dimanche 12 avril 2020

Jour 24 : utopies des confins


Il faut parfois tendre l'oreille pour entendre le son des confins...
Il s’exprime le soir, de balcons en balcons.
Qu’importe sa justification ou pas, c’est un moment de pure solidarité et les gens sont heureux de se retrouver, sans enfreindre les sacro-saintes consignes.
Quelque chose se passe.
On se prend à rêver que ça dure.
On se prend à rêver
L’imaginaire s’emballe.
Il fomente plans sur la comète pour un après tellement plus humain que tout ce qui fut vécu.
On retrouverai sens de notre planète comme matrice de nos jours heureux.
Nous retrouverions respect pour tout ce qui touche à notre devoir d’humanité en délaissant les critères financiers et commerciaux imposés.
Ce serait vie libérée capable d’imaginer ses utopies.
« La puissance des imaginaires est d’utopie en chaque jour, elle est réaliste quand elle préfigure ce qui permettra pendant longtemps d’accompagner les actions qui ne tremblent pas. Les actions qui ne tremblent pas resteraient stériles si la pensée de la totalité monde, qui est tremblement, ne les supportait. C’est là où la philosophie exerce, et aussi la pensée du poème. » (Edouard Glissant, Philosophie de la relation)
Redevenant capable d’utopies, nous nous ferions bâtisseur d’un monde à notre dimension, celle palpable d’un voisinage, d’une mise en archipel de nos confins, sans revendiquer de prendre les places au sommet d’un édifice dont nous aurons mesuré la criminelle nocivité.

« Au prolétaire le plus méprisé la raison est offerte. Il est moins seul que celui qui le méprise, dont la place deviendra de plus en plus exigüe et qui sera inéluctablement de plus en plus solitaire, de plus en plus impuissant. Leur injure ne peut pas nous atteindre, pas plus qu’ils ne peuvent saisir le cauchemar que nous sommes dans leur tête : sans cesse nié, on est encore là. » (Robert Antelme, L’espèce humaine)
Nous sommes toujours là, en jaune, en rouge et vêtus de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, nous sommes, nous existons, et de nous avoir provoqué à contenir nos paroles aux confins de leur monde, l’explosion n’en sera que plus urgente.

Nous sommes là, bien souvent perdus dans les confins où nous pouvons être rien, mais ensemble.
En croyant nous isoler ils nous aurons fait prendre la mesure des liens qui nous unissent, par delà les limites imposées par leur manque de confiance.

Nous savons pour l’avoir expérimenté depuis toujours : c’est lorsque tous ensemble nous nous mettons à réfléchir aux conditions de nos existence que les solutions pérennes voient le jour.
Il en fut ainsi de tout ce que les pouvoirs successifs depuis trente ans ont laborieusement défait.
Tout ce que des générations ont arraché par leur imaginaire et par leur lutte a été lentement détricoté.
Le si joli petit virus aura-t-il réussi ce que des années de vains discours  n’ont pas su faire : nous ouvrir les yeux sur les dépossessions dont nous sommes les tristes victimes ?
Regardez comme cette tristesse se transforme en bonheur dès lors que n’importe où nous nous serrons les coudes !
Considérant, avec Hannah Arendt, qu’« un Etat où il n’y a pas de communications entre les citoyens et où chaque homme ne pense que ses propres pensées est par définition une tyrannie », notre devoir est de secouer ce joug imposé. 
Et libérer nos imaginaires des corsets maléfiques imposés par des années de peurs . Car : « L’imaginaire pressent, devine, trouve, il ne prévoit rien en terme de rapport, il n’accompagne ni l’avoir ni le savoir. Il ne conclut à rien. Il suppose en archipel. Imagination et imaginaire sont tour à tour d’individu, de collectivité, ou de totalité monde. » (Edouard Glissant, op. Cit.)

C’est en libérant notre imagination personnelle que, collectivement, nous saurons avancer vers le nouveau monde indispensable.


Xavier Lainé

8 avril 2020

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