dimanche 18 décembre 2022

Poéthique (une déambulation) 2

 



Photographie : Xavier Lainé - Le poème déchiré - 2012


Dans le vif du sujet


Au début était la seconde qui elle-même pouvait encore être divisée.

Puis vinrent les minutes qui signifièrent le commencement des notes prises et couchées sur le papier du temps.

L’heure s’en vint qui s’égrenèrent en semaines plus ou moins maussades.

Le mois s’imposa avec arrogance.

Les mots jonglaient avec la nuit.

La nuit étendait son domaine sur les esprits égarés.

Je demeurait silencieux en mon antre.

Les pages lues suivaient leur chemin au coeur de mes pensées.

Je ne savais vers où diriger mes doigts sur le clavier de mes émotions souveraines.


Ce que je sais c’est que vous étiez là, attentifs à ce que mes lèvres allaient dire, aux mouvements qu’elles allaient vous inspirer, aux historiettes qu’elles allaient inventer pour vous épauler dans votre concentration.

C’est étrange d’avoir des lèvres qui disent et de ne pas supporter de s’entendre parler.

Toujours je descend cette pente : je n’ai rien à vous apprendre que vous ne sachiez déjà et ne détiens au fond de mon esprit aucune vérité établie.

Je ne suis que caisse de résonance d’un savoir qui circule.

Chacun avec sa vie en dépose un fragment qui ne fait pas toujours sens immédiat.


Je vais à l’envers du temps, étonné de la confiance que vous me faites.

Je m’avance vers un crépuscule.

Mes doigts écrivent encore des pages sans prétention.

Je me pose au revers d’un monde que j’exècre.

Je n’ai rien à voir ni à faire parmi les prétentieux qui se filment et profèrent leurs vérités trop souvent infondées.

Au terme de soixante années de vains combats, je ne peux que constater que l’héritage laissé à mes enfants n’a rien de glorieux.

Ce monde ne me ressemble pas.


Alors je me penche sur la terre.

Les herbes sont blanches de givre.

Un rayon de soleil les effleure.

Il en jaillit aussitôt des fumerolles de brume qui se diluent sous mes yeux dans les fragiles teintes de fin d’automne.


Qu’avons-nous fait de nos prétendues intelligences pour accepter la fin de ces magies vitales, en laisser, par quelque immondes désormais inhumains, programmer le grand désordre ?


(1er décembre 2022 — 1 — 6h30)


*


Les pins et le cèdre dans le parc voisin, jouent aux ombres chinoises dans le ciel nuageux.

Mon âme vogue en égale tristesse.

Que devient l’amour dans l’usure du temps ?

Blotti derrière mes mots, je guette, surpris, les bruits étouffés de la vie quotidienne qui reprend en cohortes de bouchons.

Il me faut lever le nez de la page avec regrets, engager la course contre la montre qui fait que vingt quatre heures ne sont jamais suffisantes à éponger ma soif.


(1er décembre 2022 — 2 — 7h40)


*


« P… M’offre deux gâteaux à prendre dans les douze jours, pour mon anniversaire », dit-elle l’oeil rivé de gourmandise sur l’écran de son téléphone.

«  Ha ! Et A… m’offre une tarte à aller chercher aujourd’hui… J’irai dans la matinée ! »

Lui : « Feraient mieux de tout faire payer moins cher tout le temps ! » (Mais sa voix intérieure dit autre chose : « Donc tu vas prendre la voiture, dépenser de l’essence pour aller chercher la tarte gratuite offerte par A… !)


Consumérisme inconscient quand tu nous tient !


(1er décembre 2022 — 3 — 8h39)


*


À pied d’oeuvre.

Attendre que dans un grincement la porte s’ouvre, sur le défilé des douleurs.

Le feu dans l’âtre pour donner un parfum d’humanité à la souffrance des vivants.

Le journée ne fait pas que commencer : elle poursuit sa route.


(1er décembre 2022 — 4 — 9h01)


*


Je lisais dans tes yeux clair toute la profondeur de la douceur féminine.

Ton corps disait autre chose, une autre histoire, toute tissée de douleurs.

Mes mains tentaient de t’offrir un impensable accord.

Je m’étonnais de ne pas voir passer le temps.

Il ne m’est resté que ton regard.

J’aurais voulu ouvrir mes bras où tu aurais pu te déposer, pour un fugitif instant suspendu entre nos deux êtres.


La suite est sans suite.

Étrange jeu de la mémoire qui me joue des tours.

D’un côté la tendre profondeur de tes yeux de cristal.

Puis après, le vide, ou la somptueuse indifférence.


Ainsi va notre humanité qu’il faille se satisfaire d’éphémères instants de grâce pour ne pas chanceler au-dessus du vide.


(1er décembre 2022 — 5 — 14h43)



Xavier Lainé


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