mercredi 8 novembre 2023

Conjurer l’horreur 16

 




Pour comprendre

Pour comprendre il faut regarder avec une certaine lucidité

Je dit « certaine lucidité » car de lucidité il n’en existe jamais que d’incertaine

Il faut regarder ce qui 

Sous l’empire des nationalismes étroits

Nationalismes fomentés par une bourgeoisie industrielle en mal de possessions illimitées

A créé de toutes pièces dissensions là où régnait un cosmopolitisme bon enfant

On idéalise toujours bien évidemment ce qui a été transmis de rêves perdus


Une grand-mère s’assoit et raconte

Elle dit une histoire qui n’existe dans aucun manuel

Cette histoire qui suit les déambulations européennes d’un homme au beau milieu des conflits qui commençaient à surgir au nom de nations dont les limites n’étaient pas encore fermement définies

Il fut une époque où on pouvait prendre son baluchon et partir

On pouvait traverser des pays dont seules les pratiques culturelles et linguistiques disaient qu’ils étaient différents du pays laissé derrière

On avait dans le baluchon quelques idéaux qui vous menaient ici et là, au gré des convulsions voulues par les bourgeois au pouvoir un peu partout, jaloux de la fortune des autres

On pourrait penser que c’est cette jalousie qui les conduisit à se murer derrière des frontières verrouillées de barbelés et fermement défendues par des armées assermentées 


Une grand-mère s’assoit et raconte

Elle dit ce Levant où aboutit l’homme qui avait fuit les prétentions nationalistes d’une Europe déjà dans son replis indentitaire

Cet homme qui traversa toute son existence apatride au milieu d’autres apatrides

Lui venait de Pologne rayée de la carte, partagée entre le nationalisme russe et le prussien

Elle, née italienne, ne savait pas dire comment elle était arrivée, là, à Smyrne

L’histoire, la petite histoire dit que l’homme qui avait suivi le chemin inverse des « migrants » d’aujourd’hui épousa une grecque de la diaspora orientale

Ils vécurent en ces lieux où se croisaient toutes les religions, les philosophies, les langues.

Ils eurent un fils qui épousa l’italienne qui ne savait comment elle avait fini là

C’était un temps où on se parlait sans regarder qui était l’autre et en quoi il croyait

Un temps cosmopolite


Amin Maalouf s’est longuement exprimé sur la disparition de ce cosmopolitisme du Levant

Quelque chose ici s’est brisé

Une grand-mère assise en a sans doute aucun transmis le rêve

Une enfance mêlée aux « autres » n’a fait que confirmer ce rêve

Ce rêve qui n’a peut-être jamais existé

Ce rêve qui rend le temps d’aujourd’hui difficile à vivre et appréhender

«  Tu n’es pas d’ici »

La formule m’est répétée depuis quarante ans

Nous vivons ce temps où les rêves du Levant ont été enterrés

Où les possédants absurdes ont pu glisser dans les esprits que nous n’existons qu’à travers de nos identités, dûment authentifiées sur des cartes du même nom

Ceux-là s’ils avaient existé auraient demandé à Sapiens de décliner son identité avant de s’installer dans ce qui n’était pas encore l’Europe

Y avait-il déjà des réactionnaires néandertaliens ?

À en juger par notre génome qui contient au moins cinq pour cent de gènes néandertaliens, il semble qu’heureusement pour nous, les néandertaliennes ont pu convoler avec de beaux sapiens et vice-versa


Nous sommes, sous le joug de frontières que nous n’avons jamais demandées, contraints de n’exister que sous une identité

Être sous identité, et si l’identité est rompue par guerres, famines ou assauts climatiques, alors, comme l’a formulé l’ignoble élyséen : vous n’êtes rien


C’est ce mépris qui justifie depuis 70 ans la réduction permanente du territoire disponible pour les palestiniens

C’est ce mépris et ce cynisme qui sont à l’origine de tous les conflits, de toutes les horreurs commises au XXème siècle et dont nous subissons encore les conséquences

Faute de réfléchir

Faute de savoir

Faute de savoir réfléchir à l’étendue de nos ignorances


J’ai ajouté sur ma table


Mahmoud Darwich :

La Palestine comme métaphore

Ne t’excuse pas

Nous choisirons Sophocle

La trace du papillon

Anthologie (1992-2005)


Israël Eliraz

Abeilles/Obstacles

Comment entrer dans la chambre où l’on est depuis toujours

Petit carnet du Levant


Abdellatif Laâbi

Un continent humain

Le soleil se meurt

Les rides du lion


Pour que vous sachiez que toute réflexion vient de loin, et qu’elle se confond parfois avec ce qui est venu la nourrir


*


Lentement mais sûrement le désaveu monte

Désaveu de toute violence qu’elle qu’en soit l’origine ou la nature

Petit signe qu’il ne faut pas désespérer totalement de la nature humaine


Des israéliens se lèvent contre le terrorisme d’Etat de leur propre gouvernement

Des iraniens se lèvent contre le leur, avec dans l’idée qu’enlever leur propre terrorisme d’Etat pourrait soulager toute cette région du monde du poids de l’obscurantisme


Le problème demeure ici

Il semble que les lumières s’y soient éteintes de façon durable

Ce que cherchaient les adorateurs du stupide élyséen leur tombe comme pain béni

Le camp d’en face prend malin plaisir à se diviser sur le terme « terroriste »

En l’absence de pensée politique profonde il va de soi qu’on s’écharpe sur de la terminologie

Où donc est le temps où être de « gauche » relevait d’un souci du commun ?

Désormais on pense d’abord à sa boutique électorale

Et tant pis si les humains du commun mordent la poussière


Mais peut-être l’espoir pourrait-il venir d’ailleurs ?



Xavier Lainé

16 octobre 2023


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