vendredi 28 mai 2021

J'irai vous attendre

 




Un jour j’irai dans une clairière vous attendre : viendrez-vous ?

Ce sera un jour de beau temps comme de mauvais.

Nous aurons traversé des places tenues en mains sales.

Nous aurons tenté d’y glisser nos voix et nos danses.

L’important n’est plus de croire en l’utilité de ceci ou cela.

L’important désormais est seulement d’ouvrir un espace.

D’ouvrir un champ qui préserve ou nous donne l’illusion de préserver

Nos libertés.


Un jour j’irai vous attendre.

Je me fous pas mal de savoir si vous viendrez.

Moi, je serai là.

J’aurai mis dans ma poche des provisions de poèmes.

J’aurai rasé les murs pour éviter les pièges tendus.

Peu m’importe que vous soyez là ou pas.

Mes mots eux danseront à l’ombre du grand chêne.

Mes mots voleront sous la canopée brillante du printemps.

Il faudra apprendre à tourner le dos à ce monde.

Y glisser avec sourire facétieux quelques gouttes de poésie.

Pour en gripper les rouages sournois.

Un monde qui laisse des humains crever devant sa porte.

Un monde qui ferme portes et fenêtres au nez de sa jeunesse.

Ce monde là ne mérite aucune attention particulière.

Il est tout simplement à rayer de la carte et de l’histoire.

Celle que nous avons à écrire a le coeur qui palpite. 

Celle que nous écrirons à des lèvres ardentes.

Elle brandit la mémoire des damnés dont nous sommes.

Elle n’attend rien de personne.

Elle vit déjà dans un baiser interdit échangé sous l’oeil des caméras obscures.


Xavier Lainé


17 avril 2021


jeudi 27 mai 2021

Briser les murs/Recoudre les morceaux

 




Je passe mes journées à recoudre les morceaux.

Morceaux de vies, de corps, démantelés à la scie des profits.

Chaque jour, c’est ainsi : vous entrez.

Chaque jour vous me dites vos douleurs.

Je vous parle de vos labeurs, de vos soumissions involontaires à un ordre de la douleur.

Car l’ordre et l’immobilité sont contraires au mouvement de la vie.


Je passe mes journées enfermées.

Un jour je vous recevrai au pied d’un arbre, au milieu d’une clairière.

Je vous préparerai un nid de feuille où déposer vos chagrins et vos angoisses.

Vous fermerez les yeux pour écouter la vibration de la terre, le chant des oiseaux et du vent dans les feuillages du printemps.

Mes mains vous inviteront à vous déposer un peu plus.

Vous découvrirez toute la diversité de votre être en lien avec les roches, l’humus et les racines.

Vous participerez, presque immobiles, là, au mouvement de la vie qui est celui de laTerre.

C’est lui qui ira au-delà de notre présence, qui poursuivra sa route quand nous ne serons plus.


Un jour je briserai les murs de nos propriétés privées de tout.

Privées d’amour et de soupirs, elles nous imposent des chaines d’aveuglement.

En les défendant nous croyons nous protéger.

Ce ne sont que prisons, parfois dorées, j’en conviens, sans barreaux, certes, mais qui nous créent obligations d’être rentables pour en payer le prix.

Un jour j’ouvrirai ma porte aux errants de passage et nous initirons une ode à la vie qui est bien plus que nos conventions prétendues sociales.


Xavier Lainé


16 avril 2021


mercredi 26 mai 2021

Etendard de la parole

 




C’est parfois très confus, assez opaque et ça se noie.

Ça boit la tasse dans un océan de révolte.

Ça crie contre des hommes qui ne sont qu’avatars.

Qui sont dignes représentants d’un monde.

D’un monde qui n’est pas celui du commun.


Dans le monde commun, on ne se marche pas dessus.

On ne devrait pas, même pour gagner une place.

Une place dans un univers bien trop grand.

Une place dans un spectacle sans scène ni coulisses.

Un spectacle dont nous sommes les acteurs.


Bien piètres acteurs car non convaincus d’en être.

À grand coup d’écrans, nous voici passifs.

Passifs devant les évènements d’un monde

Dont nous ne savons plus distinguer ce qu’il est.

Ce qui relève de sa réalité ou de sa fiction.


Ça les arrange, cette immense majorité passive.

Ça leur convient que, trop fatigué pour penser,

Je sois là, las, sur mon canapé, à ingurgiter

Absurdes discours, absconses pensées, idioties.

Je ne sais plus très bien comment dire.


Alors j’écris pour ne pas me taire tout à fait.

Les pages sont ma barricade imprenable.

Ils ne peuvent m’en empêcher, d’écrire.

D’écrire mes pensées confuses, mes ressentiments.

D’inscrire sur la toile, des mots qui dénoncent.

Des mots qui invitent à prendre, chacun , son tour de parole.


Xavier Lainé


2 avril 2021



mardi 25 mai 2021

Indignité nationale

 




L’homme de la Bidassoa a retrouvé un nom.

Car il y a encore des écrivains qui ne restent pas dans leur tour d’ivoire.

Il y en a qui cherchent et soutiennent.

Il y en a, pas beaucoup, qui se battent, n’acceptent pas comme une fatalité les crimes commis à nos frontières.


Pour un qui retrouve son nom, combien de morts pour rien ?

Faut-il que j’ajoute les tragédies du travail, celles de la misère, celles des crimes de guerre ?

Faut-il ?


Pas envie de jouer à longueur d’antenne, comme tant, avec l’angoisse et la peur.

Je voudrais jouer avec la nécessité de renverser l’ordre des choses.

Que, la longue liste étant révélatrice des crimes d’un système, nous apprenions à sortir du déni.


Le plus étrange est que non, il ne semble pas que vous soyez dans cette disposition là.

Plus s’approche l’heure des comptes et plus vous allez, affolés, vers le précipice.

Quels mots faudrait-il crier pour que s’arrête cette course ?


L’homme de la Bidassoa a retrouvé un nom, donc une dignité.

C’est au nom de cette dignité que tant d’hommes, de femmes, d’enfants fuient.

L’indignité est là, sous nos yeux, dans l’indifférence commune et la stigmatisation médiatique.

On s’alarme un peu partout du fascisme rampant qui, insidieusement, nous gagne. Il n’y a qu’ici qu’on regarde ailleurs.


Xavier Lainé


26 mai 2021


lundi 24 mai 2021

Tu pourrais faire un effort

 





Je ne sais pas, tu pourrais quand même faire un effort !

Que diable, il fait beau et hier, au jardin des roses, vint sous tes yeux une belle et tendre apparition.

Le matin, il pleuvait et le monde râlait sous les parapluies.

Marrant comme le monde râle pour des choses futiles : la pluie et le beau temps, par exemple.

Marrant aussi cet art de la dissimulation et du déni.

On se colle un pot de fard sur la tronche, on prend le pas assuré de celui à qui on ne la fait pas, mais c’est tout du décor de carton pâte.

Ça fond dès la première pluie.

Peut-être pour ça que ça râle et bougonne : le rimel sous la pluie ça évoque plus le jardin des horreurs que la beauté pure et brute cheminant entre les roses.


Je t’assure que j’ai su pourtant, écrire ici de belles choses.

J’ai tout supprimé, effacé, enfoui dans des cartons à jeter au feu.

Je ne trouve plus le chemin de la beauté quand…

Quand tant de misères se répandent sur les trottoirs.

Quand on se noit dans la Bidassoa, en croyant atteindre le paradis.

Le paradis se referme sur de maigres souvenirs, ne laissant qu’un corps délavé de l’autre côté de la mémoire.

Nous ne saurons rien de celui-là comme des autres.

Et tu voudrais que je parle d’autre chose ?

Que je te cause de la beauté entrevue au coeur d’un jardin de roses ?

Du soleil caressant les pétales fanés, les bourgeons en attente ?

Je ne sais plus.


Je ne peux que m’asseoir un instant et rêver qu’à mes côtés les pauvres morts pour rien, les noyés de tous les temps me rejoignent.

Ils viendraient avec moi embrasser la beauté dans un rêve écarlate.


Xavier Lainé


25 mai 2021


dimanche 23 mai 2021

Sortir de la glu du temps

 




"J'aime ceux qui vivent aujourd'hui sur la même terre que moi, et c'est eux que je salue. C'est pour eux que je lutte et que je consens à mourir. 

Et pour une cité lointaine, dont je ne suis pas sûr, je n'irai pas frapper le visage de mes frères. Je n'irai pas ajouter à l'injustice vivante pour une justice morte. 

Frères, je veux vous parler franchement et vous dire au moins ceci que pourrait dire le plus simple de nos paysans : tuer des enfants est contraire à l'honneur. 

Et, si un jour, moi vivant, la révolution devait se séparer de l'honneur, je m'en détournerais".

Albert Camus, "Les Justes" (1949)


Que pourrais-je ajouter à la justesse d’une vision ?

Que pourrais-je dire encore qui ne soit pas malfaçon, plagiat, mauvaise répétition ?

Juste un merci à l’ami qui mit en avant ce texte venu me rencontrer un matin d’intense fatigue.

Juste ça et retourner lire Camus (entre autre), à l’heure où la bêtise systémique se répand comme pandémie dans les esprits englués.


Bien sur, poète, tu pourrais leur parler d’autre chose, à ces esprits là.

Tu pourrais leur conter fleurette comme la crème du même nom.

Tu pourrais dire ta rencontre avec le geai, pas plus tard qu’hier qui s’envola devant le pas lourd et bruyant d’humains foulant nature au pied.

Tu pourrais invoquer la pluie dont tu aimerais tant qu’elle vienne nous laver de toutes ces souillures qui nous collent à la peau.

Tu pourrais leur parler d’amour et de tendres étreintes, quand depuis si longtemps, l’amour se meurt, étouffé par les peurs.

Tu pourrais leur parler, à ces esprits d’un temps de marée noire.

Mais non, ce n’est pas ça qui te vient.

Il te vient une colère sourde qui monte depuis le fond de cette nuit.

Une colère que tu voudrais salutaire à l’heure où jeunesse étouffe sous le carcan des misères.


Xavier Lainé


24 mai 2021


vendredi 21 mai 2021

Rompre le silence

 






Ce que je dis n’est pas grand chose.

Juste un p’tit coup de mot dans le silence glacé.

Je dis qu’on meurt à Gaza comme ailleurs.

À Gaza plus qu’ailleurs.


Ce que je dis n’est pas grand chose.

Une maigre tentative d’en finir avec l’impuissance.

Un coup de mot dans l’eau qui fasse autre chose que des ronds.

Autre chose que de l’indifférence.


Je dis qu’on y meurt, à Gaza.

Comme je dis qu’on meurt aussi pas loin, en Syrie.

Comme on meurt en Afrique ou en Colombie.

Je n’ai pas assez de mots, pas assez d’attention.

Pas assez d’esprit pour dresser la longue liste.


Je dis qu’on meurt chaque jour en Méditerranée.

Mais aussi en Atlantique et où encore ?

On meurt sous les coups, sous les matraques, sous les roquettes.

On est déjà mort sur les terrasses de l’absurde.

Je dis par impossibilité de me taire.


Ceux qui tuent ont le pouvoir de tuer.

Ils en usent et en abusent.

Ils sont au pouvoir, laissant leur habit d’humanité dehors.

S’ils y sont, c’est quand même bien que quelqu’un les y a placés !

C’est quand qu’on déboulonne les statues ?


Je ne dis pas grand chose. Je n’ai pas grand chose à dire.

Juste faire entendre, entre deux mots, le cri d’un enfant qu’on tue.


Xavier Lainé


22 mai 2021


jeudi 20 mai 2021

Penché sur l'origine

 





Alors je remonte vers la source.

Dans le demi coma d’un endormissement matinal, j’observe ma propre naissance.

Fut-il un temps où nous savions accueillir nos enfants avant qu’ils franchissent le pas et entrent au monde ?

Fut-il un temps où nos mères nous parlaient, à l’intérieur de ce giron, où nos pères avaient voix présentes à travers la peau d’un ventre gonflé de vie ?

Un temps qui sous l’oeil de la science serait progressivement passé dans l’ordre de l’irrationnel ?


Parle-t-on encore à son enfant avant qu’il naisse ?

(...)

De quels peurs s’accompagnent nos venues au monde ?

Quels conditionnements viennent qui puisent à cette source inavouable, inavouée ?

Non que nous soyons irrémédiablement marqués, mais quand même, si le plus infime mouvement me change, qu’en est-il de ce qui précéda mon émergence en ce monde ?


Je regarde cet instant des origines. 

Je n’ai aucune raison de m’en souvenir et pourtant c’est présent.

C’était un temps de système perceptif en plein développement : comment imaginer qu’une perception du monde, de l’amour ou de la haine, de la paix ou de la violence ne me vienne pas de là ?


Xavier Lainé


19 mai 2021 (2)


mardi 18 mai 2021

Où la peur se lit

 






Aurions-nous donc tellement peur de vivre selon nos penchants ?

Je tourne autour du pot. Je cherche quel fil tirer qui offrirait à mes observations une certaine logique.

Je doute de devoir en trouver une.

Il y a dans nos peurs quelque chose d’absolument irrationnel.

Alors je me penche sur cet objet inattendu et, comme d’autres, j’en examine les effets.

Tant de raideur, tant de douleur, tant d’hésitations à dire, à évoquer, à montrer que les cartes en sont brouillées, toujours.

Il y a cette impossibilité profonde à dire.

Mes mains se contentent de lire un indicible.

Il convient de n’en jamais évoquer le nom : qu’est-ce qui vous fait peur au point de, progressivement certes, vous interdire de respirer librement ?

Je suis devant ce fait indéniable : mon corps, comme le votre, porte les stigmates de ces appréhensions, de ces angoisses.

Je ne sais pas toujours quoi en faire, de cette intuition qui me vient.

Et si au point de départ de nos apprentissages délétères était la peur ?


Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Ça s’embrouille dans ma tête.

Je vous vois défiler dans mon sommeil.

Vos visages prennent des mines composées.

Car, parmi les convenances, il est de bon ton de ne rien montrer.

Alors nous composons avec ce qui nous marque.

La vieillesse se fait révélatrice de ce vécu oscillant entre peurs paniques et petites peurs quotidiennes, accumulées les unes sur les autres.

Ça fait comme un mille feuille d’infimes aversions, appréhensions qui, chacune, se lisent dans une ride, un petit rictus de la bouche ou autour de yeux.

Ça se lit dans ces secousses involontaires à l’instant de votre détente.


Xavier Lainé


19 mai 2021 (1)


dimanche 16 mai 2021

Pour ne pas plonger

 




Nous voici devant un choix à faire : le désert ou la vie.

Une vie qui ne nous rendrait pas solitaires et dans la concurrence avec les autres.

Une vie qui ne se chiffrerait pas en colonne dans un bilan de rentabilité, mais en liens affectifs, en compréhension et tendresses partagées.

Tout le contraire de ce qui nous est proposé qui nous glace et nous fige dans une solitude insupportable.


C’est ce que mes mains rencontrent : cette peur accrue de l’isolement depuis que nous sommes invités, au prétexte de nous prémunir de la circulation virale, à nous isoler et regarder l’autre comme potentiel propagateur de l’infection.

C’est un coup de force qui modifie notre être en profondeur, par la réorganisation sociale nous créant chacun, seul dépositaire des peurs de tous.

Une façon sans doute pour l’Etat « social » de se défausser de ses propres responsabilités en alimentant nos angoisses qui ne demandent qu’à être stimulées.


« Dans toute culture concevable, l’homme a besoin de coopérer avec les autres s’il veut survivre, que ce soit pour se défendre contre des ennemis ou contre les dangers de la nature, ou encore pour travailler et produire. » écrit Erich Fromm dans La peur de la liberté.

Et il ajoute : « En raison de l’incapacité factuelle de l’enfant à prendre soin de lui pour toutes les fonctions le plus importantes, la communication avec les autres est pour lui une question de vie ou de mort. La crainte d’être abandonné est nécessairement la menace la plus sérieuse envers son existence tout entière. »

Voici que, justement, infantilisés et soumis à des contraintes inédites, nos peurs et nos angoisses de l’enfance ne peuvent que remonter à la surface.

C’est ce qui vient sous mes mains, ce qui jaillit en moi-même en longs monologues nocturnes.


Xavier Lainé


16 mai 2021


vendredi 14 mai 2021

Le désert ou la vie

 




« Le monde est fait de réseaux de baisers, pas de pierres. » Carlo Rovelli, L’ordre du temps, éditions Flammarion Champs/Sciences, 2019


Mais alors, si le monde est fait de baisers et non de pierres, pourquoi est-il si dur, si âpre, dit l’enfant.

C’est que nos peurs nous durcissent et nous font renoncer à la tendresse.

Peur de ce qui apparaît lorsqu’enfin libérés de cette carapace, nous nous laissons aller au flot de nos sentiments.

Mais, ne pas confondre sentiments et sentimentalisme.

Le sentiment est ce qui nous vient hors calcul, hors normes, cet élan dans nos profondeurs qui cherche toujours une issue mais que nos pères nous ont appris à corseter.

Voilà l’origine des pierres.

Un jour, à ne plus nous toucher, nous étreindre et nous embrasser, nous serons sur une planète desséchée.

Nos larmes roulerons puis s’évaporeront en faibles brumes.


Mais alors, qu’est-ce qui nous rend si aveugles à nos propres soupirs ?

Le calcul, mon enfant, le calcul, cette volonté farouche de dominer le présent et l’avenir, surtout.

Donc de tout régenter par des probabilités, des algorithmes, des prévisions, cette volonté de résoudre tous les problèmes sous la dictature de notre raison.

Non qu’il n’en faille pas un peu, de raison, mon enfant, mais il faut savoir trouver ce fragile équilibre entre les nécessités et les rêves.

Le calcul nous fait de pierre quand dans nos rêves d’innombrables baisers se déposent, qui nous font vivants.

La peur de l’impermanence sans doute, nous corrompt.

La peur nous corrompt est se fait système dans lequel la vie elle-même s’ankylose.


Xavier Lainé


15 mai 2021


jeudi 13 mai 2021

Aux larmes, citoyens !

 




L’oiseau est dans sa cage et pleure, le ventre gonflé et pelé.

Pourquoi il pleure, dit l’enfant.

L’oiseau pleure parce qu’il souffre, dit l’adulte.

Il souffre de quoi, dit l’enfant.

D’une méchante tumeur dans son ventre, dit l’adulte.

Qu’est-ce que je peux faire, dit l’enfant.

Je ne sais pas, dit l’adulte, je suis comme toi, désemparé devant sa souffrance.


Un peu plus tard, l’enfant vient, les yeux pleins de larmes : je veux pas qu’il meure, l’oiseau !

L’adulte ouvre ses bras et l’enfant y dépose ses larmes. En dedans c’est aveux d’impuissance et sourde colère.


Deux enfants parmi d’autres sont morts, ces jours-ci, à Gaza, à Jérusalem.

Deux enfants, eux aussi, auraient pu pleurer sur le triste sort de l’oiseau.

Deux enfants dont des armes d’adultes ont définitivement séché les larmes.

Pleure mon enfant, pleure pour l’oiseau, pleure pour toi, enfant perdu d’un monde en errance, pleure pour les enfants qui ne pourront plus pleurer.

Pleure, mon enfant, avec moi : ici on fourbit les armes et on interdit les larmes. 


Xavier Lainé


13-14 mai 2021

mercredi 12 mai 2021

Rien n'est certain

 




« Rien de plus misérable que l’homme qui tourne autour de tout, qui scrute, comme on dit, « les profondeurs de la terre », qui cherche à deviner ce qu’il se passe dans les âmes d’autrui, et qui ne sent pas qu’il lui suffit d’être en face du seul génie qui réside en lui, et de l’honorer d’un culte sincère. «  Marc-Aurèle


Le pire serait de vouloir comprendre.

Mettre des mots sur tout, construire de belles théories.

Avec celles-ci avancer d’un pas assuré dans un monde bien balisé.


Je m’en vais discrètement.

Je me cache derrière des mots décousus, des pensées mal ficelées.

Je ne sais rien des codes secrets.

J’ai oublié les mots de passe.

Je ne sais que sentiers détournés où déposer mes rêves, comme petits cailloux sur un chemin incertain.


Le pire serait de prétendre comprendre.

Il est déjà si complexé de me cerner moi-même, de connaître le millième de qui je suis, étais, pourrais être.

Je ne sais si je pourrais dire heureux qui affirme se connaître !

Alors plonger dans l’abîme des autres !


Mes mains tremblent parfois devant vos attentes.

Je vous sens anxieux, assoiffés de mettre un terme à vos souffrances.

Mes mains tremblent, et voilà que brusquement le poignard de vos douleurs se plante dans mon dos, entre mes côtes.

Douleur qui se fait mienne mais ne m’appartient pas.

Je vis les mêmes angoisses que vous. Je ne sais pas si demain je pourrai encore conserver l’oeuvre d’une vie : une maison où abriter mes passions, mes pensées, mes sources d’inspiration et de révolte.


Xavier Lainé


13 mai 2021 (1)


mardi 11 mai 2021

Suivre la route

 





« Se comporter en adversaires les uns des autres est contre nature, et c’est agir en adversaire que de témoigner de l’animosité et de l’aversion. » Marc-Aurèle


Ma route est sinueuse.

Elle va de ci de là, prend d'étrange boucle, ne sait où elle va.

La tienne s'est arrêtée, net, te conduisant d'ici à là-bas en toute injustice.

Mais quelle justice saurais-je attendre ?


Ce furent pluies diluviennes et sur la route mouillée, j'allais titubant.

Nuées d'orage s'amoncelaient : me voici si petit sous les éclairs !

Ce furent pluie diluviennes dispersées sans que vous ne regardiez le ciel.

En l'aurore délicate quelques moineaux s'égosillent par dessus le grand fracas.

Vous roulez, vaquez en vos agitations sans rien entendre des cris de la terre.


Ma route est sinueuse.

Elle suit les pas méditatifs de mes maîtres en philosophie.

Que dire qui suive leur voie ?

Sinon lire entre les mots la profondeur du silence.


Ma route s'en va, loin des bruits répandus et des folles disputes.

Quoi ? toujours il faudrait être pour ou contre, et toujours s'écharper tandis qu'injustices et crimes suivent leur route bien droite, jusque dans les escarcelles déjà pleines des malades de l'économie.

Tandis qu'ici on s'invective, tout va bien pour eux, merci.

Le meurtre se poursuit tout au long de nos frontières, mais vous vaquez en vos agitations.


Ma route peu à peu s'éloigne.

Mes rêves de justice et de paix, chaque jour sont un peu écornés.

Mais qui suis-je à prétendre que les rêves sont plus importants que petites ou grandes économies.

Je disais : "le néo-libéralisme n'est pas seulement une économie, c'est une conception de l'homme, recroquevillé sur lui même et convaincu de devoir s'en sortir par lui-même et sans souci d'écraser les autres."

Je disais, mais que valent nos paroles prononcées dans un monde sans ?


Ma route va où elle peut.

Elle n'a rien à voir avec.

Ou au contraire à voir avec tout, avec chaque partie, chaque soupir, chaque plainte, chaque douleur ou larme.

Mes mains s'épuisent à montrer où se trouve le ciel, à maintenir vies à la surface respirable.

Je suis là, las parfois.


Xavier Lainé


12 mai 2021


lundi 10 mai 2021

On vit quand ?

 




C'est incroyable toutes ces commémorations !

Il en jaillit tous les jours. On se les dispute.

Chacun y va de son discours, de sa larme à l'oeil,

de sa fanfaronnade, aussi : j'y étais qu'ils disent.

Mais aujourd'hui ?


C'était beau, c'est vrai :

la retraite à soixante ans

(j'en ai soixante cinq,

devrai aller bossant jusqu'à au moins soixante dix)


C'était beau, c'est vrai :

les trente neuf heures

(je ne compte plus les heures 

à toujours lutter contre le rouge de mes comptes)


C'était beau, c'est vrai :

la cinquième semaine de congés payés

(quand j'arrive à m'offrir trois semaines dans l'année

mais sans bouger de la maison, faut pas déconner,

c'est un petit miracle)


C'était beau !

Ça  brillait dans le noir du monde, 

on se serait presque crus arrivés quelque part.


Mais voilà que l'ascenseur social a du se gripper,

ou attraper un virus mortel.

Alors, on commémore. 

On y va de vibrants discours.

Mais on vit quand et comment ?


Xavier Lainé


11 mai 2021