samedi 18 février 2023

Α-σώματος/In-corporel ? 30

 



XL-In-corporel-Fusain/2001



« La souffrance, qu’elle soit celle d’un être humain ou de la terre elle-même, doit être traduite en mots de révolte, de repentir ou de prière⁠1. »


Il faut bien que corps s’exprime.

C’est souvent par la voix, la parole.

Mais bien avant, son langage reste mystérieux.

Nous savons mais n’en disons rien.

Nous nous « adaptons », même au pire qui avance masqué.

C’est tout l’art : ignorer ce que corps dit, rendre sourd à son expression.

Comme la bonne gouvernance doit rester sourde aux cris.

Aux cris de révolte et d’insoumission, on oppose grenades et fumées.

On blesse les corps révoltés, on les éborgne, on les mutile.


Il faut bien que corps s’exprime.

Que ce soit en larmes silencieuses, ou en grommellements à peine audibles.

Les corps disent, mais, chut, il ne faut rien en dire.

Juste les soigner assez pour qu’ils retournent à leurs bourreaux.

Travaille et ferme-là !

Travaille toujours, toujours plus, plus longtemps et ne proteste pas.

Sauf que corps eux, protestent, parfois en longues maladies.

Mais on vous dit que ça coute un « pognon de dingue », tous ces « riens » !

Riens qui doivent avancer courbés devant les caisses automatiques.

Riens qui ne sont bon qu’à remplir le caddie du samedi.

Remplir leur organisme fatigué de produits frelatés.


Il faut bien que corps protestent.

Puisque toute tentative d’en dire quelque chose est vouée au silence.

Chut ! On vous dit : ce qui vient devant vous ne doit pas sortir au grand jour !

Vous êtes les dépositaires de la souffrance du monde et vous devez vous taire !


N’en rien dire qui serait trahison d’un secret.

N’en rien dire qui soit révélateur des causes de malaises.

Le silence est imposé pour que les yeux jamais ne s’ouvrent.


(30 janvier 2023 — 1 — 7h20)


*


Et pourtant l’usure.

Usure de qui a commencé tôt.

Usure des métiers de force.

Usure de l’’exploitation pour une vie sans.

Une vie sans vacance et sans sortie.

Une vie qui n’en est une que pour être encore vivant.

Une vie passée sous les fourches de qui vous exploite et vous tond.


Ce fut dit : ceci n’est rien aux yeux des dominants.

Rien regardés avec mépris de classe du haut d’un perchoir politique.


Et pourtant l’usure et la fatigue d’exister.

Et ce peu d’espoir qui reste une fois pansées les plaies.


(Lundi 30 janvier — 2 — 17h49)


Xavier Lainé



1 Alberto Manguel, De la curiosité, éditions Actes Sud, 2015

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