Il me faudrait sans doute
Demander moultes excuses
Pour la noirceur fréquente de mon propos
C’est inexcusable
De voir le monde à travers sa surface
Ripolinée
Avec ses dents bien alignées
Avec son gant de velours
Avec son confort virtuel
Sa consommation aisée
C’est inexcusable
Inexcusable de crier avec la Terre
De crier avec l’eau
De crier avec la mer et la vie
Qui lentement
Inexorablement s’amenuise
Inexcusable
Inexcusable
De prétendre faire poème
De cette vision tragique
D’accumuler les pages
Dénonçant l’hypocrisie
L’inaction
L’indifférence
Inexcusable
Et pourtant
Il me faudrait vous demander
Passants
De bien vouloir m’excuser
Pour mes vers de triste circonstance
Mon été sur cette Terre
Me laisse atterré
Tellement atterré
De ne savoir pas aller là
Où une poignée d’humains
Défendent la vie
Face aux bulldozers de la colonisation
Face aux grossiers appétits
Des financiers en tous genre
Qui griffent la Terre
Arrachent les arbres
Assoiffent villes et campagnes
À leur seul profit
Tellement atterré
Réduit à demeurer dans l’ombre
D’une tragédie qui s’annonce
Là
Devant ma fenêtre encore ouverte
Aux heures matinales
Où l’air est encore respirable
Mon été sur Terre
M’invite à crier avec elle
Merci de m’en excuser
Je sais que vous attendez autre chose
Du poème comme du poète
Mais
Comment me taire
Comment me
TERRE
????
*
J’allai au bord du lac
Un petit vent frais rendait l’ardeur solaire à peu près supportable
L’enfant plongeait avec délice dans les ondes
Je restai sur la grève, un numéro ancien de la revue Poésie 98 à la main
J’observais deux enfants plus loin
Ils parlaient une langue de l’Est
Leurs jeux intriguaient tout un troupeau de jeunes canards qui les entouraient
Je lisais tout ce que je pouvais sur la géo-poétique de Kenneth White
J’imaginais un pont avec la poétique du Tout-Monde d’Edouard Glissant
Le soleil gagnait en ardeur
L’enfant jouait au bord de l’eau
L’enfant me rejoignit
Nous marchâmes un moment
Un écureuil sautait de branches en branches
La foule du dimanche n’était pas encore vraiment arrivée
Incroyable préférence que de s’installer pour la journée au plus chaud
Sans doute une adaptation ultime à ce que certains nomment « réchauffement »
Adaptation ultime juste avant mise en ébullition
Juste avant cuisson à point
Juste avant de disparaître dans la cendre des déserts à venir.
*
Pas d’inquiétude
Le four est allumé
La cuisson va bon train
Pas d’ombre pour qui voudrait s’y assoir
Juste l’aridité du bitume et du béton
Pas un arbre en projet
Ma ville vit terrée
*
Tout l’art est d’en faire le moins possible
Pour ne pas fondre
On reste blotti à l’ombre des murs épais
Dans la pénombre des volets entrebâillés
Poursuivre sans bouger
Les lectures en retard
Relever les phrases éparpillées entre les pages
Se faire un bestiaire de pensées
Qui viendront peut-être
Alimenter une suite
Aux poèmes qui n’en sont pas
La pause qui s’imposait
Arrive à son terme
L’âge jouerait-il un rôle
Dans le peu d’empressement à m’y remettre
Il est si doux le temps qui s’étire
Le temps qui autorise de longs moments
À se laisser aller en tendres rêveries
Lire et relire jusqu’à fermeture des paupières
Et remettre ça dès leur ré-ouverture
Il est si doux ce temps qui s’étire
Qui rend l’été sur Terre un peu plus supportable
Juste un peu car c’est encore effort
De tourner les pages et ne pas se perdre
Au fil du texte
Xavier Lainé
20 août 2023
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