Que la pluie donc
Nous lave de la souillure
Qu’elle ruisselle sur les rimmels
Qu’elle laisse transparaître le vrai
Derrière les masques hypocrites
Vivre n’a rien à voir avec
Ce qu’on en fait
Ce genre de désert
Où l’humain est réduit
À avancer
Fantôme de lui-même
Que la pluie donc
Vienne nous laver de la souillure
Qu’elle liquéfie les avoirs
Noie et emporte les fortunes
Mal fondées
Vivre ne rime à rien
Dès lors que chaque heure
Chaque jour
Est vaine bataille pour se nourrir
Pour se vêtir et s’abriter
De la pluie
Justement
Qu’on aimerait voir tout emporter
De ces mauvais rêves fomentés
En des lieux d’un pouvoir usurpé
*
Les égarés
Les égarés hantent les rues
Ils voient bien le gouffre ouvert sous leurs pieds
Mais rien ne les empêche de s’y précipiter
Les égarés voient la gueule béante de l’ogre
Mais ils n’en retiennent que les lèvres aguicheuses
Qui s’avancent pour un baiser diabolique
Les égarés
Les égarés n’entendent jamais le fond du discours
Ils n’en attendent d’ailleurs pas la fin
Pour en tirer ce qui va dans le sens de leurs désirs
Désirs de vengeance de préférence
Les égarés finissent par en vouloir
À qui refuse d’emprunter leur chemin
Au prétexte de lumières bien plus luisantes
Là où tout le monde ne va pas
Ils en veulent à qui a vu venir
Le monstre hideux derrière la main tendue
Les égarés sont d’autant plus nombreux
Que tout est fait pour entretenir la confusion
Pour brouiller les pistes
Et alimenter la fumée
Propre à tous les égarements
*
Or, bien sûr que parfois je m’égare, moi aussi, j’écris, je remplis ce tonneau des Danaïdes, inutile et prétentieux. Car c’est toujours prétentieux de prétendre accéder à l’art. On ne naît pas artiste, on ne cesse de le devenir.
Dans le silence de nos provinces soumises à de petits potentats locaux qui lorgnent sur Paris en aiguisant leurs dents pour mieux rayer les planchers de la bienveillance des plus grands qu’eux, écrire n’a pas beaucoup de sens.
Ecrire encore et toujours en zone mortuaire, c’est passer sa vie à créer une oeuvre posthume qui se perdra, à coup sûrs, dans le monde ignorant d’une culture qui soigne d’abord les ego et se soucie comme d’une guigne de qui ne sait faire autrement que créer.
Alors on crée, certes, mais il ne faut rien attendre des structures étatiques locales qui ne sont que chambres d’enregistrement des mégalomanies rampantes de petits édiles sans envergures, formatés si possible à Science Po, parfoiss à l’ENA.
Ceux-là regardent de haut quiconque tente de se faire entendre et n’est pas reconnu par le petit milieu parisien qui grenouille parmi les éditeurs, eux-mêmes coulés dans le même moule, soutenus par des financiers qui n’ont de culture que celle du porte-feuille.
Pauvre pays qui du haut en bas et de bas en haut est vérolé de cette culture où tout s’achète et se vend, où le mièvre et le stupide pérore à longueur de médias vendus.
Pauvre pays où il vaut mieux, quand on écrit loin de la sphère autorisée des mercantiles parisiens, se faire à l’idée que toute production littéraire (ou pas : qui peut savoir ce qui relève ou non de la littérature ?) n’est que vaine et vaniteuse tentative de s’extraire à la gangue terreuse de l’ignorance provinciale.
Xavier Lainé
16 septembre 2023
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