détail. La conscience s’élargit. L’imaginaire s’étend. Alors cette conscience du Tout-Monde demande à être déclarée, ou reconnue, en termes de politiques et de poétiques. »

Edouard Glissant & Patrick Chamoiseau, L’intraitable beauté du monde, in Manifestes, éditions La Découverte


Être intellectuel, artiste, écrivain, mais peut-être plus fondamentalement prendre au sérieux son métier, son destin d’« homme », cela signifie s’obliger à l’engagement, voire à la lutte, à la prise de parti. Car la neutralité est un choix : celui de la complicité passive.

Frédéric Gros, Désobéir, éditions Albin Michel


dimanche 14 novembre 2021

Santé publique ou système de soin ?

 






Oser penser. Ce risque-là de la pensée construit la connaissance et le soin. Car prendre soin de quelqu’un, c’est prendre le risque de son émancipation, et donc de la séparation d’avec soi-même. C’est précisément l’amener vers son autonomie, lui laissant le privilège de la coupure et pour soi le sentiment d’abandon et d’ingratitude, inévitable.

Cynthia Fleury, Le soin est un humanisme


C'est bien parce que l'humain se trouve in-calculable, que les normes statistiques qui prévalent comme principe de gouvernement politique se révèlent désastreuses.

Roland Gori, Marie-José Del Volgo, La santé totalitaire


Je pensais trouver dans la médecine et le droit médical des certitudes. Mais j’entrais dans un espace où l’exercice du doute et de la discussion sont fondamentaux. Le lieu de la philosophie par excellence.

La frontière entre les traitements utiles et légitimes et ceux qui ne le sont pas est plus complexe qu’il n’y paraît.

Guillaume Durand, Un philosophe à l’hôpital


L’écart se creuse, absurde, entre la haute qualification médicale, la révolution technique et scientifique, et l’absence de moyens matériels mis à la disposition de celles-ci.

Madeleine Riffaud, Les linges de la nuit


Un jour arriverons-nous à aborder publiquement le sujet brûlant de la santé publique ?


Ce que le virus Covid a mis en évidence (mais que pour un certain nombre de soignants nous redoutions depuis fort longtemps), c’est l’échec de la « meilleure médecine du monde ».

Meilleure peut-être sur le plan des « progrès technologiques », mais sur le plan de la compréhension scientifique des vivants que nous sommes, c’est autre chose.

Ce mythe du progrès qui nous hante (en particulier à gauche, car à droite il est dans leur logique), d’un progrès illimité et qui ferait de nous les démiurges d’un monde d’où l’idée même de la mort serait évacué, est l’héritage du positivisme du XIXème siècle. L’héritage de Claude Bernard et Pasteur, jamais remis en question alors que dans la plupart des domaines scientifiques, il l’est, et depuis fort longtemps : je ne t'infligerai pas la totalité du chapitre de l’ouvrage de Werner Heisenberg (La partie et le tout), intitulé « Positivisme, métaphysique et religion » où dès les années 1920, dans un conférence donnée dans un congrès de philosophie à Copenhague, il explique l’échec du positivisme  au regard de ce que les chercheurs en science physique apportent à la théorie, je cite : «  à savoir les notions de complémentarité, d’interférence des probabilités, de relations d’incertitude, de coupure entre sujet et objet » qui « apparaît aux positivistes comme un complément confus de caractère plus lyrique que scientifique ». Plus loin il ajoute : «  Les positivistes diraient que comprendre signifie pouvoir calculer à l’avance. Si l’on ne peut calculer d’avance que certains phénomènes très particuliers, on n’a compris qu’une petite partie des choses, si l’on peut calculer d’avance de nombreux phénomènes différents, alors on a compris d’avantage ». L’ensemble de ce chapitre est très instructif, il faudrait le citer en entier…


Malgré ces réflexions qu’Heisenberg n’était pas le seul à avancer, toute la médecine contemporaine est restée basée sur une vision positiviste ainsi que toute la recherche médicale conduisant au fiasco du Covid.

On ne peut rien comprendre à la situation si on ne remet pas en cause une vision « calculatrice » des choses.

On ne peut rien comprendre aux modes de diffusion de ce virus, à sa propagation si on n’étudie pas le terrain qui en favorise l’essor.

On ne peut rien comprendre à ce que certains propagandistes libéraux appellent la « surconsommation médicale » si on ne se penche pas sur les modes de vie qui sont à la source d’un certain nombre de nos pathologies (y compris la surconsommation en question).


Le refuge de cette médecine qui ne cherche plus à sortir de ses calculs, ni à comprendre la relation entre les phénomènes, c’est une conception totalitaire de ses pratiques, où le patient est l’objet d’un savoir détenu par le seul soignant (au risque pour celui-ci de finir en burn-out lorsque sa croyance en sa toute puissance se trouve confrontée à l’échec dont la mort est le signe).

Il conviendrait ici de revenir à ce qu’écrivaient Roland Gori et Marie-José Del Volgo dans « La santé totalitaire », en 2009, je me contenterai de vous renvoyer à cette lecture fort éclairante, écrite dix ans avant la zoonose qui nous préoccupe et dont la plupart de nos politiques ont accepté qu’elle soit une « pandémie » sans reconnaître qu’elle est plutôt une « syndémie » qui met en évidence les failles du système capitaliste libéral, dont les soignants, pour la plupart, formatés aux dogmes du progrès positiviste à la sauce libérale, se trouvent à leur corps défendant, les acteurs de premier plan (ceux que les imbéciles applaudissaient depuis leurs balcons, ceux qui allaient, comme de bons petits soldats, éviter que la mort de reprenne pied dans des vies dont elle serait exclue).


Si nous devions réfléchir à ce qu’il conviendrait de faire, c’est à une refondation complète de la notion même de santé publique, de prévention (qui n’a rien à voir avec les dépistages vantés par l’Assurance Maladie - qui n’est plus depuis fort longtemps la sécurité sociale d’Ambroise Croizat, mais un agent au service d’une médecine vouée au commerce des remèdes miracles).

Nous avons tout à remettre en question, jusque bien entendu dans les modalités économiques et sociales de nos pratiques, pour aller, comme nos ordres médicaux et paramédicaux nous y invitent, vers une « pratique selon les données des sciences actuelles »  (qui ne sont plus celles du positivisme encore en vigueur avec une certaine efficacité dans les années 50 du siècle précédent, mais celles des sciences de la complexité et de la systémique qui ont permis une autre compréhension de la planète qui nous supporte (mais jusqu’à quand ?), de la survenue et de l’existence du vivant sur cette planète là, sous cette forme là, mais bizarrement, conceptions scientifiques contemporaines qui ne traversent pas le mur positiviste des formations médicales et paramédicales).


Sans doute l’esprit allemand, sur ces sujets, et contrairement aux gouvernements allemands qui sont les mèmes des nôtres, est plus ouvert à la réflexion (je le pratique dans mes échanges avec mes collègues outre-Rhin, qui réfléchissent depuis fort longtemps aux questions que je soulève plus haut).


Bien évidemment, réfléchir n’exclut pas de repenser les structures sanitaires, mais les meilleures ne seront jamais à la hauteur des enjeux dans le contexte d’instabilité climatique massive qui nous attend si nous n’allons pas plus loin dans notre réflexion.


Xavier Lainé


9 novembre 2021