jeudi 6 juillet 2023

Pousser les portes du devoir (Un chemin étroit avec Gide) 14

 



Vierge voilée de Giovanni Strazza (XIXème sicèle)

(Photographie glanée ici : Livingstone)


« Obscures opérations de l’être ; travail latent, genèses d’inconnu, parturitions laborieuses ; somnolences, attentes ; comme les chrysalides et les nymphes, je dormais ; je laissais se former en moi le nouvel être que je serais, qui ne me ressemblait déjà plus. » André Gide, Les nourritures terrestres


Je m’entends dire et répéter : je suis toujours le même et jamais le même, toujours le même et à chaque instant différent.

Je baigne dans le flux de l’existence.

Du dedans au dehors, toujours tout est en interférence.

Du dehors au dedans, mon être (corps/esprit mêlés), ne cesse d’apprendre, d’enregistrer, de se modifier au fil de mon expérience du vivre.

Je dis « du vivre » car « de vivre » serait me mettre en dehors de.

Or je suis dedans, jamais dehors.


Chacune de mes cellules, chaque parcelle de moi-même est en évolution constante.

Je suis toujours en remodelage.

Je meurs à chaque minute et la suivante je renais.

Pas étonnant que parfois une intense fatigue me domine.

Je somnole, et j’attends.

Puisque me voici, ce matin, vivant à mon réveil, c’est que quelque chose se doit d’être vécu qui me laissera, ce soir, différent, inconnu à moi-même.

Chaque seconde je dois me redécouvrir comme étant autre à moi-même.


C’est là que quelque chose procède d’une forme de miracle.

Cette façon de me décliner sans décliner, d’avancer immobile, de me ressembler sans être identique.

Les traits de mon visage insidieusement sont la marque de ces changements qui s’opèrent.

Parfois, quand je dors, je suis dans mon cocon peuplé de rêves.

Sont-ce des fées qui se penchent sur ma chrysalide ?

Qui soufflent sur mes rêves à m’en rendre amoureux de la vie et de la beauté ?

Le temps du réveil et me voici reparti sur un chemin ignoré.


Mes pas avancent en aveugle.

« Bien éduqué », on m’avait dit qu’il me fallait m’inscrire dans un « projet ».

Qu’il ne suffisait pas d’écrire mais de bâtir quelque chose avec une vision, une visibilité.

Point de carnet d’adresse utile, pourtant.

Donc, point de « projet littéraire », entre moins de vie !

Juste suivre mon chemin en mordant parfois la poussière.


« On » me chuchote qu’il faut croire en ma lumière intérieure.

Parfois me demande quel orage a coupé l’interrupteur.

Pourriez-vous rallumer le phare, que je puisse me repérer au milieu des récifs ?

Nul ne sait le chemin qu’il va suivre.

Ce monde qui prétend tout prévoir, tout orchestrer m’est étranger.

Je navigue au jugé puisque ce dont je peux être certain, c’est de me construire en gré des tempêtes qui m’assaillent.


On croit savoir, y voir clair.

On néglige les aléas sous-terrains, les « obscures opérations de l’être ».

Aucune décision n’est mienne.

Chaque pas alimente le suivant, et lorsqu’enfin un temps de repos est offert, c’est pour constater que le temps a passé et bousculé toutes mes certitudes.

Je me retrouve autre sur une rive inconnue.



Xavier Lainé

14 juin 2023


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