mercredi 15 avril 2020

Jour 28 : aux confins le temps est immobile


Puisqu'ils préparent déjà, dans leur vieux monde, notre futur esclavage, et que les cloches sont revenues, il va être temps de les faire sonner à leurs oreilles bornées.

Les mots venaient à gros bouillons, puis se sont tus à l’heure des cloches.
Sans doute interférences malheureuse entre les voix intérieures et le bruit assourdissant des traditions.
J’ai joué le jeu.
Me suis promené de bon matin comme un sonneur, ai remplacé le ronflement du dimanche par le bronze délicat des chocolats semés n’importe où, pour la joie des petits.

Leur sonner les cloches.
Ne plus jouer avec nos vies.
Nous approcher de cette heure de vérité.
Puisque plus rien ne saurait être de ce qui fut.
Ils vont nous maintenir dans nos confins, aussi longtemps que leur dictature le permettra.
Ils savent le vent de révolte qui souffle.
Ils savent l’insupportable atteint depuis bien longtemps.
Alors, ils vont faire durer leur plaisir.
C’est simple de défaire tout ce qui existait en l’absence de toute opposition.
Les voilà gouvernant à leur aise.
Corona leur a donné l’outil idéal.
Corona n’aura été que prétexte à notre claustration.

Claustration salutaire, pourrions-nous espérer.
Moment de choix pour réfléchir, prendre du recul et constater combien nous passions de temps à courir après un mode de vie imposé.

Comme si nous devions toujours courir après un temps qui nous est compté.
Entre vie et trépas, entre travail et repos, entre ici et là-bas.
Courir.

C’est un temps salutaire que celui de la lecture : il permet de mettre en adéquation des pensées fugitives, des intuitions évanescentes et quelques mots jaillis d’entre les pages qui donnent du corps aux pensées.
De diasporas en archipels, je lis au hasard les livres qui se présentent dans la pile restée en jachère depuis longtemps.
Un livre en appelle un autre, enfoui un peu plus profond.
Je me rappelle l’avoir acheté, je le retrouve, je le glisse dans ma poche et pendant que les enfants font la course sur leurs bolides vélocipédiques, je lis.
Je lis.
Que le temps tel que nous l’analysons avec les lunettes de nos savoirs anciens n’existe pas.
Qu’il n’est qu’une succession d’évènements qui se croisent et s’accumulent, sans que nous puissions vraiment en arrêter définition dans un présent qui n’existe pas. Car le temps de le dire, nous voici déjà dans le futur.
Que, « si par « temps », nous n’entendons rien d’autre que ce qui se produit, alors chaque chose est temps : seul ce qui est dans le temps existe. » (Carlo Rovelli, L’ordre du temps)
Que j’aurais bien du mal à vous parler de cette impermanence déduite de la non-existence du temps dans l’espace quantique, car les mots à ma disposition vont manquer : « la grammaire s’est formée à partir de notre expérience limitée, avant que nous nous apercevions de son imprécision pour rendre la riche structure du monde », écrit encore Carlo Rovelli.
Me voici en partie rassuré : cette impression fugace que tout dans notre course imposée ne pouvait trouver sens en mon être impermanent, ma difficulté à me sentir en adéquation avec une vision dualiste du monde avait une certaine justesse que votre heureuse idée de me confiner me permet d’installer dans un présent sans fondement.


Xavier Lainé

12 avril 2020

1 commentaire:

  1. La pensée pour nos enfants est primordiale avec toi elle devient compliquée,.. rien d'autre n'existe

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