vendredi 10 avril 2020

Jour 23 : en l’espèce des confins


Non je n’écris pas sur mon confinement, j’écris avec la rage au ventre de voir un Etat empêtré dans les non sens et l’improvisation la plus médiocre.
Je n’écris pas de poésie, ici.

Ma poésie n’a plus lieu d’être lorsque des gens honnêtes sont ainsi méprisés et contraints.
Qu’on puisse abuser ainsi de la naïveté du grand nombre est une abomination.
Il faudra bien, une fois nos yeux ouverts, savoir demander des comptes.

Mais trêve de vengeances, à quoi pourrions-nous rêver ?

« Les copains avaient pensé que l’idée de la mort d’un homme pouvait encore l’ébranler. Mais tout se passait comme si rien de ce qui pouvait arriver d’imaginable à un homme n’était plus susceptible de provoquer en lui ni pitié ni admiration, ni dégoût ni indignation : comme si la forme humaine n’était plus susceptible de l’émouvoir. »
Ainsi écrivait Robert Antelme : étrange non ? Bien sûr il ne parlait pas du pouvoir d’aujourd’hui. Pouvait-il seulement supposer que nous tomberions aussi bas qu’un gouvernement qui semble ne plus avoir aucune sensibilité pour ce que peuple endure ?

Plus loin, il exprime, bien sûr sans rapport aucun avec notre confortable (quoi que) confinement, ce que la privation de liberté peut inspirer. Le moindre geste commis en toute liberté est une conquête.
Ils ont rêvé de nous enfermer pour ne plus nous entendre, mais ils ne se doutaient pas que « sortir les mains des poches, faire un pas, c’est faire quelque chose en attendant, c’est attendre. Ce n’est pas encore le froid ni la fatigue qui nous ankylosent, ni le passé, c’est le temps. »
En nous donnant le temps, ils nous offrent la liberté de laisser errer nos pensées, de nous découvrir bien plus solidaires que nous le croyions.
C’est certes une étrange liberté que celle ouverte lorsque l’espace se restreint à quelques mètres autour de soi, de son domicile.
En temps de désinformation massive, la tension est grande d’enfreindre les consignes, de prendre les sentiers de traverse qui nous donneraient le loisir d’errer où bon nous semble.
Ils ont si peu confiance en eux, qu’ils transfèrent sur nos épaules leurs doutes. Alors, même sortir seul dans la colline, aller affronter l’espace des monts et merveilles du printemps nous est interdit.
Il y a consignes et consignes. Les leurs sont la traduction littérale de leur peu de considération pour eux-mêmes.
Ils ne sont que les agents de qui les a engagés pour boursouffler une minorité de porte-feuilles.

Il faut profiter de ce temps pour lire et relire Robert Antelme.
Au moment où nos déplacements se limitent à remplir nos frigos, à une heure de promenade d’oxygénation comme des prisonniers dans la cour, ils ont oublié que « quand on est libre on ne se contente pas de manger, on se déplace aussi. »
C’est la plus élémentaires des conditions de notre liberté.
Qu’un Etat, pour cacher ses propres carences nous contraignent ainsi corps et âmes, voilà qui est injure à la plus élémentaires de nos conditions.

« Une société qui fait de tout argent se trouve désemparée devant des valeurs et des conduites non monnayables. »
C’est Régis Debray qui ici s’exprime, dans « Le moment fraternité ».
Il rejoint en cela Robert Antelme au panthéon des réflexions à lire et relire en l’heure d’être prisonnier de nos confins.
Cette société a des décideurs qui sont formatés, coulés dans le bronze de dogmes dont la finance est la colonne vertébrale.
Ils sont les gardiens d’un temple dont l’immense majorité est exclue.
Ils nous regardent du haut de leurs palais, l’oeil méprisant de nous entendre encore taper sur nos vieilles casseroles à l’heure de leur crépuscule.


Xavier Lainé

7 avril 2020

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