Pour comprendre
Pour comprendre il faut regarder avec une certaine lucidité
Je dit « certaine lucidité » car de lucidité il n’en existe jamais que d’incertaine
Il faut regarder ce qui
Sous l’empire des nationalismes étroits
Nationalismes fomentés par une bourgeoisie industrielle en mal de possessions illimitées
A créé de toutes pièces dissensions là où régnait un cosmopolitisme bon enfant
On idéalise toujours bien évidemment ce qui a été transmis de rêves perdus
Une grand-mère s’assoit et raconte
Elle dit une histoire qui n’existe dans aucun manuel
Cette histoire qui suit les déambulations européennes d’un homme au beau milieu des conflits qui commençaient à surgir au nom de nations dont les limites n’étaient pas encore fermement définies
Il fut une époque où on pouvait prendre son baluchon et partir
On pouvait traverser des pays dont seules les pratiques culturelles et linguistiques disaient qu’ils étaient différents du pays laissé derrière
On avait dans le baluchon quelques idéaux qui vous menaient ici et là, au gré des convulsions voulues par les bourgeois au pouvoir un peu partout, jaloux de la fortune des autres
On pourrait penser que c’est cette jalousie qui les conduisit à se murer derrière des frontières verrouillées de barbelés et fermement défendues par des armées assermentées
Une grand-mère s’assoit et raconte
Elle dit ce Levant où aboutit l’homme qui avait fuit les prétentions nationalistes d’une Europe déjà dans son replis indentitaire
Cet homme qui traversa toute son existence apatride au milieu d’autres apatrides
Lui venait de Pologne rayée de la carte, partagée entre le nationalisme russe et le prussien
Elle, née italienne, ne savait pas dire comment elle était arrivée, là, à Smyrne
L’histoire, la petite histoire dit que l’homme qui avait suivi le chemin inverse des « migrants » d’aujourd’hui épousa une grecque de la diaspora orientale
Ils vécurent en ces lieux où se croisaient toutes les religions, les philosophies, les langues.
Ils eurent un fils qui épousa l’italienne qui ne savait comment elle avait fini là
C’était un temps où on se parlait sans regarder qui était l’autre et en quoi il croyait
Un temps cosmopolite
Amin Maalouf s’est longuement exprimé sur la disparition de ce cosmopolitisme du Levant
Quelque chose ici s’est brisé
Une grand-mère assise en a sans doute aucun transmis le rêve
Une enfance mêlée aux « autres » n’a fait que confirmer ce rêve
Ce rêve qui n’a peut-être jamais existé
Ce rêve qui rend le temps d’aujourd’hui difficile à vivre et appréhender
« Tu n’es pas d’ici »
La formule m’est répétée depuis quarante ans
Nous vivons ce temps où les rêves du Levant ont été enterrés
Où les possédants absurdes ont pu glisser dans les esprits que nous n’existons qu’à travers de nos identités, dûment authentifiées sur des cartes du même nom
Ceux-là s’ils avaient existé auraient demandé à Sapiens de décliner son identité avant de s’installer dans ce qui n’était pas encore l’Europe
Y avait-il déjà des réactionnaires néandertaliens ?
À en juger par notre génome qui contient au moins cinq pour cent de gènes néandertaliens, il semble qu’heureusement pour nous, les néandertaliennes ont pu convoler avec de beaux sapiens et vice-versa
Nous sommes, sous le joug de frontières que nous n’avons jamais demandées, contraints de n’exister que sous une identité
Être sous identité, et si l’identité est rompue par guerres, famines ou assauts climatiques, alors, comme l’a formulé l’ignoble élyséen : vous n’êtes rien
C’est ce mépris qui justifie depuis 70 ans la réduction permanente du territoire disponible pour les palestiniens
C’est ce mépris et ce cynisme qui sont à l’origine de tous les conflits, de toutes les horreurs commises au XXème siècle et dont nous subissons encore les conséquences
Faute de réfléchir
Faute de savoir
Faute de savoir réfléchir à l’étendue de nos ignorances
J’ai ajouté sur ma table
Mahmoud Darwich :
La Palestine comme métaphore
Ne t’excuse pas
Nous choisirons Sophocle
La trace du papillon
Anthologie (1992-2005)
Israël Eliraz
Abeilles/Obstacles
Comment entrer dans la chambre où l’on est depuis toujours
Petit carnet du Levant
Abdellatif Laâbi
Un continent humain
Le soleil se meurt
Les rides du lion
Pour que vous sachiez que toute réflexion vient de loin, et qu’elle se confond parfois avec ce qui est venu la nourrir
*
Lentement mais sûrement le désaveu monte
Désaveu de toute violence qu’elle qu’en soit l’origine ou la nature
Petit signe qu’il ne faut pas désespérer totalement de la nature humaine
Des israéliens se lèvent contre le terrorisme d’Etat de leur propre gouvernement
Des iraniens se lèvent contre le leur, avec dans l’idée qu’enlever leur propre terrorisme d’Etat pourrait soulager toute cette région du monde du poids de l’obscurantisme
Le problème demeure ici
Il semble que les lumières s’y soient éteintes de façon durable
Ce que cherchaient les adorateurs du stupide élyséen leur tombe comme pain béni
Le camp d’en face prend malin plaisir à se diviser sur le terme « terroriste »
En l’absence de pensée politique profonde il va de soi qu’on s’écharpe sur de la terminologie
Où donc est le temps où être de « gauche » relevait d’un souci du commun ?
Désormais on pense d’abord à sa boutique électorale
Et tant pis si les humains du commun mordent la poussière
Mais peut-être l’espoir pourrait-il venir d’ailleurs ?
Xavier Lainé
16 octobre 2023
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