Pas facile
Les mots suspendus aux paupières
Le matin qui se veut calme
L’ardeur solaire qui se prépare
Pas facile
Pas commode
Faire le tour du vide
Sans tomber dans le gouffre
Sans se laisser happer
Par le silence
Pas commode
Que dit le sommeil écourté
À celui qui se lève un peu hagard
Convaincu de n’avoir pas purgé
Son lot de fatigue
Que dit-il
Il dit
Pas envie
De mettre un pied devant l’autre
Les doigts engourdis
Il dit
Il dit l’absence
La brutale absence
Après l’amour bruyant
Le rien qui s’étend
Gagne chaque parcelle du jour
Il dit
°
Pas de quoi s’étonner
Que
La mèche allumée
Ça puisse exploser
Pas de quoi
L’inverse semble vrai
C’est avec étonnement
Qu’on regarde peuple courbé
Sous le fardeau de ses maîtres
L’inverse est vrai
On tire sur la corde
On matraque et on mutile
On ne lâche rien qui vaille
Peine d’être vécu
On tire
On s’étonne qu’elle casse
Pas de quoi
C’est une évidence
Qui ne sème trouble
Qu’en esprits englués
Dans la logique des dogmes
Pas de quoi être surpris
Nahel est mort
D’une balle en pleine tête
Tirée à bout portant
La police a tiré sur la pauvreté
La mèche est allumée
*
Je suis né à une certaine conscience politique un jour de mai mille neuf cent soixante huit.
Que puis-je dire de l’espérance du jeune adolescent que j’étais ?
Un monde s’ouvrait derrière barricades et rues jonchées de débris.
C’était d’idées dont nous avions soif, non d’outils de consommation.
Je suis né à cette conscience là un soir où le feu prenait à la bourse de Paris.
C’était l’embrasement du vieux monde d’où jaillirait à coup sûr un monde nouveau tissé d’amour et d’humanités.
L’époque et la jeunesse naïve ne me laissaient pas entrevoir qu’on ne pouvait faire totalement du passé table rase.
Que ceux qui allaient procéder à cette « tabula rasa » étaient ceux qui s’étaient approprié pouvoir et économie deux ans après ma naissance, dans la perspective ahurissante d’une guerre civile liée à la décolonisation.
Mes rêves n’ont cessé de se heurter au mur de ce « réel » : un pouvoir qui toujours échappe aux plus démunis, le pouvoir lui-même comme outil de toute domination masculine.
Le triomphe des « guerriers » qu’on ne nommaient pas encore « premiers de cordée ».
Ceux-là sont arrivés dans mon monde poétique un onze septembre mille neuf cent soixante treize dans l’écroulement du rêve chilien sous les coups des « golden boys » du dogme néo-libéral.
Allende et Neruda cloués au pilori d’une dogmatique qui, au fil du temps, n’aurait rien à envier aux dogmes d’un pseudo-communisme dont les « premiers de cordée » ne tarderaient pas à démolir les murs, écornant en même temps les naïvetés d’un monde né dans la gloire industrielle d’un progrès sans fin et sans limite.
Dogme contre dogme, les gens d’argent à l’avidité sans limite allaient être les fossoyeurs de tous nos rêves.
Ils eurent des visages : Tatcher, Reagan, Eltsine.
Parfois ils avancèrent masqués, nous faisant croire, un soir de mai mille neuf cent quatre vingt un que « quelque chose allait changer ».
Mais c’était juste une manière de nous soulever la tête hors de la baignoire pour que nous ne puissions nous noyer tout de suite.
Ils avaient appris à torturer les peuples comme les individus dans les geôles puantes de Santiago.
C’est à ceci qu’ils s’appliquent : exclure toute part de rêve et d’utopie dans les têtes mal nourries des laissés pour compte de leur monde sans âme.
Satisfaire l’avidité des mâles dominants sur le dos de l’immense majorité des miséreux.
Ils ont semé le chaos pour mieux satisfaire le « progrès » sans limites de leurs profits honteux.
Ils ont su éviter les chars dans les rues et dévoyant la démocratie dont ils ne peuvent avoir que haine.
De grèves en révoltes, à chaque coup porté, une partie des peuples suit les chemins de la révolte.
Il fut un temps où celle-ci rêvait encore d’un autre monde.
Les rêves salis par les prédateurs nostalgiques du fascisme, il ne reste plus à la jeunesse qu’à détruire ce qui tient encore debout.
Tapie dans l’ombre, la bête immonde, savamment mise en scène par les « premiers de cordée », les élus maquillés de gauche comme ceux ouvertement de droite ou sous le masque d’une marche arrière toute, attend son heure.
Le remède sera pire que le mal dans un pays qui n’a pas pris le temps de tirer et d’enseigner les leçons d’un passé peu glorieux où il était de bon ton de dénoncer son voisin pour des motifs racistes et antisémites.
Aux deux motifs s’en ajoute un troisième désormais sous l’angle d’un racisme anti-musulman.
Les prémisses du triomphe de la bête immonde sont là : on vient désormais chercher chez eux, au prémisses de l’aube les militants qui rêvent encore d’un autre monde au motif de « terrorisme ».
Il fut un temps où les résistants étaient affublés de cet étiquette.
Le comble est que le fossoyeur de toutes libertés au pouvoir puisse utiliser, avec la complicité inattendue des anciens résistants la mémoire de ces justes fusillés pour leurs actes de résistance.
L’art du néo-libéralisme est ici, puisant aux sources immorales du nazisme le plus cru : travestir l’histoire, salir les mémoires, user de l’ignorance pour mieux enfoncer le clou d’un dogmatisme sans limites.
Ne croyez pas que je fasse ici nauséeux raccourci : ceux là ont tiré les leçons de ce passé obscène ! Ils avancent désormais sous un masque avenant et s’ils enferment leurs opposants, c’est pour de courtes garde à vue semant le doute sur leur idées.
Salir et pourrir toute idée contraire est leur outil de prédilection.
L’insulte et la honte n’ont plus de limite sous le joug de ce totalitarisme soft.
Le poète né sous les barricades de soixante huit regarde avec stupéfaction cette réécriture sordide de l’histoire et frémit d’avoir eu le culot de donner naissance et d’adopter ses enfants dans un pays qui ne cesse de s’avilir chaque jour un peu plus.
Xavier Lainé
1er juillet 2023
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