mardi 21 juin 2022

Sur un fil 7

 




« Pour si ridicule que cela puisse paraître ce que l’on n’admet pas c’est que la poésie puisse ne pas être insignifiante, ne pas s’en tenir aux amourettes, descriptions des beautés de la nature et autres gentillesses, c’est qu’elle ne demeure pas le divertissement d’une classe de mandarins et de sous-préfets. Ce que l’on prétend c’est  que la poésie doit s’en tenir à certains objets et ne pas se mêler de ce qui est un peu sérieux. Le sérieux n’est pas beau — cet académisme est pessimiste — le monde est sale, la muse s’y crotterait. On affirme donc, et c’est là l’académisme, qu’il est des objets poétiques et d’autres qui ne le sont pas. » Aragon, L’oeuvre poétique, volume X, 1943-1945, Livre Club Diderot, 1979


Mon poème rêve de voir les larmes changer de camp.

Mon poème est cette corde tendue juste avant que tu te noies.

Pour que tu t’y accroches.

Parfois je sens bien que tu tires, mais pas pour remonter.

Non, pour me l’arracher des mains.


Mon poème est perche, garde-fou, chaloupe de sauvetage.

Mais qui voudrait entendre encore sa voix dans le tohu-bohu tonitruant.

Une tempête en couvre le chant.

Nuées passent puis s’en vont.

Quelque part, quelqu’un se pend à la corde raide.

Elle ne voit pas le poème accroché qui voudrait la tirer de là.


Mon poème pleure à l’unisson des larmes définitives.

Il coule sur les joues de suppliciés d’un temps qui saurait faire pourtant.

D’un temps qui refuse de faire usage du mode d’emploi.

Qui refuse d’envoyer les bouées.

Qui te regarde te pendre sans t’envoyer le moindre poème de réconfort.

Mon poème n’a rien d’un jeu entre les mains des bons bourgeois.

Il trempe sa plume dans le sang et les larmes d’un quotidien obscène.


Xavier Lainé


7 juin 2022


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire