« La désintégration des sociétés plurielles du Levant a causé une dégradation morale irréparable, qui affecte à présent toutes les sociétés humaines, et qui déchaîne sur notre monde des barbaries insoupçonnées. » Amin Maalouf, Le naufrage des civilisations
Nous sommes les héritiers de ce rêve brisé
Une faille
Une fêlure dans notre histoire
Tissée d’humanité
Nous avions appris à vivre ensemble
Sans un regard pour qui nous étions
De quelle religion
De quelle origine
Nous avions appris
Je dis nous
Mais
Je le dis par procuration
Pour ceux qui ont définitivement perdu
La parole
Mais nous ont transmis ce rêve
Qu’aucune frontière
Ne saurait défaire
Je dis nous
Car derrière moi
Un arrière arrière grand père apatride
Avait marché de sa Pologne natale
Jusqu’à Smyrne
Qu’il y est mort apatride
Mais imprégné des cultures traversées
Je dis nous
Mais c’est à la mémoire d’un arrière grand-père
Qui a suivi la même voie
Que les migrants d’aujourd’hui
Pour devenir français
Se souvenant que son père
Lui parlait de Voltaire et de Victor Hugo
En suivant les pas de son poète mentor
Adam Mickiewicz passé lui aussi par Paris
Avant de finir sur les rives du Bosphore
D’avant les génocides
Je dis nous
Je revois l’arrière grand-mère
Assise sur le canapé du salon
Psalmodiant
« Je suis le juif errant »
Après avoir vécu deux guerres
Traversant l’Europe à feu et à sang
Fuyant les rives de Smyrne
Vouées aux flammes
Au nom de la « pureté turque »
Mais toujours renaissante
Avec ses valises et ses enfants
Je dis nous
Ce sont ces enfants là
Français d’adoption
Qui m’ont donné naissance
Qui m’ont éduqué à lire et relire
Tout ce que notre humanité commune
A pu écrire de philosophie et de poésie
Je dis nous
Juste après les larmes d’une mère
Qui a très bien compris
Du haut de ses quatre vingt dix printemps
Que désormais
Au pays des droits de l’homme
Ceux qui nous donnèrent naissance
S’ils devaient refaire ce chemin
Demeureraient apatrides de père en fils
De mère en fille
Je dis nous pour conjurer la honte
Et respecter encore la mémoire de ceux-là
Qui vivaient dans un rêve
Brisé sur les écueils nauséabonds
Des nationalismes bornés
Repliés derrière les barbelés
De frontières fictives
Je dis nous
Je l’écris
Pour ne pas oublier ce rêve
D’une vie cosmopolite
Où chacun pourrait vivre
Tel qu’il est sans crainte
Car je suis de ce creuset
Où l’humanité se construit
Sur les rives de notre mer commune
Où se noient aussi nos rêves
Et nos souvenirs
Xavier Lainé
28 décembre 2023
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