mardi 23 janvier 2024

Une aube se lève derrière les barreaux 31

 




Un instant j’ai imaginé

Juste un instant remonter le temps

Effacer jour après jour

Ce qu’un an laisse de trace

Et tout recommencer


Tandis que les sinistres peaufinent leurs discours

Nous pourrions effacer jusqu’à leur existence


Qu’avons-nous fait pour mériter de vivre

En tel monde tragiquement défait ?

Alors, écrivant chaque jour depuis tant d’années

J’ai remonté les degrés de l’échelle

J’ai découvert avoir mis trois jours

En l’an deux mille vingt et trois

Avant de me décider 

De me jeter dans le bain saumâtre 

De voeux qui ne retombent jamais


J’écrivais ainsi, ce trois janvier

En prélude à une année

Où tant se répandaient sur les ondes

En vains voeux de bonheur

De santé et de prospérité

 

« Ça fait mal

Tous ces voeux balancés comme ça en passant

Avec visage si fermé 

Qu’ils disent le contraire 


Ça fait mal

Toutes ces fêtes qui n’en sont plus

Vidées de toute substance et de tous sens

Au point que nul n’y croit

Mais tout le monde se prête au jeu »


Je ne cesse d’écrire ici

Que la vie est ce que nous serions capables d’en faire

Que donc il n’est besoin d’aucune prédiction

D’aucune croyance 

D’aucune superstition


Le temps passe et nous avec

À défaut de prendre nos affaires en mains

D’autres s’en chargent

Et nous laissent défaits

Sur le trottoir d’en face

Après nous avoir invités à traverser

Pour trouver ce que nous cherchons en vain

En vain puisque ce que nous cherchons est en nous-mêmes

Tapis dans l’ombre de notre action ou inaction

Tapis dans notre compassion ou notre indifférence


« Toutes les langues issues du latin forment le mot compassion avec le préfixe « com- » et la racine « passio» qui, originellement, signifie « souffrance ». Dans d'autres langues, par exemple en tchèque, en polonais, en allemand, en suédois, ce mot se traduit par un substantif formé avec un préfixe équivalent suivi du mot « sentiment » (en tchèque : sou-cit ; en polonais : wspol-czucie ; en allemand : Mit-gefühl ; en suédois : med-känsla).

Dans les langues dérivées du latin le mot compassion signifie que l'on ne peut regarder d'un cœur froid la souffrance d'autrui ; autrement dit : on a de la sympathie pour celui qui souffre. Un autre mot, qui a à peu près le même sens, pitié (en anglais pity, en italien pietà, etc.), suggère même une sorte d'indulgence envers l'être souffrant. Avoir de la pitié pour une femme, c'est être mieux loti qu'elle, c'est s'incliner, s'abaisser jusqu'à elle.

C'est pourquoi le mot compassion inspire généralement la méfiance ; il désigne un sentiment considéré comme de second ordre qui n'a pas grand-chose à voir avec l'amour, Aimer quelqu'un par compassion, ce n'est pas l'aimer vraiment.

Dans les langues qui forment le mot compassion non pas avec la racine « passio — souffrance » mais avec le substantif «sentiment », le mot est employé à peu près dans le même sens, mais on  peut difficilement dire qu'il désigne un sentiment mauvais ou médiocre. La force secrète de son étymologie baigne le mot d'une autre lumière et lui donne un sens plus large : avoir de la compassion (Co-sentiment), c'est pouvoir vivre avec l'autre son malheur mais aussi sentir avec lui n'importe quel autre sentiment : la joie, l'angoisse, le bonheur, la douleur. Cette compassion-là (au sens de soucit, wspolczucie, Mitgefühl, medkänsla) désigne donc la plus haute capacité d'imagination affective, l'art de la télépathie des émotions. Dans la hiérarchie des sentiments, c'est le sentiment suprême. » (Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être)


Ne m’en veuillez pas de ne rien vous souhaiter

Je suis trop dans cette passion de l’être

Pour imaginer ne serait-ce qu’un instant

Que je ne sais quelle force extérieure

Nous ouvrirait les yeux sur nos manques


Ne m’en veuillez pas

Je ne formulerai aucun voeu pieux

Voeu comme un pieux planté dans des lendemains

Qui ne cessent de faire déchanter notre humanité commune


Je n’ai pas de voeux à formuler

Juste des rêves à traduire en mots

En mots qui ne seraient enfin d’aucune vanité

Qui seraient de nous serrer la main

De nous prendre dans nos bras réconciliés

D’un bout à l’autre de cette Terre

Dont nous savons la finitude

De nous étreindre dans un immense geste d’amour

Dont les sinistres ne viendraient plus assombrir l’existence


Ce n’est pas un voeu

Mettons-nous à l’oeuvre



Xavier Lainé

31 décembre 2023


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