J’écoute et j’entends
Le micro tendu à une écrivaine israélienne
Qui affirme haut et fort la nécessité pour son pays
D’écraser les malheureux réfugiés
À défaut qu’ils puissent quitter l’étroite bande de terre
Qui est leur domicile depuis que les siens ont dominé et conquis
Le reste du territoire
J’écoute et j’entends
Le micro tendu à un écrivain palestinien
Qui corrige gentiment la parole de la première
En exprimant sa peur
Ici
Dans ce pays qui arbore et adore
Le mot liberté
Exprime donc sa peur
De voir ses propos travestis et mal interprétés
J’écoute et je lis
Ici et là les commentaires vengeurs
Les propos de haine
Qui ne cessent de se répandre
Et me clouent au mur du silence
J’écoute et je lis
Que dans mon pays on peut mourir
D’être un lettré enseignant les lettres
Avec toute la générosité et l’engagement qu’il faut
Face au rouleau compresseur d’un abrutissement médiatique
Qui ne cesse de laminer les esprits
Dans une bouillie infâme de contre vérités
Je dis moi aussi ma peur
De voir mes écrits travestis
Une mort pour mon humanité
Est toujours une mort de trop
Quelqu’en soit le motif et les mobiles
Car en terre de liberté
La liberté elle-même est désormais entendue
En termes restreints
Alors j’attends dans l’ombre
Le temps de donner à lire
Pour ne pas entrer dans l’arène
Où les monstres se déchirent à belles dents
*
J’ai fait une grosse pile de livres
Pour me souvenir de tous ceux qui ont écrit et écrit encore
Sur la souffrance et la vie d’un moyen-orient déchiré
J’ai fait une grosse pile de livres
Parmi eux Amin Maalouf
Les échelles du Levant
Le premier siècle après Béatrice
Samarcande
Les jardins de lumière
Léon l’Africain
Le rocher de Tanios
Le naufrage des civilisations
Et un dernier acquis ce jour-même
Le labyrinthe des égarés
Parmi eux Yasmina Khadra
La part du mort
Chacun m’ouvre une porte
Une vision
Quelque chose qui me parle
Qui ressuscite en moi la parole de mes ancêtres
Quelque chose des pogroms d’ici ou là
Quelque chose des génocides commis
Des villes cosmopolites rayées de la carte
Pour être « purifiées » sous l’égide des tyrans
J’ai dressé la pile des ouvrages
Ceux qui me nourrissent et me parlent
Ceux qui sont là, derrière chaque mot que j’agence
Au secret de mon antre
Loin du tumulte et des vaines querelles
J’y retrouve Nazim Hikmet
C’est dur métier que l’exil…
Paysages humains
Chaque livre lu me pousse à l’incompréhension volontaire
Je refuse de comprendre
Moi qui me bats pour la tolérance
Je ne tolère pas la violence aveugle
Il me faudra encore sortir les grands livres fondateurs des trois religions monothéistes
*
Car il faut lire, non pour comprendre, mais pour prendre de la distance.
Xavier Lainé
14 octobre 2023
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