dimanche 7 juillet 2024

Un goût amer 13

 





Ce texte, écrit le 13 juin 2024, même si la situation a pu évoluer plus favorablement, me semble ne nécessiter, même aujourd’hui, 8 juillet de la même année, aucune correction.


Comment dire sans être mal compris, puisque les mots semblent prendre, depuis de longues années, la poudre d’escampette du sens ?

Comment dire mon désarrois d’entendre les mots de surprise quand tout contribuait au naufrage ?

Comment me réjouir (certes m’en réjouir, mais quand même pas vraiment) de ces sursauts promis : on ne m’y reprendra plus et demain j’irai voter ! ?

Je ne sais pas.


Me faut-il remonter le fil des pages ici consignées depuis 2007 et l’accession d’un petit agité aux fonctions suprêmes dans un pays mis à mal par ses prédécesseurs ?

Me faut-il réécrire ce que j’ai déjà écrit, certes jamais publié car impubliable en l’état d’un monde de l’édition asservi par la finance ?

Je n’ai cessé de crier à ma manière, de décrire sur ces milliers de pages le gouffre ouvert sous nos pieds !

Je n’ai jamais cessé de crier « casse-cou » aux inconséquents qui prenaient la menace électorale à la légère tout en laissant le ver s’introduire dans le fruit de nos vies !

Je n’ai jamais cessé…


Je n’ai jamais cessé.

On me l’a reproché.

On m’a dit que ma poésie avec son tour tragique devenait illisible.

Alors vous cessiez de me rendre visite, pour cause de tristesse.

Je ne l’étais pas.

Je me contentais d’ouvrir mes yeux et de sentir ce qui changeait, non dans le paysage politique du moment, mais dans les modes d’existence.

Ces petites choses qui, au quotidien, trahissent que le ver du fascisme est déjà là.

Alors mes mots et au fond de moi le désespoir de ne pas savoir faire entendre.


Qu’on me comprenne : je ne dis pas qu’il est trop tard.

Je me contente de dire qu’il est bien tard et que la tâche est ardue pour remonter la pente.

Car comme à son habitude dans l’histoire (pardonnez-moi de lire beaucoup), le fascisme fait son lit dans l’extension du domaine de la misère.

Quand je dis « misère », je ne dis pas seulement manque d’argent.

Il y a une misère pire que celle-ci : celle qui donne le sentiment de n’être jamais entendu, jamais cru, jamais écouté.

Il y a cette misère profonde qui fait d’un être un jouet entre les mains perverses de qui joue sur les mots en les dénaturant.

Il y a ce fascisme, sans petite mèche ni moustache, qui sait vous caresser dans le sens de vos misères, en vous faisant croire qu’il vous a entendu.

Mais c’est pour mieux vous manger, les enfants !

On cache les crocs acérés derrière un visage lisse, très bon chic bon genre (j’allais écrire « 

bon gendre »). 

Momentanément vous vous sentez heureux : quelqu’un vous a entendu.

Vous ne savez pas ce que les masques avenants peuvent cacher de haine au nom de la soif de pouvoir.


Car nous avons laissé le triste vers de l’ego ronger toute forme d’expression politique sans jamais inviter à réfléchir.

Qui sommes-nous derrière nos masques ?

Le jeu politique devient alors un sombre théâtre où il n’est plus jamais question du commun, mais seulement de l’accession au pouvoir et de l’art de s’y maintenir.

On finit par confier le sort du commun à n’importe qui du moment qu’il présente bien, qu’il galvanise par des discours enflammés mais creux, la foule des laissés pour compte.

Un jour, cette foule  se met à marcher au pas cadencés en tendant le bras, mais on continue à dire que c’est inattendu.


« Pour savoir, pour sentir vraiment à quel point le besoin du défilé, l'instinct de la soumission sont entrés dans la chair et le sang de la vie allemande, il faut avoir vécu en frère parmi ses mauvais garçons. » (Joseph Kessel, Allemagne 1932 - Unterwelt)


Comme il est écrit sur le mur, à la fin de la visite du camp des Milles : « ne rien faire, c’est laisser faire », là se situe l’engrenage maudit qui mène droit vers le pire.

Lorsqu’un président de la République considère que certains citoyens sont dignes d’intérêts tandis que d’autres ne sont rien (« Les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien » est une petite phrase prononcée par Emmanuel Macron le 29 juin 2017, lors d’un discours dans le cadre de l’inauguration du campus de start-up Station F à Paris. Source : Wikipedia) la porte est ouverte sur cet engrenage.

Le plus étonnant c’est que nul n’ait tenu à rappeler à l’ignoble individu qu’au sein de notre humanité aucun humain n’est supérieur aux autres.

Rompre avec cette égalité nécessaire, c’est ouvrir la porte des camps.


Le vers était dans le fruit depuis si longtemps.

Comment peut-on affirmer être resté hors des élections et tout à coup se réveiller quand l’incendie gagne tout l’édifice.

En quel niveau d’immaturité sommes-nous tombés pour considérer notre devoir électoral comme accessoire pendant des années, puis tout à coup se réveiller tandis que le naufrage est là.


Bien évidemment, je rêve.

Je rêve que le 30 juin et le 7 juillet, ce pays retrouve figure humaine.

Mais…

Vous me voyez amer d’avoir vu s’approcher les récifs, d’avoir lancé les SOS sans que ceux-ci vous soient audibles.

Quelle vague nous permettra d’éviter l’éventration de la coque sur les récifs noirs du passé ?



Xavier Lainé

13 juin 2024


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