samedi 21 octobre 2023

Patience & langueur des temps 28

 



XL-La femme assise, Karl-Jean Longuet (1922)



Qu’importe après tout que l’écrit vous plaise ou pas

Mes doigts font ce qu’ils veulent sur le clavier de l’aube


J’écris


Pas un jour sans voir des larmes couler

Pas seulement sous l’effet des douleurs et des maux

Pas seulement


Pas un jour sans voir larmes couler

Trop de solitude trop

Trop de harcèlement trop

Pas seulement entre jeunes à l’école trop

Pas seulement harcèlement mais charge de travail trop


J’écris

Je crie

Trop

Qu’importe que ça vous plaise ou non

Les larmes ont des noms

Les corps rompus ont des noms

Trop de noms

Trop de maux qu’on leur met sur le dos

Déjà rompu le dos

Déjà ébranlé l’être


Trop


Alors j’écris

Que ça vous plaise ou non

J’écris

Je pose des mots sur les larmes et les douleurs

Sur trop de larmes et de douleurs

Trop de vies brisées

Sur le mur d’un monde

Qui nous laisse seuls

Face à sa violence

Face à ce cancer de solitude

Cette gangrène du seul contre tous

Et la culpabilité lorsque

Lorsque tu flanches sous le poids

Des larmes et de la douleur


Alors j’écris et je crie

Car rien d’autre à faire

Qu’importe que ça vous plaise ou non

Qu’importe que ces mots là puissent un jour

Se réfugier entre deux couvertures

Dans un objet qu’on appelle un livre

Ce que j’écris n’est pas de la posture

Ce que j’écris est un cris contre

Contre cette violence ordinaire 

Sous le masque d’une normalité anormale

Anormale et inhumaine


Car

Cette lutte de tous contre tous

Nous rend inhumains

Inhumains dans notre indifférence

Inhumains de ne rien dire

Rien écrire

Assis dans nos fauteuils 

À contempler la violence d’un monde immonde


Que m’importe que ça vous plaise ou non

J’écris

Je crie


*


J’écris contre

J’écris pour 

Aussi


Car dans le monde que j’appelle monde

Nul ne peut être exclu

Pour son sexe

Pour la couleur de sa peau

Pour sa philosophie

Pour sa religion

Pour ses choix sexuels

Pour ses engagements

Politiques ou syndicaux

Ou associatifs


Nul

Nul ne peut

Je suis pour un monde 

Qui cultive la liberté de penser

Celle d’agir

D’écrire


Qui cultive la paix

Qui sème le dialogue

Comme chemin à suivre 

Dès le plus jeune âge


Là est mon monde

Je sais écrire pour celui-ci


Mais comment avancer vers ce monde rêvé

Si je n’écris rien du naufrage du nôtre

Si je ne dénonce jamais ce qui doit l’être

Si je n’oeuvre pas à déterminer la nature

Celle qui depuis toujours se termine

En des camps d’abominations

Des geôles de souffrances

Des guerres fratricides


*


Je m’en vais lisant et relisant Cervantes

Je puise en ces milliers de pages lues le pouvoir des mots


Je n’écris pas pour briller

Je n’écris pas pour caresser dans le sens du poil

Qui refuse de se lever et lutter


Mes mots 

Q’ils vous déplaisent

Laissez les donc où ils sont

Ils ne sont pas pour vous

Ils ne cherchent pas l’édition ou la gloire

Devant un parterre de bourgeois écoutant ma parole comme celle d’évangile


Je vais avec Cervantes

Peut-être un peu Don Quichotte à ma manière

Je me bats contre les moulins qui parlent

Qui parlent

Qui parlent pour ne rien dire


Mes mots se font glaives pour trancher dans le vif 

Les noeuds d’une forme totalitaire qui nous étouffe


Je laisse la parole au maître : 

« Ne te lance pas si haut, respecte les vies d’autrui : en ce qui ne va ni vient, passer au large est sagesse. A ceux qui font les plaisants on rabattra le caquet. Épuise-toi les pupilles à conquérir juste gloire. Qui imprime des sottises, c’est à rente perpétuelle.

Dis-toi bien que c’est folie, lorsque le toit est de verre, de prendre des pierres en main pour les lancer au voisin. Laisse que l’homme de sens, dans les oeuvres qu’il compose, marche avec des pieds de plomb. Le barbouilleur qui publie pour distraire les donzelles chevauche des coquecigrues. »

Miguel Cervantes, Don Quichotte



Xavier Lainé

28 septembre 2023


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