dimanche 14 novembre 2021

Santé publique ou système de soin ?

 






Oser penser. Ce risque-là de la pensée construit la connaissance et le soin. Car prendre soin de quelqu’un, c’est prendre le risque de son émancipation, et donc de la séparation d’avec soi-même. C’est précisément l’amener vers son autonomie, lui laissant le privilège de la coupure et pour soi le sentiment d’abandon et d’ingratitude, inévitable.

Cynthia Fleury, Le soin est un humanisme


C'est bien parce que l'humain se trouve in-calculable, que les normes statistiques qui prévalent comme principe de gouvernement politique se révèlent désastreuses.

Roland Gori, Marie-José Del Volgo, La santé totalitaire


Je pensais trouver dans la médecine et le droit médical des certitudes. Mais j’entrais dans un espace où l’exercice du doute et de la discussion sont fondamentaux. Le lieu de la philosophie par excellence.

La frontière entre les traitements utiles et légitimes et ceux qui ne le sont pas est plus complexe qu’il n’y paraît.

Guillaume Durand, Un philosophe à l’hôpital


L’écart se creuse, absurde, entre la haute qualification médicale, la révolution technique et scientifique, et l’absence de moyens matériels mis à la disposition de celles-ci.

Madeleine Riffaud, Les linges de la nuit


Un jour arriverons-nous à aborder publiquement le sujet brûlant de la santé publique ?


Ce que le virus Covid a mis en évidence (mais que pour un certain nombre de soignants nous redoutions depuis fort longtemps), c’est l’échec de la « meilleure médecine du monde ».

Meilleure peut-être sur le plan des « progrès technologiques », mais sur le plan de la compréhension scientifique des vivants que nous sommes, c’est autre chose.

Ce mythe du progrès qui nous hante (en particulier à gauche, car à droite il est dans leur logique), d’un progrès illimité et qui ferait de nous les démiurges d’un monde d’où l’idée même de la mort serait évacué, est l’héritage du positivisme du XIXème siècle. L’héritage de Claude Bernard et Pasteur, jamais remis en question alors que dans la plupart des domaines scientifiques, il l’est, et depuis fort longtemps : je ne t'infligerai pas la totalité du chapitre de l’ouvrage de Werner Heisenberg (La partie et le tout), intitulé « Positivisme, métaphysique et religion » où dès les années 1920, dans un conférence donnée dans un congrès de philosophie à Copenhague, il explique l’échec du positivisme  au regard de ce que les chercheurs en science physique apportent à la théorie, je cite : «  à savoir les notions de complémentarité, d’interférence des probabilités, de relations d’incertitude, de coupure entre sujet et objet » qui « apparaît aux positivistes comme un complément confus de caractère plus lyrique que scientifique ». Plus loin il ajoute : «  Les positivistes diraient que comprendre signifie pouvoir calculer à l’avance. Si l’on ne peut calculer d’avance que certains phénomènes très particuliers, on n’a compris qu’une petite partie des choses, si l’on peut calculer d’avance de nombreux phénomènes différents, alors on a compris d’avantage ». L’ensemble de ce chapitre est très instructif, il faudrait le citer en entier…


Malgré ces réflexions qu’Heisenberg n’était pas le seul à avancer, toute la médecine contemporaine est restée basée sur une vision positiviste ainsi que toute la recherche médicale conduisant au fiasco du Covid.

On ne peut rien comprendre à la situation si on ne remet pas en cause une vision « calculatrice » des choses.

On ne peut rien comprendre aux modes de diffusion de ce virus, à sa propagation si on n’étudie pas le terrain qui en favorise l’essor.

On ne peut rien comprendre à ce que certains propagandistes libéraux appellent la « surconsommation médicale » si on ne se penche pas sur les modes de vie qui sont à la source d’un certain nombre de nos pathologies (y compris la surconsommation en question).


Le refuge de cette médecine qui ne cherche plus à sortir de ses calculs, ni à comprendre la relation entre les phénomènes, c’est une conception totalitaire de ses pratiques, où le patient est l’objet d’un savoir détenu par le seul soignant (au risque pour celui-ci de finir en burn-out lorsque sa croyance en sa toute puissance se trouve confrontée à l’échec dont la mort est le signe).

Il conviendrait ici de revenir à ce qu’écrivaient Roland Gori et Marie-José Del Volgo dans « La santé totalitaire », en 2009, je me contenterai de vous renvoyer à cette lecture fort éclairante, écrite dix ans avant la zoonose qui nous préoccupe et dont la plupart de nos politiques ont accepté qu’elle soit une « pandémie » sans reconnaître qu’elle est plutôt une « syndémie » qui met en évidence les failles du système capitaliste libéral, dont les soignants, pour la plupart, formatés aux dogmes du progrès positiviste à la sauce libérale, se trouvent à leur corps défendant, les acteurs de premier plan (ceux que les imbéciles applaudissaient depuis leurs balcons, ceux qui allaient, comme de bons petits soldats, éviter que la mort de reprenne pied dans des vies dont elle serait exclue).


Si nous devions réfléchir à ce qu’il conviendrait de faire, c’est à une refondation complète de la notion même de santé publique, de prévention (qui n’a rien à voir avec les dépistages vantés par l’Assurance Maladie - qui n’est plus depuis fort longtemps la sécurité sociale d’Ambroise Croizat, mais un agent au service d’une médecine vouée au commerce des remèdes miracles).

Nous avons tout à remettre en question, jusque bien entendu dans les modalités économiques et sociales de nos pratiques, pour aller, comme nos ordres médicaux et paramédicaux nous y invitent, vers une « pratique selon les données des sciences actuelles »  (qui ne sont plus celles du positivisme encore en vigueur avec une certaine efficacité dans les années 50 du siècle précédent, mais celles des sciences de la complexité et de la systémique qui ont permis une autre compréhension de la planète qui nous supporte (mais jusqu’à quand ?), de la survenue et de l’existence du vivant sur cette planète là, sous cette forme là, mais bizarrement, conceptions scientifiques contemporaines qui ne traversent pas le mur positiviste des formations médicales et paramédicales).


Sans doute l’esprit allemand, sur ces sujets, et contrairement aux gouvernements allemands qui sont les mèmes des nôtres, est plus ouvert à la réflexion (je le pratique dans mes échanges avec mes collègues outre-Rhin, qui réfléchissent depuis fort longtemps aux questions que je soulève plus haut).


Bien évidemment, réfléchir n’exclut pas de repenser les structures sanitaires, mais les meilleures ne seront jamais à la hauteur des enjeux dans le contexte d’instabilité climatique massive qui nous attend si nous n’allons pas plus loin dans notre réflexion.


Xavier Lainé


9 novembre 2021

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