lundi 20 juin 2022

Sur un fil 6

 




« Aux tenants de l’ordre et de la tyrannie la poésie, tant qu’elle n’est pas soumise aux contrôles de la police et asservie à des exercices exclusifs de versification, paraîtra toujours une activité louche. C’est qu’elle échappe radicalement aux ordres des services de propagande… » Aragon, L’oeuvre poétique, volume X, 1943-1945, Livre Club Diderot, 1979


Mon poème se tient debout où nul ne l’attend.

Il manifeste et court les rues un pavé à la main.

Peut-être commet-il un délit de faciès, à se promener sans papier.

Il dort sur les trottoirs d’un monde qui ne le reconnaît valide, qu’à la seule condition qu’il ne parle pas de ce cadavre déposé là par les vagues.

Ha ! Que ne dit-il quelque chose de l’écume, au lieu de se pencher sur les débris de canots précaires échoués à vos pieds.

Que ne se penche-t-il sur vos serviettes souillées par cette foule en errance qui geint.


Mon poème n’a rien à voir avec ces salons où il serait reçu dans la dignité d’un monde bien huilé.

Trop bien huilé au goût de mes mots.

Ne m’invitez jamais : mes pages pourraient vomir sur vos tapis moelleux, toute la rancoeur de voir deux mondes qui s’ignorent.

L’un où il est normal de disparaître dans les fosses communes de l’histoire.

L’autre qui se congratule en « marché de poésie », entre poètes bien comme il faut.

Poètes qui n’ont rien à dire sur l’abjection aux commandes derrière chaque livre vendu.

Mon poème est invendable.


Mon poème se tient dans l’ombre de votre monde immonde.

Il en ronge les fondations jusqu’à contempler votre effondrement.


Xavier Lainé


6 juin 2022


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