mercredi 5 juillet 2023

Pousser les portes du devoir (Un chemin étroit avec Gide) 13

 



Vierge voilée de Giovanni Strazza (XIXème sicèle)

(Photographie glanée ici : Livingstone)


« Et notre vie aura été devant nous comme ce verre plein d’eau glacée, ce verre humide que tient les mains d’un fiévreux, qui veut boire, et qui boit tout d’un trait sachant bien qu’il devrait attendre, mais ne pouvant pas repousser ce verre délicieux à ses lèvres, tant est fraîche cette eau, tant l’altère la cuisson de la fièvre. » André Gide, Les nourritures terrestres


Le coupe offerte, il faut la boire.

C’est ainsi qu’est vivre : boire avec confiance le verre offert.


Qu’attendre ?

Rien, ou se prendre les pieds dans le tapis des attentes.

Croire que quelque chose viendrait qui nous sortirait de l’enfer, suivre le pas chaloupé d’amours incertaines.

Puis sombrer au premier coup d’oeil jeté dans le rétroviseur.

Un doux sourire distingué, me voici chancelant d’avoir déjà tout perdu.


Pourtant boire.

Satisfaire la soif de vivre et d’aimer.

Calmer ainsi la fièvre qui gagne, avec le temps, en intensité.

Je n’aurai pas le temps.

Je ne l’aurai plus.

Qu’ai-je vécu, qu’ai-je bu en cette coupe offerte pour demeurer ainsi sur la rive, avec ce goût amer ?


D’autres vont de leur pas assuré, égrenant leurs réussites comme médaille au revers du manteau des anciens combattants.

Moi, je ne sais pas.

Je me suis contenté d’éviter les écueils, de ne pas me noyer tout de bon, dans la ciguë d’une coupe amère.

« Réussir » : que suis-je en ce monde qui n’a d’yeux que pour la « réussite » ?

Jamais eu cette ambition, juste le désir de boire tranquillement l’eau fraîche d’une fontaine, sans prendre le risque de la voir croupir dans l’intensité des orages.


Quand bien même l’aurais-je eu, que rien ne venait qui ressemble peu ou prou à quelque encouragement.

Alors, j’ai fais ce que je pouvais.

Psalmodiant que la vie est une maladie mortelle sexuellement transmissible et que le tout serait, entre le début et la fin, de ne pas être trop con, je me suis attelé à vivre chaque jour en m’étonnant d’être là.

Là, si las parfois que l’étonnement n’en est que plus grand.


Je suis, au fond, ce pauvre type qui tient le verre d’eau fraîche entre ses mains tremblantes de fièvre et n’ose pas poser ses lèvres de peur que la tendre fraîcheur ne disparaisse et le laisse agonisant.

Car c’est ainsi que nous viennent les mirages : ils nous font croire en quelque chose qui n’existe pas.

On y croit tellement qu’on irait jusqu’au bout de la soif.

La brûlure de vivre nous laisserait desséchés sur une dune perdue.

Les siècles et les millénaires déposeraient leur couche de poussière.

Nous deviendrions une énigme pour les paléo-anthropologues du futur.


De quelle soif parlons-nous ?

De quelle faim je cause ?

D’une faim insatiable d’humanité qui ne cesse de fuir.

Car je n’ai pas de mots pour la définir.

Pas de mots pour préciser ce que mon imagination met derrière ce concept d’humanité.


Alors parfois je ferme les yeux.

Je tente de faire abstraction de mon passé, de mon présent, de mon hypothétique futur.

Je laisse courir mon esprit vers cet être immense et tendre qui engloberait toutes mes croyances, toutes mes naïvetés, mais ne me laisserait pas assoiffé, affamé, desséché dans les sables de ce désert qui se creuse sous nos pas.



Xavier Lainé

13 juin 2023


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