samedi 30 septembre 2023

Patience & langueur des temps 7

 



XL-La femme assise, Karl-Jean Longuet (1922)



Venez et bouffez

Je vous en prie

Consommez

Consommez jusqu’à l’os

Prenez soin de le ronger

Jusqu’à la moelle


Puis retournez-vous en 

Allez proclamer votre propre parole

Comme ultime parole de vérité

Usez et abusez

Des médias en ligne

Soyez la ligne de mire


Regardez-vous dans le miroir

Trouvez-vous beaux 

Admirez votre discours

Faites-en la bible d’un temps

De juxtaposition des ego

Soyez seul face à tous

Considérez que tous sont 

Vos ennemis irréductibles

Dont la vie et la parole

N’a de cesse de vous tromper

Vous mentir


Mais considérez votre parole

Comme divine vérité établie

Car vous la pensez telle

Ne vous laissez pas détourner

Par les vieux humains 

Qui considèrent encore

Que l’humain est bien plus que sa propre vérité

Qu’il serait tempos de rétablir du commun

D’accepter la confrontation des paroles

Au nom d’une vérité indécise


Le néo-libéralisme

Ce cancer de l’humanité

A ceci pour résultat

Il gangrène tous les esprits

Il façonne les corps

Il est ce fossoyeurs de nos recherches communes

Il nous isole

Chacun devant son écran

Chacun devant sa caméra

À se trouver beau et intelligent

Entraînant dans le sillage

De ces ego surdimensionnés

Les incertains et les serviles

Les faibles en pensée

Faute d’avoir reçu l’éducation critique

Qui en aurait fait des citoyens

Des femmes et des hommes

Capables de penser le monde

Le commun sans lequel notre humanité se perd


La racine du néo-fascisme est ici

Dans ce puzzle de discours 

Où seuls contre tous

Vous pensez détenir les clefs


Ne prenez pas ma parole pour vérité

DOUTEZ

Confrontez là à d’autres paroles

LISEZ

CHERCHEZ

N’écoutez pas ceux qui se disent penseurs

À la condition que nul ne doute de leur pensée

Écoutez ceux qui mettent en doute leur propre parole


Je n’écris ici aucune sorte de vérité

Je cherche

Le jour où je proclamerai

Ma parole comme vérité

Cessez de me lire

Jetez mes écrits à la poubelle de l’histoire

Rejetez moi 

Car 

Ce jour là

Je serai un homme dangereux


*


Concordance du fils et de la mère

Glissement vers l’amer

Les mots certes

Mais le corps aussi qui dit


Ce que dit le fils qui oscille

Dans un monde qui ne sait pas recevoir

Ce que les sens lui révèlent

Alors il s’enferme

L’amertume le gagne

Un jour noir

Le lendemain blanc


Tout n’est qu’errement

Nous sommes de ces éternels errants

Qui oscillent d’un côté à l’autre

D’un chemin toujours chaotique

Rarement tout droit


Nous avons sans cesse à apprendre de cette amertume


*


Voici que flot t’emporte

Tu ne sais vers où

Mais il t’emporte

Inutile de résister

Il te faut le suivre


Une communauté humaine

Se forme dans le creux des vagues

Elle suit les ondulations

D’une houle secrète


Vivre debout c’est

Comme l’algue

En longue lanière 

Dans le secret des vagues

Onduler à chaque mouvement

Et y prendre plaisir


C’est parfois plier

Pour ne pas affronter 

Les courants contraires

Puis se redresser 

Mais jamais lâcher

L’ancrage aux rochers



Xavier Lainé

7 septembre 2023


vendredi 29 septembre 2023

Patience & langueur des temps 6

 



XL-La femme assise, Karl-Jean Longuet (1922)





Bien sûr vents debout

Ils s’en vont combattre fièrement les idées rances

Bien sûr


Mais seulement après

Avoir soufflé sur les braises

En avoir banalisé l’existence


Bien sûr vents debout

Ils s’en vont guerroyer contre les mufles hideux

Bien sûr


Mais cinquante ans après

En avoir accepté le jeu pervers 

Sous le mauvais masque

Du mot « démocratie »

Vidé de tout sens


Bien sûr vents debout

On s’offusque de voir monter

La gangrène et la peste

Après en avoir adopté

Le vil profil 


Bien sûr


Bien sûr


*


Alors j’ouvrirai mes pages

À tous ces mots inconnus

Prononcés dans des langues

Dont je ne comprends pas les subtilités


Je serai là

À l’écoute d’un monde

Qui dit les mots du coeur

Et les décline

À l’infini

Des lèvres

Des gorges déployées


Ils me diront la souffrance et l’amour

Et la délivrance aussi

Lorsqu’une oreille se fait attentive

À leur chant sans véritable destinataire


Je me contenterai d’être là

Assis sur la pas de ma porte

À attendre et entendre

Les douces mélopées

Les sourdes complaintes

Que les humains savent composer

Pour dire leur étonnante migration

Les souffrances qu’ils s’imposent eux-mêmes


Ce seront des chants d’espoir 

Lancés sous les étoiles compatissantes

Nous saurons un jour nous libérer du joug 

Posé sur nos épaules par les pires d’entre nous



Xavier Lainé

6 septembre 2023