dimanche 16 juillet 2023

Pousser les portes du devoir (Un chemin étroit avec Gide) 24

 



Vierge voilée de Giovanni Strazza (XIXème sicèle)

(Photographie glanée ici : Livingstone)




« Toi qui viendras lorsque je n’entendrai plus les bruits de la terre et que mes lèvres ne boiront plus sa rosée — toi qui, plus tard, peut-être me liras — c’est pour toi que j’écris ces pages ; car tu ne t’étonnes peut-être pas assez de vivre ; tu n’admires pas comme il faudrait ce miracle étourdissant qu’est ta vie. » André Gide, Les nourritures terrestres


C’est en effet miracle que de se réveiller matin, de se réveiller mutin.

Miracle d’ouvrir les yeux sur le monde, de voir le frémissement des feuilles dans le marronnier d’en face.

D’écouter et entendre le pépiement des moineaux et mésanges dans le feuillage d’été du noisetier.

C’est miracle qu’offre la vie qui se poursuit.


Miracle possible à goûter dès lors qu’on respire.

Et de s’en étonner.

Miracle d’autant plus possible qu’on sait que chaque jour pourrait être le dernier.

Qu’un jour mes doigts resteront immobiles et silencieux dans la blancheur d’un ailleurs au-delà de la vie présente.

Qu’il ne restera plus dans mon sillage que cette écume de mots demeurés inédits.


Je n’aurai pas la chance de Gide.

Mes mots disparaîtront dans le grand tumulte d’une fin de la toile.

Dans le silence de l’oubli.


Je n’aurai pas la chance de t’écrire par delà mon existence.

Moi aussi, un jour, je n’entendrai plus les bruits de la terre et mes lèvres n’en boiront plus la rosée.

Sentirai-je seulement la caresse des yeux sur l’océan des mots délaissés sur les pages murées dans les archives ?

C’est cependant pour toi, lecteur de passage que mes mots se déposent chaque jour.

Nous vivons, mais que faisons-nous de nos vies ?



Xavier Lainé

24 juin 2023


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