Faut-il seulement se poser la question du poème
Ou laisser errer les doigts sur le clavier où les mots s’agencent
En suivre les entrelacs au coeur même d’une vie
Parfois vie gâchée d’attendre quelque chose qui ne saurait venir
Puisque chacun est là
Dans cette attente jamais assouvie
Faut-il seulement se dire « poète »
Se prétendre écrivain
Attendre vaniteusement que les mots contribuent à petit sauvetage
Se sauver seul par la grâce des mots
Trouver autour de soi
Convaincu de détenir des clefs qui ne nous appartiennent pas
Faut-il seulement se poser la question de la littérature
De la position à prendre au coeur de cette chose
Qui ne semble pas toucher plus que ça
Le commun qui souffre et se tait
Puisque la parole ne lui est guère donnée
Sinon pour la ridiculiser
Comme parole sans importance aux yeux des bons bourgeois
Qui font et défont les célébrités
Croquent de la littérature comme ils boufferaient des sardines
Faut-il se poser la question de la place à tenir
Lorsque les mots s’agitent au bocal cérébral
Ne demandent qu’à jaillir comme lave
Dans un monde qui se méfie des volcans en colère
Il a peut-être raison
Le monde
Ou du moins celui-ci
Assujetti à des normes de convenances
Convenances de classe et de courtoisie en son sein
Il a peut-être raison ce monde là
De se méfier de ce qui bout sous les voûtes crâniennes
De ce qui ne demande qu’à exploser comme vif argent
Dans les matins délicieux où se prélassent les nantis
Nantis provisoires qui s’imaginent pouvoir durer
Ils pourraient durer certes si
Si nous posant le problème du poème
De son existence et de ce qu’il doit et pourrait être
Nous ne cessons de tourner autour de nous-mêmes
Laissant la question du pouvoir
Délaissant la question des dominations
Dans le silence pesant de nos ignorances
Car tandis que je tourne autour du poème
De ce qui en serait ou pas
D’autres ici et là
Sur les trottoirs d’indifférence
Dans les eaux glacées d’un hiver sans compassion
Crèvent sans un mot
Leur cri invisibilisé par des choix médiatiques
Car on préfère toujours une poète(étesse) nue
Délirant les mots crus de ses menstruations
Aux mots volcans qui viendraient bousculer
L’équilibre pesant des institutions normatives
Poèmes ou pas j’écris
Je crache mon venin dans mon infime part de cet univers
Dont nul ne saurait détenir le moindre sésame
Et j’attends
J’attends le réveil d’un volcan
Dont la lave puissante serait faite de la diversité de nos maux
De l’exubérance de nos mots
Jetés au pot commun de notre humanité
Pour en faire socle rejetant tous dogmes
Jetant les bases d’un commun éradiquant toute forme de pauvreté
Des mots qui soient mains tendues
Non pour la gloire d’un seul auto-proclamé « poète »
Mais pour la sauvegarde de la vie de tous
Je suis de ce sang là
Mes mots s’agglutinent au secret d’une nuit qui s’étend
Dès lors que nous oublions l’oeuvre commune
Qui nous lie à notre histoire humaine
Qui n’a pas toujours été celle de « civilisations »
Basées sur la domination minoritaire des plus forts
Mes mots s’écrivent dans le sang des bâtisseurs de pyramides
Dans celui des constructeurs de temples et de cathédrales
À la gloire de masques divins
Posés sur le visage suffisant et bouffi de ceux qui tirent les ficelles
Ventres ronds de la nourriture qui manque à l’immense majorité
Que m’importe donc que les poètes fassent ou non leur « printemps »
De qui tiendrait le gouvernail s’il ne s’agit que de petites gloires juxtaposées
Dans le cynisme où le monde se précipite
Les yeux bandés
Hors de toute appréhension poétique de la beauté
D’une beauté toujours assombrie par la souffrance des laissés pour tous comptes
Xavier Lainé
28 janvier 2024
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