mardi 17 octobre 2023

Patience & langueur des temps 24

 



XL-La femme assise, Karl-Jean Longuet (1922)





Même pas drôle

Ce que tu écris

Alors je lis plus

J’ai besoin d’air

De quelque chose qui me ferait rire

Oublier les temps sombres

Qu’on ne me dise plus

La litanie des souffrances

La persistance des injustices

Qu’on ne m’en parle plus


Me voilà embringué

Dans la galerie des glaces

Où vont parler d’eux et de leur oeuvre

Ceux qu’on qualifie d’écrivains

Ceux qui le sont

Certes

Ils le sont

Parfois même écrivent très bien

Disent bien mieux que moi

Les tragédies 

Les comédies

Avec un art d’être au monde

Dont je n’ai pas le mode d’emploi


Alors je retombe

Et de haut

Je tombe toujours de haut

Que voulez-vous

On tombe comme on peut

J’ai juste appris

Avec le temps

Mon ennemi

À ne point trop souffrir

À chacune de mes chutes

Je tombe

Mais comme beaucoup

Parfois ça fait mal

Et il y en a marre

De toujours tomber


Alors je vais et j’écoute

J’écoute et me dis

Que ne suis pas vraiment de ce monde

Avec mots qui tombent eux aussi

Mais toujours à plat

Toujours hors sujet

Comme au temps de mes rédactions scolaires

Qui me vouaient à cette spécialité

D’être hors sujet


J’écris

Qu’importe 

Qu’importe quoi

Ou n’importe quoi

J’écris

J’écris pour ne pas crier

J’écris et je lis


« L’idée d'auteur a ouvert la voie au concept de propriété de ses propos. Les lois sur le copyright ont fait de la communication entre les gens une marchandise. On peut posséder ses pensées et ses mots, les autres devront payer pour les entendre. » (Jeremy Rifkin, Une nouvelle conscience pour un monde en crise, éditions Babel, 2011)


J’écris et me dis 

Que mes mots sont du commun

D’une banalité à pleurer

Parfois à pleurer de rire

Tant la prétention d’écrire

Est un gonflement pathologique de soi


*

Veuillez donc m’excuser

De vivre dans un monde non désiré

Et d’en stigmatiser les travers

Dans le vain espoir

De vous voir enfin vous révolter


Car je ne pousse pas mes cris d’indignation

Pour vous inviter à rester devant vos écrans plats

Comme les cerveaux qu’ils vous veulent 

Les pieds dans vos charentaises

Attendant en vain le jour J et l’heure H

De révolutions sans cesse rêvées

Mais jamais accomplies


Pardonnez-moi donc de laisser mes mots

Errer parmi les décombres

D’un monde contre lequel

Toute ma vie je me suis battu

Mais pas seulement par les mots


Ici et là les pavés gardent la mémoire

De mon pas joint à tant d’autres

Nous hurlions à qui voulait l’entendre

« Plus jamais ça »

Un ça qui hélas ne cesse de lorgner

Sur notre sommeil

Pour revenir sans crier gare



Xavier Lainé

24 septembre 2023


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