mardi 10 octobre 2023

Patience & langueur des temps 17

 



XL-La femme assise, Karl-Jean Longuet (1922)



Bien sur je pourrais me battre

Aller avec mes pages à la main

Frapper aux portes d’éditeurs inconnus

Tenter de les persuader que ce qui est là

Contenu sur ces feuillets est une perle rare

Mais ce serait sans conviction


J’aurais dû être parmi vous

Amis qui depuis si longtemps acceptez 

Republier dans vos pages

Mes mots creusés dans l’incertitude

Parfois dans le désespoir de vivre


Me voici tenu de renoncer

Amis

À partager avec vous ces précieux moments

Où l’imaginaire nous fait

Ne serait-ce qu’un instant

Écrivain


Je me sens si souvent

Écrit…vain

Sans vanité aucune

Ce que mes doigts tissent 

Dans le blanc de la page 

A si peu d’importance

Que la rage me prend parfois

D’en arrêter le cours


Mais voilà que cette rage déborde

Qu’au lieu de s’écouler sur un stade

Dans l’intensité d’un effort musculaire absurde

Elle revient encore et encore à la page

Même si c’est un silence pesant

Qui l’accueille


Écrire 

Écrire encore et toujours

Ne voir que refermant les mots 

Trouver refuge entre deux couvertures

Pour les réchauffer de la froidure du doute


Me voilà cloué au sol 

Dans mon bureau envahi d’écrits

Que ma prose aux prétentions poétiques

Jamais ne saurait égaler


Celui écrit trempe le plus souvent

Sa plume à l’encre sympathique

D’une solitude absolue


Je vis dans un désert de la pensée et de l’action

Ici

Il n’est toujours bon bec que d’un ailleurs

On se contente de répéter ce que d’autres ont pensé et écrit

On voue un culte à ces « grands » écrivains

Qui ont su se tailler un chemin 

Dans la jungle de la culture bourgeoise


Ici on vous fait vite comprendre

Qu’avoir la prétention de penser 

Comme celle d’écrire ce que vous pensez

N’est digne que d’une condescendance 

Sans même la compassion


On est très vite paria 

En petit pays aux ruelles étroites

Où les pensées s’écoulent

Au caniveau des médias dominants


Je vis ici

M’y sent cloué

Trop vieux pour secouer 

L’immobilisme d’une ville sans qualité

Où une fois par an

Les « professionnels » de l’écriture

Viennent faire leur rentrée 

Puis s’en vont

Laissant les papiers gras

Et l’illusion éphémère

D’un possible 


Ma ville est une prison à ciel ouvert

On vous y montre le ciel

Mais c’est pour mieux vous en interdire la vision

C’est un lieu où

Sauf à s’agiter pour faire « carnet d’adresse »

On peut crever en silence

Dans l’indifférence la plus notable

À défaut d’en avoir été un


Il ne me reste aujourd’hui 

Qu’à laisser ma rage injuste

Affubler cette vie

Cette ville

De tous les noms d’oiseaux

À défaut de savoir y vivre sereinement



Xavier Lainé

17 septembre 2023


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