lundi 3 juillet 2023

Pousser les portes du devoir (Un chemin étroit avec Gide) 11

 



Vierge voilée de Giovanni Strazza (XIXème sicèle)

(Photographie glanée ici : Livingstone)


« On n’est sûr de ne jamais faire que ce que l’on est incapable de comprendre. Comprendre, c’est se sentir capable de faire. ASSUMER LE PLUS POSSIBLE D’HUMANITÉ, voilà la bonne formule. » André Gide, Les nourritures terrestres


C’est une énigme que de vouloir comprendre.

« J’ai des questions à toutes vos réponses », disait Woody Allen.

Et moi ?

Moi qui lit, dévore tout ce qui s’écrit, voudrait même y passer mes jours et mes nuits, que puis-je comprendre ?


Lorsque vient l’étreinte, par exemple, l’étreinte inattendue, pourquoi ?

Lorsque l’amour pointe son nez aussi inattendu que l’étreinte, que puis-je y comprendre ?


Que puis-je y comprendre ?

QUE PUIS-JE ?

Qu’y puis-je ?


Sinon vivre, cueillir ce qui vient, en goûter la douceur.

Car à trop vouloir comprendre me voici cloué au sol.

Me voilà posant des interdits, des limites, des frontières.

Et moi qui en voudrait l’abolition, me voici, au nom de ma compréhension des choses figeant toute action au nom d’une « morale ».

Morale que par ailleurs je ne cesse de désavouer.


Je vois bien ce qu’il en est de la morale.

Cette manière de vouloir corseter la vie sous le joug de la « raison ».

Il n’est de raison que dans l’analyse à postériori de mes actes.

Mais l’acte, rien n’en justifie l’irruption.

Il n’est compris dans aucun livre, aucune philosophie, aucun calcul scientifique.

Il est.


Je n’y comprends rien, et c’est un bien.

Je dis sans cesse que mon cerveau trop petit ne peut contenir assez de savoir pour comprendre ce qui advient au coeur du vivant.

Me voici brisant le coeur de l’action au nom d’un devoir qui ne m’est imposé que par des conventions qui ne sont pas miennes.


Après coup, je regrette d’avoir mis une frontière, où j’aurais dû laisser faire.

Peut-on se défaire de ce qui a été inculqué ?

La somme de mes savoirs ne m’en dit rien.

Je navigue au jugé, dans le brouillard de vivre.

Aucun sonar ne viendra me prévenir des écueils sur mon chemin.

Aucun n’est jamais venu.

Où je croyais la voie tracée, un gouffre m’attendait.

À grand coup de certitudes et d’espoir, je m’y suis souvent jeté.


La seule chose compréhensible est dans mes actes.

Je comprends l’élan qui me fait ouvrir mes bras, par delà toute raison.

Je comprends le baiser qui vient par la douceur qu’il m’offre.

Je me sens capable de ça : aimer sans y mettre brides ni frontières.

Franchir les parapets posés sur mes espérances, simplement pour vivre en humain.


Les regrets ne changent rien à cette dictature du savoir comme « compréhension ».

Cette dictature qui brise les élans les plus subtils.

Qui ne fait qu’ouvrir blessures où l’humain ne cherche que tendresse.


Je reviens à Gide comme une nourriture céleste, un allègement de ce qui me bride.

Une ouverture des portes rétrécies par le devoir.



Xavier Lainé

11 juin 2023


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