dimanche 22 octobre 2023

Patience & langueur des temps 29

 



XL-La femme assise, Karl-Jean Longuet (1922)




Les tragédies

Toujours les tragédies

Ce monde saurait-il créer autre chose

Que tragédies


1913

2023


110 ans


Toujours peuples contraints à fuir

Quitter leur terre

Partir 

Toujours partir 

Reconstruire ailleurs

Ce qui a été détruit ici

Toujours


Je lis

« Et si on parlait d’hommes, de femmes et d’enfants au lieu de migrants »

Je lis


Je lis la générosité de l’enfant fuyant qui tend sa pomme au photographe

Et ce dernier qui pleure

Pas photo


Non


Pas photo


Ne détrônez pas votre regard

Je ne dis pas la tragédie par sensiblerie

Je me contente de dire

Pour que nous nous levions 

De nos canapés d’indifférence confortable


Je dis la tragédie à nos portes

Devant nos yeux


Je dis les coupables qui ont des noms

Des visages qui apparaissent

Derrière les visages burinés de fatigue et d’errance

Je dis


Certes les coupables possèdent les médias

Ils n’y montrent pas leurs visages

Ils n’y étalent que leurs dollars

Ils sont reçus en grande pompe

Aux frais de leurs victimes

À Versailles et sous les ors

De défunte République


Mais toujours la tragédie

Jusqu’où nous faudra-t-il descendre

Dans l’ignoble

Avant de réagir enfin

Et traduire devant le tribunal de l’histoire

Les coupables de celles-ci

Qui durent et s’étendent

Jamais ne s’arrêtent

Tandis qu’en lieux discrets

Ceux-là se partagent les bénéfices


La mort des uns fait le profit des autres

Voilà la règle en monde immonde


L’indifférence des uns fait le profit des autres

Voilà le résultat du lavage des cerveaux

Orchestré par les autres

À leur seul profit

Toujours


*


« Livre, si tu te soucies de toucher les bons esprits, tel blanc-bec n’osera dire que tu manques de doigté. Mais si tu te remets en tête de tomber chez les idiots, tu verras en un clin d’oeil leur marteau rater son clou, bien qu’ils meurent d’envie de montrer leur beau génie. »

Miguel Cervantes, Don Quichotte


À part ça vous écrivez quoi ?

Mais comment écrire à part, j’aimerais que vous me l’expliquiez

Car

Moi je ne sais pas ce que ça veut dire


Les apparences sont trompeuses

Plus je me retire du monde

Et plus je me sens agressé par ses tragédies


D’autant plus agressé que

Vous ne semblez jamais atteints

Ni touchés

Comme si rien ne vous ébranlait

Comme si tout glissait 

Sur l’imperméable de vos existences


Je marche parmi vous

Dans l’ombre si possible 

Car rien ne m’autorise à marcher dans la lumière

Je contemple le cynisme qui marche

Cynisme qui me dit 

« De toutes les façons on n’y changera rien »

Cynisme

On n’y change rien 

Si on ne dit rien

Si on reste sur sa petite trajectoire

Son petit confort d’indifférence

Celui qui pousse à ne plus voter

Plus agir

Plus que se lamenter parfois

Et encore

Si peu


Non


Cynisme de faire comme si

Humains parmi les humains 

Nous pourrions être ces monstres d’indifférence


Je rentre chez moi

Mes doigts s’agitent avec colère

Sur le clavier du jour


Dites-moi donc comment ne pas étouffer

Sous le couvercle du silence imposé


*


Sous le couvercle du silence

Les mots ne cessent de courir en tous sens

Leur mouvement suit le rythme des pensées

Parfois ils émergent de leur léthargie

Se demandent un peu ce qu’ils viennent faire

À la surface de la page


Aussitôt les faits dénoncés

Les hauts-cris poussés

Ils rentrent au bercail

En leur bergerie de vocabulaire

Se rendorment et se réfugient

Dans leurs rêves d’autre univers


C’est un jour pas comme les autres

Un jour d’attente sur le seuil

De mains fatiguées de lire

Dans le langage du corps

Les traces du silence imposé



Xavier Lainé

29 septembre 2023


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