dimanche 5 novembre 2023

Conjurer l’horreur 13

 




J’aurais aimé passer à autre chose

Mais voilà que le monde me rattrape

Me voilà contraint et forcé d’y prêter attention

Car la pente est dangereuse

Et je dois bien constater que le monde est entre les mains d’individus dangereux

Aussi dangereux que les « terroristes » dont ils font leurs choux gras

Ici on interdit de manifester le moindre soutien aux palestiniens victimes depuis soixante dix ans d’un expansionnisme religieux sans discernement

Ici on autorise les manifestations pro-israéliennes et on soutient « sans condition » l’Etat d’Israel

Histoire de savonner un peu plus la pente déjà glissante depuis soixante dix ans

Les individus qui nous dirigent semblent pourtant ne pas correspondre tout à fait aux espérances des peuples qu’ils prétendent représenter

Mais qu’importe : ils dirigent d’une main de fer, non selon les désirs de leur peuple, mais selon leurs propres caprices et idéologies

On avait cru nazisme et stalinisme une bonne fois enterrés, mais les voici tirant les ficelles dans l’ombre d’un néo-libéralisme  universellement dominant

« Dominant » est bien le terme : arrogance et mépris, décisions péremptoires sans consultation démocratique

« Démocratique » que reste-t-il du contenu de ce mot à l’heure des sinistres fossoyeurs de toutes libertés et de leurs armées de cafards


J’aurais aimé passer à autre chose

Agamben m’accompagne un instant

Agamben que la plupart autour de moi ne connaissent ni d’Adam ni d’Eve

Ils s’en moquent d’Agamben, comme de leur première chemise

Comme ils se moquent de tout ce qui de près ou de loin évoque le mot culture

C’est ainsi que s’improvisent des « nuits de cristal » et des « autodafés » de livres proscrits

On voit venir la chose, mais on fait comme si elle ne devait pas arriver

« Tout ce qui nous remue et nous émeut a la forme de quelque chose qui se rapproche, qui va nous toucher», écrit Agamben.

Il écrit ça mais comme si peu le lisent que la plupart tournent leur regard vers ailleurs et on s’étripe entre ceux qui soutiennent à mots couverts les criminels d’un côté et ceux qui soutiennent les autres criminels de l’autre côté.

On parle des palestiniens et des israéliens comme s’ils étaient d’un seul tenant derrière les criminels qui les mènent au massacre

Ainsi causent nos illustres jusque sur les bancs d’une assemblée

Ils s’étonneront demain de ce qui va sauter comme un bouchon trop longtemps contenu

La force d’un volcan est proportionnelle au temps privé de signes de sa vie

« Le proche est plutôt quelque chose que nous avons voulu éloigner et qui pourtant nous voisine », écrit encore Agamben

Le proche est ce que nous ne voulons pas voir 

Mais c’est par pure couardise

Parce qu’on ne fait pas de politique, un jour elle finit par nous rattraper et nous contraindre à ouvrir les yeux

Hamas mis en place par le pouvoir israélien contre Fatah qui aurait aimé enfin déboucher sur une paix durable, avec le soutien d’une autre état terroriste qui a réussi sa colonisation

Je répète : devrions-nous jeter tous les américains à la mer ?


Mon invitation : lire, et penser

S’informer et penser

Apprendre ce que l’histoire nous raconte et penser

Serait-ce vaine espérance que cette invitation ?

« La pensée est cette faculté de détachement, penser une chose - qu'elle soit petite ou lointaine dans le temps - c'est la rendre proche, la rapprocher. » (Agamben)

Car si nous lisons, nous informons, apprenons du passé et partageons ce qui nous aide à penser, alors peut-être serions-nous capables de nous affranchir des règles de domination que la soit-disant civilisation nous impose comme seul et unique dogme.

Peut-être serions-nous capable de ne plus nous laisser endormir par la sirupeuse musique de la sainte consommation et les sirènes d’une sécurité absolue pour entrevoir le volcan sur lequel nous dansons.

Je ne fais là aucun allusion sinon involontaire

Danser devant une prison à ciel ouvert, comme étaler nos richesses sous les yeux des plus pauvres, voilà qui, immanquablement pourrait mettre le feu à la poudre des rancoeurs et humiliations ressenties.


Je laisse le mot provisoirement final à Agamben : 

« C’est bien de cela qu'il s'agit finalement, »dit-il, « dans la vie, comme dans la pensée et en politique : savoir percevoir les signes de ce qui approche, de ce qui n'est plus temps, mais seulement occasion, perception d'une urgence et d'une imminence qui nécessite un geste ou une action décisive. »

C’est ce geste et cette action décisifs qui pourraient ouvrir la porte à l’espoir.


(Les mots de Giorgio Agamben ont été repris dans son article intitulé « A propos de ce qui s’approche, sur le site de L’Autre Quotidien, le 8 octobre 2023)


*


J’écris

On est toujours seul devant la page

Impossible de savoir leur résonance

Impossible de mesurer leur écho

Tant que livres en nombre vendu

Ne signe une quantité marchande de lecteurs


J’écris

Mes mots se posent sur une toile anonyme

Je ne sais rien de leur impact

Si même les pensées égrenées

Peuvent avoir la moindre importance


Et pourtant

J’écris

Si je n’écrivais pas

À regarder le monde comme il tourne

Il y aurait de quoi rendre son tablier

Puisque dans notre humanité

Les pires se croient libres de tuer

Libres d’insulter

Démontrant leur immense détresse

L’étendue de leur ignorance

Exploitée par d’autres

Qui leur fournissent les armes


*


J’écris

Je crie

De douleur et d’effroi

Devant l’espoir assassiné


J’écris

Je crie

Y a-t-il quelqu’un pour entendre

Que l’ignorance et la haine

Sont les enfants de la misère et de la guerre


J’écris et je crie

Mes mots inaudibles

Lorsque règnent en maître

La confusion et le bruit



Xavier Lainé

14 octobre 2023


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