mardi 20 février 2024

Les années passent ! 28

 




Faut-il seulement se poser la question du poème

Ou laisser errer les doigts sur le clavier où les mots s’agencent

En suivre les entrelacs au coeur même d’une vie

Parfois vie gâchée d’attendre quelque chose qui ne saurait venir

Puisque chacun est là

Dans cette attente jamais assouvie


Faut-il seulement se dire « poète »

Se prétendre écrivain 

Attendre vaniteusement que les mots contribuent à petit sauvetage

Se sauver seul par la grâce des mots

Trouver autour de soi 

Convaincu de détenir des clefs qui ne nous appartiennent pas


Faut-il seulement se poser la question de la littérature

De la position à prendre au coeur de cette chose

Qui ne semble pas toucher plus que ça

Le commun qui souffre et se tait

Puisque la parole ne lui est guère donnée

Sinon pour la ridiculiser

Comme parole sans importance aux yeux des bons bourgeois

Qui font et défont les célébrités

Croquent de la littérature comme ils boufferaient des sardines


Faut-il se poser la question de la place à tenir

Lorsque les mots s’agitent au bocal cérébral

Ne demandent qu’à jaillir comme lave

Dans un monde qui se méfie des volcans en colère


Il a peut-être raison

Le monde

Ou du moins celui-ci

Assujetti à des normes de convenances

Convenances de classe et de courtoisie en son sein


Il a peut-être raison ce monde là

De se méfier de ce qui bout sous les voûtes crâniennes

De ce qui ne demande qu’à exploser comme vif argent

Dans les matins délicieux où se prélassent les nantis

Nantis provisoires qui s’imaginent pouvoir durer


Ils pourraient durer certes si

Si nous posant le problème du poème

De son existence et de ce qu’il doit et pourrait être

Nous ne cessons de tourner autour de nous-mêmes

Laissant la question du pouvoir

Délaissant la question des dominations

Dans le silence pesant de nos ignorances


Car tandis que je tourne autour du poème

De ce qui en serait ou pas

D’autres ici et là

Sur les trottoirs d’indifférence

Dans les eaux glacées d’un hiver sans compassion

Crèvent sans un mot

Leur cri invisibilisé par des choix médiatiques


Car on préfère toujours une poète(étesse) nue

Délirant les mots crus de ses menstruations

Aux mots volcans qui viendraient bousculer

L’équilibre pesant des institutions normatives


Poèmes ou pas j’écris

Je crache mon venin dans mon infime part de cet univers

Dont nul ne saurait détenir le moindre sésame

Et j’attends


J’attends le réveil d’un volcan

Dont la lave puissante serait faite de la diversité de nos maux

De l’exubérance de nos mots

Jetés au pot commun de notre humanité

Pour en faire socle rejetant tous dogmes

Jetant les bases d’un commun éradiquant toute forme de pauvreté

Des mots qui soient mains tendues

Non pour la gloire d’un seul auto-proclamé « poète »

Mais pour la sauvegarde de la vie de tous


Je suis de ce sang là

Mes mots s’agglutinent au secret d’une nuit qui s’étend

Dès lors que nous oublions l’oeuvre commune

Qui nous lie à notre histoire humaine

Qui n’a pas toujours été celle de « civilisations »

Basées sur la domination minoritaire des plus forts


Mes mots s’écrivent dans le sang des bâtisseurs de pyramides

Dans celui des constructeurs de temples et de cathédrales

À la gloire de masques divins 

Posés sur le visage suffisant et bouffi de ceux qui tirent les ficelles

Ventres ronds de la nourriture qui manque à l’immense majorité


Que m’importe donc que les poètes fassent ou non leur « printemps »

De qui tiendrait le gouvernail s’il ne s’agit que de petites gloires juxtaposées

Dans le cynisme où le monde se précipite

Les yeux bandés

Hors de toute appréhension poétique de la beauté

D’une beauté toujours assombrie par la souffrance des laissés pour tous comptes



Xavier Lainé

  28 janvier 2024


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