dimanche 21 janvier 2024

Une aube se lève derrière les barreaux 28

 







« La désintégration des sociétés plurielles du Levant a causé une dégradation morale irréparable, qui affecte à présent toutes les sociétés humaines, et qui déchaîne sur notre monde des barbaries insoupçonnées. » Amin Maalouf, Le naufrage des civilisations


Nous sommes les héritiers de ce rêve brisé

Une faille

Une fêlure dans notre histoire

Tissée d’humanité


Nous avions appris à vivre ensemble

Sans un regard pour qui nous étions

De quelle religion

De quelle origine

Nous avions appris


Je dis nous

Mais

Je le dis par procuration

Pour ceux qui ont définitivement perdu

La parole

Mais nous ont transmis ce rêve

Qu’aucune frontière 

Ne saurait défaire


Je dis nous 

Car derrière moi

Un arrière arrière grand père apatride

Avait marché de sa Pologne natale

Jusqu’à Smyrne 

Qu’il y est mort apatride

Mais imprégné des cultures traversées


Je dis nous 

Mais c’est à la mémoire d’un arrière grand-père

Qui a suivi la même voie

Que les migrants d’aujourd’hui

Pour devenir français

Se souvenant que son père

Lui parlait de Voltaire et de Victor Hugo

En suivant les pas de son poète mentor

Adam Mickiewicz passé lui aussi par Paris

Avant de finir sur les rives du Bosphore

D’avant les génocides


Je dis nous

Je revois l’arrière grand-mère

Assise sur le canapé du salon

Psalmodiant 

« Je suis le juif errant »

Après avoir vécu deux guerres

Traversant l’Europe à feu et à sang

Fuyant les rives de Smyrne

Vouées aux flammes

Au nom de la « pureté turque »

Mais toujours renaissante

Avec ses valises et ses enfants


Je dis nous

Ce sont ces enfants là 

Français d’adoption

Qui m’ont donné naissance

Qui m’ont éduqué à lire et relire

Tout ce que notre humanité commune

A pu écrire de philosophie et de poésie


Je dis nous

Juste après les larmes d’une mère

Qui a très bien compris

Du haut de ses quatre vingt dix printemps

Que désormais 

Au pays des droits de l’homme

Ceux qui nous donnèrent naissance

S’ils devaient refaire ce chemin

Demeureraient apatrides de père en fils

De mère en fille


Je dis nous pour conjurer la honte

Et respecter encore la mémoire de ceux-là

Qui vivaient dans un rêve

Brisé sur les écueils nauséabonds

Des nationalismes bornés

Repliés derrière les barbelés

De frontières fictives


Je dis nous

Je l’écris

Pour ne pas oublier ce rêve

D’une vie cosmopolite

Où chacun pourrait vivre

Tel qu’il est sans crainte


Car je suis de ce creuset

Où l’humanité se construit

Sur les rives de notre mer commune

Où se noient aussi nos rêves

Et nos souvenirs



Xavier Lainé

28 décembre 2023


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire