samedi 15 juillet 2023

Pousser les portes du devoir (Un chemin étroit avec Gide) 23

 



Vierge voilée de Giovanni Strazza (XIXème sicèle)

(Photographie glanée ici : Livingstone)



« Jette mon livre ; dis-toi bien que ce n’est là qu’une des mille postures possible en face de la vie. Cherche la tienne. Ce qu’un autre aurait aussi bien fait que toi, ne le fais pas. Ce qu’un autre aurait aussi bien dit que toi, ne le dis pas, — aussi bien écrit que toi, ne l’écris pas. Ne t’attache en toi qu’à ce que tu sens qui n’est nulle part ailleurs qu’en toi-même, et crée de toi, impatiemment ou patiemment, ah! le plus irremplaçable des êtres. » André Gide, Les nourritures terrestres


Les mots en sont jetés, comme dés que la table.

Les mots sont invitation à faire sécession, à quitter les rives obligées d’un devoir à accomplir, mais avec toujours moins de droits.

Quand ils font face à l’acharnement d’une poignée d’inconscients, prêts à tout pour maintenir leur pouvoir et leur profit, que valent les mots ?


Les mots en sont jetés comme les livres, en la mer où déjà se noie notre humanité.

Je ne sais si quelqu’un ferait aussi bien que moi.

J’en connais tant qui font bien mieux et qui savent faire des livres, eux.

Ça leur en donne, du poids, d’être entre deux couvertures à la devanture d’une librairie !


Mes mots sont jetés comme dés sur l’échiquier d’un monde où seuls rois et reines, protégés par quelques fous jouent une partie perdue d’avance.

La terre s’en remettra, c’est sûr, mais l’humanité, elle, aura fait naufrage.

Tous ne seront pas noyés.

Quelques uns en survivront mais dans quel état de barbarie ?

Elle est déjà tellement palpable dans les replis frileux d’une sécurité introuvable.

Introuvable car ceux qui sont aux commandes sont les ferments de toutes violences.


J’observe les regards ébahis lorsque je parle de Gide comme d’un précurseur à nos soulèvements paisibles, je me dis que ses livres ont dû être jetés quelque part dans cet océan d’inculture sciemment répandu, enflé, grossi pour satisfaire aux lois du commerce.

Je m’attache à ce que je fais, à ce que je tente de penser, à mes actes pour qu’ils ne soient pas en divorce de mes pensées.

Vivre sur cette terre, c’est se cramponner à quelques parcelles encore vierges ou rendues à leur virginité.

Mes mots se perdent dans un infime coin de toile.

Ils ne méritent sans doute pas la moindre attention.

Ils ne vous invitent qu’à penser par vous-mêmes, non à les suivre sur un chemin de vérité non établie.

La vie vaut bien mieux que toutes nos soumissions, volontaires ou involontaires.


Nous devons être les graines d’une espérance.

Elles ne germeront que dans l’humus de nos utopies.


Ils ne pourront pas dissoudre nos rêves, sauf à éradiquer toute forme d’humanité.

Ils s’y acharnent, mais il semble bien que le flot des résistance ne cesse de grossir.

 Leur violence est de plus en plus clairement exposée à nos regards qui savent, mais aussi sous les yeux des incrédules.

Tout l’art serait que ceux-ci apprennent à se construire hors des sentiers balisés par les pires.

Le mufle hideux est toujours présent derrière les atteintes à la moindre parcelle de liberté.


Le mots sont nos digues, le vivant notre raison d’être, l’amour et l’entraide sont nos armes.



Xavier Lainé

23 juin 2023


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