On aurait pu croire que
Mais c’est erreur
De croire que
Les choses sont parfois écrites
Pour conjurer les sortilèges
Évacuer les angoisses et les peines
On pourrait croire que
Mais c’est une erreur
De croire que
J’écris certes et je décris
Je crie aussi au scandale
Du silence et des complicités
On pourrait croire que
Mais c’est une erreur
De croire que
Tout au fond de mes nuits
Tout au cours de mes jours
Ce qui domine n’a rien à voir
Avec ce qu’on pourrait croire
C’est une erreur
De croire que
Aucune pensée morbide
Juste une saine et rassurante
Colère justifiée
Il me semble
Justifiée
Quoi la colère
N’aurait pas droit de cité
Sur la page d’un poème
Quoi cette censure
Imposer de parler d’autre chose
Quand l’injustice
Vous claque à la gueule
Mais au fond
Ce serait erreur de croire que
Ce serait complaisance pour le morbide
Non
NON
Mes rêves sont peuplés de beauté
Mes rêves défilent jours et nuits
Qui bâtissent et prospèrent
Dans un monde bien différent
Mes rêves franchissent tous les parapets
Des convenances établies
Ils sont peuplés d’infinie tendresse
D’amours qui savent ne point s’éteindre
Mais s’étreindre toujours
Mes rêves se débarrassent
De tous les fauteurs de guerre et de misère
Mes rêves ressuscitent les humains défaits
Oubliés dans les fosses communes
D’une histoire écrite avec leur sang
Ne croyez rien de ce que vous voyez
Apprenez donc à regarder derrière les mots
Dénonciation des faits ne vaut pas description
Du tragique qui s’étale sous nos yeux
Car si poème se tait
Les tyrans s’en frottent les mains
Qui s’appliquent depuis toujours
À effacer les traces hideuses
Des crimes qu’ils ont commis
*
« Nuit et brouillard »
Si souvent chanté
Qui se termine ainsi
« On me dit à présent que ces mots n’ont plus court
Qu’il vaut mieux ne chanter que chansons d’amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire
Et qu’il ne sert à rien de prendre une guitare »
Si souvent chanté que les mots viennent de mémoire
Mémoire défaite pour combien d’entre nous
Qui dorment paisiblement
Tandis que sang et larmes coulent
Juste devant nos portes
Je vous assure que pourtant
Les mots d’amour ne s’effacent pas
Ils seraient simplement plus sereins
Si
Ils pourraient s’exprimer si
Mais
MAIS
C’est ce « mais »
Qui chaque jour
Pose un bémol de plus
Sur la partition d’un bonheur
Qui aimerait pouvoir vivre
Au grand jour
*
Ce qui n’exclue pas ces moments là
Frêles instants où le bonheur montre son nez
Mais sans doute est-ce lié aux années
L’instant est éphémère
Il disparaît sitôt entrevu
Emporté par la vague
D’un monde où vivre
Demeure une question
Xavier Lainé
6 octobre 2023
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