jeudi 18 janvier 2024

Une aube se lève derrière les barreaux 26

 




« Derrière cette ronde fantastique, derrière le premier rideau de fer que nourrissaient le mazout, le pétrole et l'essence en flammes, la ville n’était que ruines et décombres calcinés, embrasés, tordus, pulvérisés. Un carrousel incessant de jour et de nuit avait déversé sur Dunkerque les bombes explosives et les bombes incendiaires. Sauf quelques pans de murs, il ne restait rien debout.

Or, des milliers d'hommes et de femmes et d'enfants désarmés vivaient encore dans ce massacre d'une cité. Blottis dans les caves, sans vivres ni eau, ces malheureux écoutaient gronder l'enfer au-dessus d'eux. Quand ils sortaient quelques instants pour essayer de se procurer la plus maigre des subsistances, ils ne reconnaissaient plus la forme des rues, des places, des carrefours. Et, partout, il y avait des morts. Et partout gémissaient des blessés. Et partout les soldats des Flandres, sous les bombes et les obus, se dirigeaient vers les plages et, couchés dans les dunes, attendaient l'improbable sauvetage. » Joseph Kessel, Dunkerque


Mais peut-être n’avons-nous aucun souvenir de Dunkerque

Car sinon comment expliquer que nous soyons si indifférents au triste sort de Gaza

Ce qui hier s’appliquait à détruire un port français

Ce déluge de feu et de sang qui ne visait qu’à créer l’apocalypse sur terre

Cette folie meurtrière qui portait petite moustache et hurlait ses discours d’auto-suffisance dans les micros du désespoir

S’appliquait à éradiquer toute forme de vie devant elle

Cette folie venait de loin

Elle était contenu dans la légende d’un autre continent dont nous avions décrété qu’il était désert avant nous

Ce n’était que pour masquer notre capacité génocidaire

Je ne m’étonne donc point que ceux-là dont la « démocratie » s’est bâtie dans le sang des peuples autochtones puissent aujourd’hui soutenir le crime perpétré à Gaza

Je ne m’étonne point non plus que notre mémoire fut si courte

Car qui lit encore Joseph Kessel ne saurait dire qu’il ne savait pas

Les mots pèsent leur poids

Les femmes, les hommes, les enfants sous les bombes de Dunkerque pèsent du même poids que les mêmes contraints de vivre sous le feu roulant sans trêve des bombes d’un gouvernement israélien aveuglé par sa haine de l’autre, de ceux qui ne croient pas comme lui

Que sur une étroite bande de terre de quelques kilomètres carrés, deux millions d’êtres puissent tenter de survivre parmi les cadavres, affamés et sans secours, ne semblent pas émouvoir les survivants de Dunkerque

Notre humanité semble s’arrêter à la frontière de notre petit confort construit sur les ruines d’un siècle

C’est l’horreur commencée là qui ne cesse de se poursuivre 

Les ruines de Dunkerque comme celles de Gaza ne sont possibles que par cette cécité organisée, ce trou dans notre mémoire cultivé avec art dans la vaste entreprise politique de déculturation qui lentement lamine nos esprits perdus

Ce que je sais c’est qu’il n’y eut aucune « trêve des confiseurs »

Que le sang ne cesse de couler

Qu’à Bethléem une crèche montrait hier un Christ nouveau-né parmi les décombres

Annus horribilis qui n’en finit pas de s’écouler dans les larmes et le sang

Par défaut de mémoire savamment entretenu

Par les mêmes qui hier soutenaient l’insoutenable ou leurs héritiers

Car ce sont les déments héritiers de ceux qui profitèrent du crime hideux et de la Shoah qui aujourd’hui comptent leurs dividendes accumulés sur nos défaites

Car c’est défaite que d’accepter de vivre sous la férule des nantis qui ne sèment que misères et discordes pour mieux assoir leur corruption

C’est défaite d’être si peu à protester contre tous les génocides en cours

Les tibétains, les ouïghours, les Rohingyas, les kurdes, les palestiniens et tant d’autres qui échappent à mon attention se souviendront longtemps que nous faisions nos courses de Noël sans un regard sur la misère répandue

Que croyez-vous donc qui sortira de cette inhumanité sinon toujours plus de violence

 

« Quand un homme ose prétendre à la mission de diriger ses pareils, il répond du mal comme du bien qui survient sous sa direction. » (Joseph Kessel, Témoignage au procès Schwartzbard)


Que nous nous laissions orienter vers ce nihilisme par des hommes qui prétendent nous diriger en dit long sur notre incapacité à nous diriger nous-mêmes

Derrière un dirigeant d’Etat, le peuple qui l’a élu ne saurait se défausser de toute responsabilité

Lorsque le crime est si évident

Il est de notre devoir de refuser de nous soumettre

On pourra toujours me dire que derrière ces « élus » se pressent les fantômes obnubilés par la finance

On pourra toujours m’expliquer que parfois nos choix sont limités

On pourra toujours tenter de nous disculper devant le tribunal de l’histoire

On pourra toujours dire qu’il était impossible de faire autrement

Impossible d’agir

Que nous étions impuissants devant les forces tectoniques déclenchées au XXème siècle 

Que tout ceci n’est au fond que secousses secondaires

Les morts d’hier ressemblent en tous points à ceux d’aujourd’hui

Notre responsabilité est immense d’avoir porté au pouvoir l’ombre et le mépris


Je reviens à Joseph Kessel (quand je lis, je lis jusqu’au bout) qui écrivait ceci, dans un article intitulé « La marée brune » :


« Aujourd'hui, sans gêne ni trouble, avec une simplicité élémentaire, quelques hommes qui n'ont ni mandat, ni parti, ni passé politique imposent leur volonté au moyen de soldats qui ne rencontrent aucune résistance… »


Notre devoir de désobéissance commence par un devoir de réappropriation de l’histoire

Pour que tout simplement elle cesse de bégayer



Xavier Lainé

26 décembre 2023


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire