mercredi 12 juillet 2023

Pousser les portes du devoir (Un chemin étroit avec Gide) 20

 



Vierge voilée de Giovanni Strazza (XIXème sicèle)

(Photographie glanée ici : Livingstone)


« L’homme qui se dit heureux et qui pense, celui-là sera appelé vraiment fort. » André Gide, Les nourritures terrestres


Je me faisais cette remarque : le mot « heureux » ne vient que fort peu dans nos conversations courantes.

Comme s’il ne devait plus rien dire de l’état actuel de nos vies.

Ecoutez bien : qui oserait prétendre désormais se proclamer ainsi ?

Il y a une sorte de retenue à affirmer le bonheur.


Il faut avouer que les détenteurs de pouvoir s’acharnent à rendre l’usage du mot « heureux » impossible.

Qui pourrait se prétendre « heureux » quand chaque acte de la vie quotidienne est une lutte pour passer le cap du jour ?

Que chaque soir, sur les écrans qui remplacent notre vie sociale, s’affichent toutes les mauvaises nouvelles d’un monde où survivre n’est plus que privilège des nantis ?

Si on y pense, comment s’affirmer heureux sans paraître indifférent à la course folle d’une société aux abois sous le joug de ses maîtres ?

Penser s’affirme donc, chaque jour un peu plus, comme antinomique avec l’affirmation du bonheur.


Chaque mauvaise nouvelle du monde (et s’il est une pandémie, c’est bien celle de leur multiplication), est un bémol de plus posé sur la partition de vies résumées à une survie.

Chaque jour se révèle comme un jour de plus grignoté à une fin devenue si palpable que nul ne se sent plus garanti de pouvoir en orchestrer la traversée dans la naïveté de goûter au présent.

Nous voici comme fétus de paille ballotés par les flots houleux d’une « crise » qui n’en est pas une du fait de sa chronicité.

Il est plus de bon ton d’affirmer son « pathos », ce que le monde dégrade en nos coeurs, nos esprits et nos corps que de faire preuve d’insouciance.

Il faut être en effet bien fort pour traverser sans frémir les tempêtes et les cataclysmes annoncés.



Xavier Lainé

20 juin 2023


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