jeudi 25 novembre 2021

Effeuiller les jours (Ou la vie sous contrainte) 4

 




C'est le jour où tu regardes effaré des chiffres qui en disent long sur l'achat de ton silence : à quoi ça rime de faire ton travail à 20€ la demi-heure remboursés à 60% par l'"Assurance maladie" quand tu pourrais curer le nez de tes patients toutes les dix minutes pour 25€ sans prise en charge ?


C'est le jour où tu as prétendu aux fausses amitiés en réseau et où tu t'en voulais, pliant sous l'avalanche des messages de soutien, sans savoir comment y répondre.


C'est un jour bien ordinaire où tu vis mal de ne pouvoir trouver le temps d'écrire, passant ton temps précieux à aiguiser tes défenses en tous genres.


Vont ainsi les jours "soignants" que tout le monde croit qu'il suffit d'ouvrir ta porte et d'appliquer tes techniques de sorciers pour réparer les dommages collatéraux d'un monde malade.

Mais toi, c'est chaque jour la même chose, tu ne sais pas, tu ne sais rien, tu te demandes ce que tu pourrais bien faire pour réparer le vivant en chacun, tellement maltraité que plus rien ne va.


C'est le jour où tu vois bien l'incompréhension de ton discours qui dit que nous ne sommes pas qu'os, muscles, neurones et qu'il ne suffit pas de molécules pour éradiquer les maux qui nous taraudent.

C'est chaque jour ainsi puisque depuis si longtemps nous avons désappris à faire confiance au vivant.


C'est le jour où tu poses commentaire en ce sens sous interview d'un "président de conseil scientifique", puis tu le retires sous l'avalanche des incompréhensions comme autant de plaies ouvertes que la langue ne cesse de creuser quand les mots ne disent plus, ne parlent plus, ou se perdent en glissements sémantiques infinis.


C'est le jour, et puis la nuit, où tu te dis que la tendresse des racines bercerait mieux ton sommeil que le faux confort d'une maison.

Où tu voudrais ne plus te réveiller... ou te réveiller mais dans la grande liesse libératrice de tous ces jougs qui s'accumulent depuis tant d'années de domination de ton genre sur tout ce qui respire et s'émeut.


C'est le jour où tu lis ce que des femmes sont en train d'accomplir, sous la pression des guerres, sur un territoire fracassé par les hommes et leur penchant guerrier dominant.

Et tu te dis que, si tu savais ne pas être un boulet masculin de plus aux pieds de leur rêve, tu irais bien les accompagner dans leur lutte.


C'est un jour comme ça, d'aube délicate posée sur un ciel timide.

Tu n'en es qu'à l'automne de l'âge, et tu voudrais voir tes rêves adolescents, qui ne t'ont jamais quittés, eux, prendre leur envol et se déposer là dans la beauté d'un jour paré de feuillages d'or et de lumière.


Xavier Lainé



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