dimanche 29 octobre 2023

Conjurer l’horreur 6

 




On aurait pu croire que

Mais c’est erreur

De croire que


Les choses sont parfois écrites

Pour conjurer les sortilèges

Évacuer les angoisses et les peines


On pourrait croire que

Mais c’est une erreur

De croire que


J’écris certes et je décris

Je crie aussi au scandale

Du silence et des complicités


On pourrait croire que

Mais c’est une erreur

De croire que


Tout au fond de mes nuits

Tout au cours de mes jours

Ce qui domine n’a rien à voir


Avec ce qu’on pourrait croire

C’est une erreur 

De croire que


Aucune pensée morbide

Juste une saine et rassurante

Colère justifiée

Il me semble

Justifiée


Quoi la colère

N’aurait pas droit de cité

Sur la page d’un poème


Quoi cette censure

Imposer de parler d’autre chose

Quand l’injustice

Vous claque à la gueule


Mais au fond


Ce serait erreur de croire que

Ce serait complaisance pour le morbide

Non


NON


Mes rêves sont peuplés de beauté

Mes rêves défilent jours et nuits

Qui bâtissent et prospèrent

Dans un monde bien différent 


Mes rêves franchissent tous les parapets

Des convenances établies

Ils sont peuplés d’infinie tendresse

D’amours qui savent ne point s’éteindre

Mais s’étreindre toujours


Mes rêves se débarrassent

De tous les fauteurs de guerre et de misère

Mes rêves ressuscitent les humains défaits

Oubliés dans les fosses communes

D’une histoire écrite avec leur sang


Ne croyez rien de ce que vous voyez

Apprenez donc à regarder derrière les mots

Dénonciation des faits ne vaut pas description

Du tragique qui s’étale sous nos yeux 


Car si poème se tait

Les tyrans s’en frottent les mains

Qui s’appliquent depuis toujours

À effacer les traces hideuses

Des crimes qu’ils ont commis


*


« Nuit et brouillard »

Si souvent chanté

Qui se termine ainsi


« On me dit à présent que ces mots n’ont plus court

Qu’il vaut mieux ne chanter que chansons d’amour

Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire

Et qu’il ne sert à rien de prendre une guitare »


Si souvent chanté que les mots viennent de mémoire

Mémoire défaite pour combien d’entre nous

Qui dorment paisiblement

Tandis que sang et larmes coulent

Juste devant nos portes


Je vous assure que pourtant

Les mots d’amour ne s’effacent pas

Ils seraient simplement plus sereins

Si

Ils pourraient s’exprimer si


Mais


MAIS


C’est ce « mais » 

Qui chaque jour

Pose un bémol de plus

Sur la partition d’un bonheur

Qui aimerait pouvoir vivre

Au grand jour


*


Ce qui n’exclue pas ces moments là

Frêles instants où le bonheur montre son nez

Mais sans doute est-ce lié aux années

L’instant est éphémère

Il disparaît sitôt entrevu

Emporté par la vague 

D’un monde où vivre

Demeure une question



Xavier Lainé

6 octobre 2023


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