samedi 1 juillet 2023

Pousser les portes du devoir (Un chemin étroit avec Gide) 9

 



Vierge voilée de Giovanni Strazza (XIXème sicèle)

(Photographie glanée ici : Livingstone)


J’oscille.

Je me balance entre hasard et nécessité.

Je retrouve Jacques Monod, lu et étudié dans les années soixante dix du siècle dernier.

Me dis qu’il me faut relire, me rappeler pourquoi le titre est resté gravé.


Et puis je devrais faire autre chose qu’écrire.

Entretenir mon « carnet d’adresse » par exemple, contacter celles et ceux qui attendent un message de ma part, ne pas remettre à demain ce que je pourrais faire aujourd’hui, de bon matin de surcroît.

Mais rien à faire, il y a l’appel de la page comme d’autres ont celui de la plage.

Il me revient « Chemin faisant » de Jacques Lacarrière, lu sur une plage, lui aussi, dans les mêmes années et qui contient encore quelques grains de sable en souvenir.


Je devrais faire autre chose qu’écrire, que lire, entretenir les relations nécessaires à ma « carrière » au lieu de me laisser aller aux charmes du hasard, l’oeil rêveur et l’esprit en goguette.

Les livres et revues s’amoncellent : bientôt plus la place de bouger dans cet espace de travail.

Les moyens fondent comme fond la banquise, alors je rogne sur tout pour ne pas basculer, ne pas, par nécessité, devoir me séparer de ma seule fortune : ma bibliothèque !


J’oscille entre rêve et réalité.

Le réel est un mur.

On s’y cogne avec fracas.

On se heurte à la morosité du temps, l’oeil intérieur rivé sur des beautés imaginaires.

Et Gide dans tout ça ?

« Si j’avais su des choses plus belles, c’est celles-là que je t’aurais dites — celles-là, certes, et non pas d’autres. »

Je n’ai rien dit.

Je n’ai plus envie de dire.

J’ai envie d’écrire les choses belles et les horreurs générées.

À vivre dans un monde pathogène, comment m’étonner d’en voir certains plonger dans le pathos ?

Ceci dit n’excuse rien.

On parle des crimes de l’un, mais on oublie les milliers de cadavres laissés dans le sillage du paquebot capitaliste.


Je pourrais dire la beauté.

Elle est si éphémère, tellement fugace !

Elle laisse un si bon goût au palais de la mémoire qu’on voudrait s’y lover.

Ce serait un immense chant de tendresse, un grain de sable de douceur et d’amour posé dans les rouages de la détresse.


Mais voilà que l’heure tourne et que je n’ai rien fait de ce que je devais faire.

Sinon écrire pour le seul bonheur de laisser filer les mots, dans le cliquetis d’un clavier sans avenir.


Un clavier sans avenir ?

Qui suis-je pour affirmer ceci ?

Ecrire à corps et coeur perdu.

Ecrire encore pour les êtres chers, les êtres de chair, les disparus et les présents, les absents et les rêvés.

Ecrire à bras ouverts, blottis dans l’épaisseur des mots, ponctués d’un soupir d’attente.


J’oscille entre rêve et réel, entre hasard et nécessité.

Mes pensées errent à la rencontre d’une âme évadée. 

Une âme libre qui ne tolère aucune hésitation.

Raison ou tort qu’importe, une belle âme peut-elle disparaître ainsi ?

Entre deux mots…

Entre deux mots, mes rêves partent, vont à la rencontre de l’âme décidée à rompre les amarres.



Xavier Lainé

9 juin 2023


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