jeudi 30 avril 2020

Filigranes 104




Je me demandais comment faire, comment dire.
Je cherchais le moyen de vous transmettre.

Je ne trouvais pas.

Pas facile à dire, une telle aventure.

1989 : mon tout premier texte apparaît, timidement, "Regards ferroviaires".
J'écrivais, mais de là à publier...

Début de l'aventure.

La suite s'égrène de numéros en numéros, au hasard d'une vie marquée de longues parenthèses, de fragments désespérés, de moments de bonheur et de plaisir.
Mais toujours écrire sans trop savoir dans quoi je m'engage.

On me parle ici et là de m'inquiéter, de déterminer quel serait mon "projet littéraire".
Si je vous disais que je n'en ai pas d'autre que celui d'écrire.

Si je vous disais que la revue Filigranes m'a toujours accompagné dans ce mouvement, dans cette quête d'un quelque chose insondable.
On court après quoi, sur les pages multipliées ?
Tant d'années après, je ne sais pas...

Voici que, dans le numéro 104, ce sont mes mots, glanés ici, un après-midi d'automne, qui paraissent dans la "Cursives"...
Vous pouvez télécharger le numéro et le lire à votre guise. C'est ici : http://ecriture-partagee.com/03_Fili_numero/fi_104/fi_104.htm
Vos retours seront précieux, vos silences aussi.

Bonne découverte pour ceux qui ignoraient l'existence de la revue, bonne lecture à ceux qui en prendront le temps...

Xavier Lainé

30 avril 2020


mercredi 29 avril 2020

Jour 32 : on reprend depuis le début ?



Magie des mots lancés au hasard
Quittant nos confins par la fenêtre des rêves
Nous voici voyageurs immobiles
Avec pour tout passeport
Le sauf-conduit du poème

Seuls les mots s’évadent.
Le reste, lentement se fait de plomb.

Depuis si longtemps laminés sur l’autel de la rentabilité.
Soignants certes, mais selon l’exercice, parfois plus affairiste que.

On commence par le début ?
Profession fantasmée aux alentours des années soixante dix du siècle dernier, voici qu’avec brutalité s’impose le couperet : qu’importe le travail et l’intérêt (ou la vocation), il fallait subir l’amputation de toute velléité de trouver en ces études l’aboutissement d’un rêve.
Il fallait déjà du nombre, du chiffre.
Il ne devait pas en sortir plus que ce que technocrates en leurs bureaux avaient décidé.

Ce fut premier chemin de révolte, et aussi de répression.
« On aurait pu, si vous aviez voulu, vous aider », à condition d’accepter le joug imposé comme corset sur le torse de l’avenir.
Il fallait redresser les risques de gibbosité et mettre au pas les candidats à la gloire médicale.
Il fallait couper tout ce qui dépassait le chiffre de nécessités calculées sans que nul n’y comprenne goutte.
C’est aussi en ces années que jaillirent hors de terre les vaisseaux magistraux d’une médecine hautement technologique. 
Les CHU mirifiques construits à la hâte pour la gloire de la technique, avec parfois de drôles de couacs : par exemple des marches pour accéder au bloc opératoire découvertes au lendemain d’inauguration ministérielle, rendant impossible le travail des brancardiers.
Mais on était fier de ces vaisseaux amiraux dressés à la gloire d’un pouvoir médical triomphant.
Vous alliez voir ce que vous alliez voir : on allait vous soigner, que diable, et vous montrer quels miracles peut accomplir la technicité des élites soigneusement sélectionnées.
Les autres avaient fait un voir deux ans pour rien, et repartaient vers d’autres horizons, à moins d’être assez découragés pour chercher un travail au SMIC sur les zones industrielles.
Parfois donc, on reprenait d’autres études, en essayant d’oublier avoir bossé sans autre objectif que d’obtenir bonne place au concours !
On tente d’oublier, mais on n’oublie jamais.

C’était le grand chantier des années quatre-vingt : de partout on démolissait, on reconstruisait, on « modernisait ». 
Et ça pouvait paraître justifié tant, parfois, les couloirs étaient restés bloqués au dix-neuvième siècle.
Le matin, on prenait les cartes ajourées des patients à soigner.
Hospitalisés, vous deveniez, le genou fenêtre 346.
Vous perdiez votre identité, n’étiez plus qu’un organe à réparer et nous, nous étions les mécaniciens de vos corps fatigués.
Qu’importaient vos vies, vos mises en péril dans des travaux plus ou moins insalubres. 
Qu’importe la vie d’un homme au regard des profits à engendrer !
Ils n’ont pas attendu la fin des années quatre-vingt, après leur frayeur momentanée de 1981, pour commencer à mettre à mal toute la santé publique : dans le privé, ils préféraient verser des dividendes que permettre aux services d’acquérir des moyens supplémentaires.
Les choix du privé gagnaient lentement la sphère publique.


Xavier Lainé

15 avril 2020

dimanche 26 avril 2020

Jour 31 : gouffres et confins


Tu rêves encore d’une libération possible.
Tu sais qu’il n’en sera pas ainsi.
Le risque est si grand qu’une contagion de révolte explose, une fois les barreaux sciés !
Ils ne donneront pas l’ordre d’abattre les murs.
Ils en construiront de nouveaux pour consolider les premiers
Ils nous veulent toujours moins libres de décider de nos vies.

Nous voici au bord du gouffre : soignants sans ressources mais soignants quand même, artistes sans travail, mais artistes quand même, enseignants saignés à blanc qui devront arrêter de ramasser les fraises, Président faisant des discours, juste pour nous contraindre, nous maintenir dans nos confins, interdisant ci, empêchant ça, mais toujours sans masques, sans tests, sans, tandis que copains du président eux, se gavent de dividendes, encaissent et spéculent, plaquent leurs indignes fortunes sous les cieux cléments des îles Caïman.
Nous voici au bord du gouffre : un homme seul qui ne représente que lui-même, qui décide de nous enfermer, nous enfumer, entouré de conflits d'intérêts, réduisant la démocratie à sa seule volonté, promettant sans tenir des aides invisibles et inaccessibles, interdisant toutes manifestations, toute culture, toute élévation de l'esprit.

Nous y sommes. 
Nous voici au bord du gouffre.
Comme les plantes nous voici sous serre
Une pluie battante de poésie
Frappe à la porte des libertés perdues
Il faudra apprendre à semer
Pour que lendemains retrouvent leur musique


Xavier Lainé

13 Avril 2020 (3)

vendredi 24 avril 2020

Jour 30 : poétique sinon rien


Tu ne changes pas grand chose à tes habitudes.
Tu t’isoles dans l’isolement commun.
La page est la fenêtre de cette cellule que tu aurais voulue de tous temps autrement que cellule, autrement que barreaux, que lourde porte et serrures fermées sur tes rêves de liberté sans conditions.
Tu reçois le vin d’Omar Kahhyam comme élixir capable de te sortir de cette ornière.

Tu écris :

En la saveur vermeille d’un printemps confiné
Omar nous emmène au jardin des saveurs
Cueillir la rose exquise d’un lendemain différent

Les mots suivent pente d’éternité
Ils glissent au travers des barreaux
Comme larmes aux visages exténués

Ici on va avec dévouement panser les plaies
Tenter encore de colmater les brèches
Par où vie s’évade dénonçant nos fragilités

Le poème se fait pont entre nos îlots
Si loin et si proches à l’orée d’un temps inconnu
Les mots se font lignes à suivre 
Portes vers une liberté lentement reconquise.

Tu écris, j’écris, je voudrais un cri assez audible pour que, ce soir, celui qui se prend pour un dieu tombe de son perchoir, ouvrant les vannes d’un immense soupir d’aise.


Xavier Lainé

13 avril 2020 (2)

samedi 18 avril 2020

Jour 29 : des confins monte un archipel de poésie


Que poésie tourne donc et voyage loin en dehors de nos confins !

Etrange voyage qui me réveille au bord des souvenirs.
J’hésite un instant puis je prends la tangente.
Des pensées premières jaillies aux marges de l’aurore, il ne reste rien.
Elles s’en vont procrastiner jusqu’au moment propice où les rêves se feront mots.

Pour une fois ma page avait failli demeurer au sec.
Mais voilà qu’une pluie de mots en abreuve l’humus et que je ne peux rester de marbre lorsque la beauté s’échange à l’ombre des confins.
C’est en effet étrange expérience que celle-ci.
Seuls les mots s’en évadent, prennent un grand bol d’air et se mettent en route !

Nous voici contraints à la lenteur de compter les heures.
Devant cette relativité du temps, les mots se font balises d’un chemin dont nous ignorons le terme.
Aux chaines imposées nous opposons celles d’un vocabulaire qui ne sache faire discours mais plonger à l’essentiel du vivre.

Que poésie poursuive donc sa route !
Qu’elle se jette par dessus les parapets d’un temps d’archipels qui cherchent encore leurs voies de communication.
Ecrire, écrire encore comme ponts et bandes de terre joignant l’improbable avenir.
Nous ne savons rien de ce qui saurait advenir.
Nous n’avons que mots en la lumière de la page à déposer comme balises d’un chemin inédit.

J’écris :

Nos mots se jettent par les fenêtres du printemps.
Ils s’affranchissent des balises et des barreaux.
Sur les ailes du vent ils volent ici et là
Se posent où ils veulent au hasard de nos confins.

C’est moment étrange
Que de n’exister qu’en cet élan
Cette maigre empreinte au papier de l’espoir

C’est moment étrange
Qui par dessus les nuées
Ouvre d’autres perspectives
À nos ivresses
Nos pas hésitants
Sur le seuil où liberté attend
Un signe de la main et de la plume

Sauriez-vous entendre ce chant qui monte, hymne diffus, inaudible aux oreilles prisonnières de leurs certitudes ?
Sauriez-vous enfin déchiffrer le rébus du coeur, celui des résistances infimes posées à l’aube des jours heureux ?
Tant y laissent leur vie qu’ils ont besoin de ce réconfort !
Il n’est que poésie pour construire l’épopée des volcans, des îles jaillies de nulle part, des masques mis puis tombés, des larmes coulant au bord des paupières amicales.

J’écris :

C’est bien étrange moment
Qui nous fait marcher dans nos têtes
Bien au-delà des limites autorisées

Mots qui mettent un pied devant l’autre
S’envolent par les fenêtres des confins
Butinent à fleur d’âmes dans les prairies du printemps

C’est bien étrange moment
Qui se prolonge de quinze en quinze
Jusqu’à dépasser la somme prescrite

Nous voici explorant les miracles du silence
Déposant nos masques juste avant que nuit nous emporte

Les jeunes pousses se fraient doux chemin
Au terreau de poèmes qui circulent en liberté
Sans même une dérogation sous la plume

Quelque chose d’inédit se produit
Qui chuchote sur les ailes du vent
Que désormais rien ne pourra plus
Jamais être dans la norme
Puisqu’elle est à la source du problème

Parfois les journées démarrent sous l’oeil du poème.
Il déborde de partout, se fait message, bouteille à la mer, arpenteur d’archipels, sautant d’île en île.
Il ne te laisse jamais silencieux.
Il galope à un train infernal entre tes deux oreilles.
Il cherche la sortie, cogne aux parois du crâne à t’en déchirer la substance gélatineuse de son contenu.
De cet espace confiné qui est le tien, il te faut te poser sur des ailes de mots pour te libérer de toutes pesanteurs.
De toutes contraintes lâcher les amarres. 
Ne pas accepter, entrer dans tes refus, mesurer tes impuissances.
Qu’est-ce qui relève en la circonstance de la raison, ou d’une volonté sournoise de t’obliger à fermer les portes sur toi-même, sur les tiens, sur toi-mêmes emmuré avec les tiens au risque d’en détester la compagnie, d’en vomir la présence ?


Xavier Lainé

13 avril 2020 (1)

mercredi 15 avril 2020

Jour 28 : aux confins le temps est immobile


Puisqu'ils préparent déjà, dans leur vieux monde, notre futur esclavage, et que les cloches sont revenues, il va être temps de les faire sonner à leurs oreilles bornées.

Les mots venaient à gros bouillons, puis se sont tus à l’heure des cloches.
Sans doute interférences malheureuse entre les voix intérieures et le bruit assourdissant des traditions.
J’ai joué le jeu.
Me suis promené de bon matin comme un sonneur, ai remplacé le ronflement du dimanche par le bronze délicat des chocolats semés n’importe où, pour la joie des petits.

Leur sonner les cloches.
Ne plus jouer avec nos vies.
Nous approcher de cette heure de vérité.
Puisque plus rien ne saurait être de ce qui fut.
Ils vont nous maintenir dans nos confins, aussi longtemps que leur dictature le permettra.
Ils savent le vent de révolte qui souffle.
Ils savent l’insupportable atteint depuis bien longtemps.
Alors, ils vont faire durer leur plaisir.
C’est simple de défaire tout ce qui existait en l’absence de toute opposition.
Les voilà gouvernant à leur aise.
Corona leur a donné l’outil idéal.
Corona n’aura été que prétexte à notre claustration.

Claustration salutaire, pourrions-nous espérer.
Moment de choix pour réfléchir, prendre du recul et constater combien nous passions de temps à courir après un mode de vie imposé.

Comme si nous devions toujours courir après un temps qui nous est compté.
Entre vie et trépas, entre travail et repos, entre ici et là-bas.
Courir.

C’est un temps salutaire que celui de la lecture : il permet de mettre en adéquation des pensées fugitives, des intuitions évanescentes et quelques mots jaillis d’entre les pages qui donnent du corps aux pensées.
De diasporas en archipels, je lis au hasard les livres qui se présentent dans la pile restée en jachère depuis longtemps.
Un livre en appelle un autre, enfoui un peu plus profond.
Je me rappelle l’avoir acheté, je le retrouve, je le glisse dans ma poche et pendant que les enfants font la course sur leurs bolides vélocipédiques, je lis.
Je lis.
Que le temps tel que nous l’analysons avec les lunettes de nos savoirs anciens n’existe pas.
Qu’il n’est qu’une succession d’évènements qui se croisent et s’accumulent, sans que nous puissions vraiment en arrêter définition dans un présent qui n’existe pas. Car le temps de le dire, nous voici déjà dans le futur.
Que, « si par « temps », nous n’entendons rien d’autre que ce qui se produit, alors chaque chose est temps : seul ce qui est dans le temps existe. » (Carlo Rovelli, L’ordre du temps)
Que j’aurais bien du mal à vous parler de cette impermanence déduite de la non-existence du temps dans l’espace quantique, car les mots à ma disposition vont manquer : « la grammaire s’est formée à partir de notre expérience limitée, avant que nous nous apercevions de son imprécision pour rendre la riche structure du monde », écrit encore Carlo Rovelli.
Me voici en partie rassuré : cette impression fugace que tout dans notre course imposée ne pouvait trouver sens en mon être impermanent, ma difficulté à me sentir en adéquation avec une vision dualiste du monde avait une certaine justesse que votre heureuse idée de me confiner me permet d’installer dans un présent sans fondement.


Xavier Lainé

12 avril 2020

mardi 14 avril 2020

Jour 27 : agir dans l’immobilité des confins


J'ai bien peur que nous soyons devant une bien triste réalité. Je le sens, sans verser dans je ne sais quelle idée de conspiration. Quelque chose là, dans ce monde dirigé par des fous, qui a des relents bien mauvais. Mais peut-être ignorent-ils qu'en nous rejetant en nos confins, ils nous donnent l'occasion de réfléchir à ce qui nous est essentiel et à ce qui ne l'est pas. C'est de courage qu'il nous faut nous munir : nous avons toute notre maison humaine à reconstruire, où ils n'auront plus leur place.

Je me suis réveillé sur une lettre, écrite d’une main maladroite sur une feuille de cahier, à l’encre violette. 
Une lettre non signée mais avec quelques pâtés de larme qui en avaient fait couler l’encre.
Elle disait : ici nombreux sont les juifs qui se plaignent du sort qui leur est imposé.
Juste avant, je ne me rappelle plus avec qui j’étais, sur un boulevard qui ne m’était pas inconnu et je disais : « ici c’est le boulevard de la torture »…

Car réfléchir, c'est déjà agir...
Alors, je réfléchis et plus je réfléchis plus je tempère les propos alarmistes, les informations qui ne cessent, avec un ton compassé, d’aligner les morts et les contaminés, histoire de nous conforter dans nos terreurs.

Nous avons tant connu de mensonges, tant avalé de couleuvres, comment s’étonner qu’à un soulèvement réponde un confinement.
La peur a changé de camp.
Ils n’ont d’autre méthode que la détention pour faire face.
Le soulèvement pourrait n’en être que plus profond, à l’image du Krakatoa, passé du silence à l’explosion.


Xavier Lainé

11 avril 2020

lundi 13 avril 2020

Jour 25 : Trois lettres des confins


Les questions sont bien plus intéressantes que les réponses...
Elles fusent, diffusent, infusent, perfusent.
Elles tombent à chaque heure sans qu’embryon de réponse n’apparaisse à l’horizon confiné.
Hier bien puni : n’avais pas le droit, il paraît de faire du vélo avec les enfants, mais fait quand même, na ! Et, bien sûr, tombé, pour en éviter un qui me coupait la route ! Belle frayeur devant poignet tuméfié ! Mais la bête est solide !

Vivre confiné, c’est prendre le temps de répondre à quelques missives qui se soucient de nous.
Rares, très rares.
J’en envoie plus que ce que j’en reçois !
Mais quand même, répondre, c’est l’occasion de tenter l’esthétique de la lettre.
En voici trois, les seules d’ailleurs puisque depuis le début, trois amies se sont fait du souci (l’amitié est denrée rare en pays confiné, bien que confinement ne change pas grand chose en la matière).

Lettre 1

« Si en temps habituel je trouve assez génial d’habiter en ville, le confinement me fait regretter de ne pas être plus proche des montagnes et collines qui me sont aussi indispensable que l’air que je respire ou que la littérature qui me berce.
Donc, voilà que même le sommet de Toutes Aures semble trop loin pour nos attestations d’auto-surveillance volontaire (mais contrainte).
Je tente de maintenir mon cabinet ouvert pour celles et ceux qui en éprouvent le besoin au risque d’être taxé d’irresponsable par la majorité de ma profession et du corps médical. Mais mon éthique me dit que ce qui pourrait ne pas paraître urgent aujourd’hui pourrait bien l’être demain quand tout notre système de santé sortira épuisé de cette étrange période de dictature.
Le mérite de ce si joli petit virus est de permettre, tout en nous obligeant à en porter, de faire tomber beaucoup de masques.
Reste à espérer que nous sortions de cette longue et possible méditation plus conscients de ce que la vie courante nous imposait d’inutile et que nous trouvions dans ce confinement les outils de réflexion pour construire autre chose.
Bien sur, je lis et écris beaucoup, en ayant un regard avec ma compagne sur les travaux scolaires des enfants ( il en est un qui semble lui vouloir profiter de ce temps pour confirmer sa rupture avec le système scolaire).
Beaucoup de musiques aussi…
Et de longs moments de surveillance des enfants, devant nos garages de La Luquèce, un bouquin à la main… Et depuis hier soir, presque les larmes aux yeux d’entendre tous ces gens venus à leur balcon pour applaudir, taper sur des casseroles ou des couvercles : l’humain serait ici peut-être en train de reprendre ses droits.
Heureusement que je m’étais ruiné en ouvrages à lire : le confinement peut durer longtemps, nous n’aurons peut-être plus rien à bouffer, mais je pourrai continuer à lire !
Corona ne semble pas vouloir s’inviter en notre demeure, ce qui est déjà pas mal (ceci dit sans céder à la panique générale savamment orchestrée).
J’imagine que pour toi, comme pour nous, comme pour beaucoup, la situation financière est au bord du gouffre. Une invitation sans doute à inventer les manières de travailler à de nouvelles solidarités pour que l’humain qui brûle en nous puisse encore avoir droit de cité. »

Lettre 2

« Oui, j’ai bien compris comment ce confinement, vient troubler la plupart d’entre nous.
Je comptais trouver le temps de t’appeler, mais voilà, il me faut chaque jour tenter de gérer un cabinet vide, et donc des revenus absents, et donc me faire à l’idée que, peut-être, je ne pourrai plus, à la sortie, continuer…
Comme l’immense majorité des soignants, je suis de ceux qui tentent toujours contre vent et marées, de recevoir tout un chacun dans un esprit éthique. Comme l’immense majorité des soignants, je suis bien obligé de considérer qu’en trente années, un Etat assassin nous a placé en situation de plus en plus difficile et compliquée pour encore accomplir nos missions de santé publique.
Je ne sais à cette heure comment le système de santé se sortira de cette « crise », l’heure n’est pas à se lamenter ou à chercher des coupables mais à tenter d’être présent auprès de chacun pour que les dommages du confinement ne soient pas plus grave que le virus pour lequel on nous y maintient.
Restez donc bien chez vous, préservez vous. Nous verrons bien à la sortie ce qu’il sera possible ou pas de faire encore. »

Lettre 3 (en réponse indirecte à la lettre ouverte d’un infirmier au gouvernement)

« Un jour, nous découvrirons que derrière tout cela se cachaient d’ignobles calculs.
Car l’être qui s’est hissé avec son groupe à la tête de l’Etat est inhumain. 
Il ne sait que calculer.
Ses prédécesseurs étaient du même moule. Ils ont sciemment mis à mal tout le système de santé.
Je m’entends encore dire dans les années 90, qu’à force de proclamer que nous avions le meilleur système de santé au monde, tout en le soumettant à des règles comptables incompatibles avec les missions de santé publique nous irions à la catastrophe.
Nous y sommes.
Voilà donc à peu près trente ans que je ne cesse de dire que le paiement à l’acte est une stupidité anti-économique et que tout le monde me dit que je raconte n’importe quoi, tout en « s’adaptant » par une multiplication des actes, au nom d’une « technicité scientifique » qui n’est que masque sur le visage d’un joug économique assassin.
Tu le sais : tu as suivi depuis assez longtemps la courbe descendante de mes comptes, pour savoir que pour faire face à la stagnation comptable des honoraires et revenus, pour beaucoup, il a fallu trouver des solutions en médecine de ville comme en milieu hospitalier (les cliniques privées sont à ranger dans le même panier) pour accroitre la « productivité » aux dépends de l’attention portée aux patients en tant qu’êtres vivants.
Je me rappelle dans les années 70 m’être révolté contre la disparition des personnes derrière des numéros dans les hôpitaux de l’AP à Paris.
Je me rappelle les difficultés à faire entendre, à la clinique des Carmes à Aiglun, que  l’investissement visant à humaniser nos services devait passer avant la distribution des dividendes. J’en ai été remercié par une mise à pied de plusieurs mois et des menaces de licenciement. Par intégrité, je n’ai pas marché dans la combine : j’y ai laissé tout un pan de ma vie et ma famille de l’époque.
Depuis 1990, je n’ai cessé de défendre une éthique professionnelle et l’idée que nous recevons des personnes en souffrance et non seulement des pathologies. Combien de fois dans ma propre profession ai-je été traité d’idéaliste ?
Hélas, ce que je lis dans cette lettre ouverte, ce que nous vivons dans la fermeture imposée de nos cabinets sans même prévoir qu’il nous faut faire vivre des familles et qu’au passage, les patients laissés sans soins seront peut-être les urgences de demain, ne fait que confirmer l’inhumanité d’un système qui a un nom et des responsables.
Si nous ne mettons pas à profit le confinement dans lequel ils nous maintiennent pour réfléchir ensemble à ce qu’il convient de construire pour mettre un terme à leurs exactions, nous aurons une fois de plus loupé le coche.
Je ne sais si je pourrais sortir de cette période en maintenant mon activité conventionnelle, mise à mal par trente années de blocage des honoraires et d’indifférence de l’immense majorité de mes collègues aux nécessaires luttes à entreprendre pour sortir du piège. Je saurais bien trouver les actes de résilience qui me permettront de trouver des solutions. Je crains cependant de ne plus pouvoir, à l’issue, recevoir comme je l’ai fait jusqu’à présent, tous ceux qui sont les exclus, les « riens » comme l’a dit si élégamment celui qui ose encore se dire Président de la République… C’est vers eux que mes pensées vont car ils risquent fort d’être les victimes d’une médecine qui aura failli dans sa vocation à soigner et enseigner l’art de vivre en bonne santé.

Nous sommes nombreux à avoir gardé une haute idée de nos métiers. Au moins cette « crise » aura permis de nous dénombrer. La prochaine étape sera celle de demander des comptes aux assassins qui nous gouvernent.

Trois lettres, parfois, ça suffit à remonter dans l’estime du temps.
Ne pas sombrer dans la défaitisme alors que la vie ne demande qu’à s’exprimer.
Regardez donc : deux chevreuils en vadrouille dans la ville, deux hérissons en balade dans le jardin d’à côté, une chouette qui hulule à pleine gorge dans le parc d’en face, des mésanges qui se pépient messages d’amour dans la haie du voisin.
Regardez donc, comme, dès que l’homme reprend sa juste place, la nature reprend ses droits.

Pendant ce temps, les mêmes fanfaronnent et nous confinent un peu plus :  « Quand les princes de l’exhibition et de l’ostentation font la roue et accaparent tout l’espace optique, les vraies valeurs passent inaperçues : la reconnaissance imméritée qui salue bruyamment l’imposteur a pour rançon l’injuste méconnaissance du créateur ; la reconnaissance tapageuse dont bénéficie l’imposteur relègue le créateur dans les oubliettes de la méconnaissance, de la désaffection et de l’anonymat. » (Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien)


Xavier Lainé

9 avril 2020

dimanche 12 avril 2020

Jour 24 : utopies des confins


Il faut parfois tendre l'oreille pour entendre le son des confins...
Il s’exprime le soir, de balcons en balcons.
Qu’importe sa justification ou pas, c’est un moment de pure solidarité et les gens sont heureux de se retrouver, sans enfreindre les sacro-saintes consignes.
Quelque chose se passe.
On se prend à rêver que ça dure.
On se prend à rêver
L’imaginaire s’emballe.
Il fomente plans sur la comète pour un après tellement plus humain que tout ce qui fut vécu.
On retrouverai sens de notre planète comme matrice de nos jours heureux.
Nous retrouverions respect pour tout ce qui touche à notre devoir d’humanité en délaissant les critères financiers et commerciaux imposés.
Ce serait vie libérée capable d’imaginer ses utopies.
« La puissance des imaginaires est d’utopie en chaque jour, elle est réaliste quand elle préfigure ce qui permettra pendant longtemps d’accompagner les actions qui ne tremblent pas. Les actions qui ne tremblent pas resteraient stériles si la pensée de la totalité monde, qui est tremblement, ne les supportait. C’est là où la philosophie exerce, et aussi la pensée du poème. » (Edouard Glissant, Philosophie de la relation)
Redevenant capable d’utopies, nous nous ferions bâtisseur d’un monde à notre dimension, celle palpable d’un voisinage, d’une mise en archipel de nos confins, sans revendiquer de prendre les places au sommet d’un édifice dont nous aurons mesuré la criminelle nocivité.

« Au prolétaire le plus méprisé la raison est offerte. Il est moins seul que celui qui le méprise, dont la place deviendra de plus en plus exigüe et qui sera inéluctablement de plus en plus solitaire, de plus en plus impuissant. Leur injure ne peut pas nous atteindre, pas plus qu’ils ne peuvent saisir le cauchemar que nous sommes dans leur tête : sans cesse nié, on est encore là. » (Robert Antelme, L’espèce humaine)
Nous sommes toujours là, en jaune, en rouge et vêtus de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, nous sommes, nous existons, et de nous avoir provoqué à contenir nos paroles aux confins de leur monde, l’explosion n’en sera que plus urgente.

Nous sommes là, bien souvent perdus dans les confins où nous pouvons être rien, mais ensemble.
En croyant nous isoler ils nous aurons fait prendre la mesure des liens qui nous unissent, par delà les limites imposées par leur manque de confiance.

Nous savons pour l’avoir expérimenté depuis toujours : c’est lorsque tous ensemble nous nous mettons à réfléchir aux conditions de nos existence que les solutions pérennes voient le jour.
Il en fut ainsi de tout ce que les pouvoirs successifs depuis trente ans ont laborieusement défait.
Tout ce que des générations ont arraché par leur imaginaire et par leur lutte a été lentement détricoté.
Le si joli petit virus aura-t-il réussi ce que des années de vains discours  n’ont pas su faire : nous ouvrir les yeux sur les dépossessions dont nous sommes les tristes victimes ?
Regardez comme cette tristesse se transforme en bonheur dès lors que n’importe où nous nous serrons les coudes !
Considérant, avec Hannah Arendt, qu’« un Etat où il n’y a pas de communications entre les citoyens et où chaque homme ne pense que ses propres pensées est par définition une tyrannie », notre devoir est de secouer ce joug imposé. 
Et libérer nos imaginaires des corsets maléfiques imposés par des années de peurs . Car : « L’imaginaire pressent, devine, trouve, il ne prévoit rien en terme de rapport, il n’accompagne ni l’avoir ni le savoir. Il ne conclut à rien. Il suppose en archipel. Imagination et imaginaire sont tour à tour d’individu, de collectivité, ou de totalité monde. » (Edouard Glissant, op. Cit.)

C’est en libérant notre imagination personnelle que, collectivement, nous saurons avancer vers le nouveau monde indispensable.


Xavier Lainé

8 avril 2020

vendredi 10 avril 2020

Jour 23 : en l’espèce des confins


Non je n’écris pas sur mon confinement, j’écris avec la rage au ventre de voir un Etat empêtré dans les non sens et l’improvisation la plus médiocre.
Je n’écris pas de poésie, ici.

Ma poésie n’a plus lieu d’être lorsque des gens honnêtes sont ainsi méprisés et contraints.
Qu’on puisse abuser ainsi de la naïveté du grand nombre est une abomination.
Il faudra bien, une fois nos yeux ouverts, savoir demander des comptes.

Mais trêve de vengeances, à quoi pourrions-nous rêver ?

« Les copains avaient pensé que l’idée de la mort d’un homme pouvait encore l’ébranler. Mais tout se passait comme si rien de ce qui pouvait arriver d’imaginable à un homme n’était plus susceptible de provoquer en lui ni pitié ni admiration, ni dégoût ni indignation : comme si la forme humaine n’était plus susceptible de l’émouvoir. »
Ainsi écrivait Robert Antelme : étrange non ? Bien sûr il ne parlait pas du pouvoir d’aujourd’hui. Pouvait-il seulement supposer que nous tomberions aussi bas qu’un gouvernement qui semble ne plus avoir aucune sensibilité pour ce que peuple endure ?

Plus loin, il exprime, bien sûr sans rapport aucun avec notre confortable (quoi que) confinement, ce que la privation de liberté peut inspirer. Le moindre geste commis en toute liberté est une conquête.
Ils ont rêvé de nous enfermer pour ne plus nous entendre, mais ils ne se doutaient pas que « sortir les mains des poches, faire un pas, c’est faire quelque chose en attendant, c’est attendre. Ce n’est pas encore le froid ni la fatigue qui nous ankylosent, ni le passé, c’est le temps. »
En nous donnant le temps, ils nous offrent la liberté de laisser errer nos pensées, de nous découvrir bien plus solidaires que nous le croyions.
C’est certes une étrange liberté que celle ouverte lorsque l’espace se restreint à quelques mètres autour de soi, de son domicile.
En temps de désinformation massive, la tension est grande d’enfreindre les consignes, de prendre les sentiers de traverse qui nous donneraient le loisir d’errer où bon nous semble.
Ils ont si peu confiance en eux, qu’ils transfèrent sur nos épaules leurs doutes. Alors, même sortir seul dans la colline, aller affronter l’espace des monts et merveilles du printemps nous est interdit.
Il y a consignes et consignes. Les leurs sont la traduction littérale de leur peu de considération pour eux-mêmes.
Ils ne sont que les agents de qui les a engagés pour boursouffler une minorité de porte-feuilles.

Il faut profiter de ce temps pour lire et relire Robert Antelme.
Au moment où nos déplacements se limitent à remplir nos frigos, à une heure de promenade d’oxygénation comme des prisonniers dans la cour, ils ont oublié que « quand on est libre on ne se contente pas de manger, on se déplace aussi. »
C’est la plus élémentaires des conditions de notre liberté.
Qu’un Etat, pour cacher ses propres carences nous contraignent ainsi corps et âmes, voilà qui est injure à la plus élémentaires de nos conditions.

« Une société qui fait de tout argent se trouve désemparée devant des valeurs et des conduites non monnayables. »
C’est Régis Debray qui ici s’exprime, dans « Le moment fraternité ».
Il rejoint en cela Robert Antelme au panthéon des réflexions à lire et relire en l’heure d’être prisonnier de nos confins.
Cette société a des décideurs qui sont formatés, coulés dans le bronze de dogmes dont la finance est la colonne vertébrale.
Ils sont les gardiens d’un temple dont l’immense majorité est exclue.
Ils nous regardent du haut de leurs palais, l’oeil méprisant de nous entendre encore taper sur nos vieilles casseroles à l’heure de leur crépuscule.


Xavier Lainé

7 avril 2020