mercredi 18 janvier 2023

Poéthique (une déambulation) 31

 



Photographie : Xavier Lainé - Le poème déchiré - 2012


Faudra bien quitter la rive

Quitter l’an qui passe 

Aborder l’an qui vient

Sans rien saborder à nos chances de vivre


Faudra bien aller de l’avant

Puisque le temps ferme les portes derrière

Faudra bien 

Il n’y a que les yeux et le coeur

Pour regretter ce qui fut

Sans savoir ce qui vient


Faudra bien quitter ce monde un jour

Faudra bien mais le plus tard possible

Même si parfois observant ce qu’il devient

On aimerait ne pas trop s’attarder

On se dit au fond de soi

Qu’il serait toujours possible

D’en tirer un autre jus

Que le brouet immonde servi

Par quelques ignobles qui souillent de leur présence

L’idée qu’on se fait de l’humain


On voudrait lancer le grappin

Pour ralentir la course

Prendre le temps de construire

Tandis qu’eux ne cessent

De démolir et de salir


On voudrait juste pouvoir 

Ouvrir les yeux sur des lendemains qui chantent

Quand depuis des années 

C’est la même ritournelle

Qui nous chavire le coeur

Devant la complainte des misères


On voudrait juste

Mais à l’heure de pousser la porte 

On se prend à la méfiance

Tant de fois on a mangé notre chapeau

Qu’on n’ose imaginer

Quelque chose de plus gai

Où s’étire le chapelet

Des tristes nouvelles répandues


(31 décembre 2022 — 1 — 14h42)


*


Il reste si peu de l’année qui fut.

Nous avons traversé tant de murs.

Nous avons vu se dresser tant de frontières.

Masqués, bâillonnés, interdits d’étreinte et de baisers ; interdits de vivre, sommés de marcher au pas imposé, au nom d’un délire de sécurité sans limite, c’est la vie elle-même qui est jetée aux orties.

Trois années après le grand choc, la pandémie de bêtise poursuit sa route.

On se prendrait presque à vouloir rester là où nous sommes.


Mais peut-être l’ignoble prenant la parole en aura ainsi décidé.

Voilà ce que c’est de ne l’avoir pas écouté : peut-être a-t-il annoncé que nous en resterions à l’année qui se termine ; que nous pourrions ainsi bénéficier de vingt quatre mois de salaire supplémentaire…

La plaisanterie serait presque crédible tant nous avons traversé d’ordres et de contre-ordres à nous rendre fous.


Il reste si peu de l’année qui fut.

Qu’on rêverait à une suspension du temps.

En demandant le plus, nous obtiendrons peut-être le moins : au moins son ralentissement.

Ce serait oeuvre de salubrité publique que de ralentir.


(31 décembre 2022 — 2 — 23h40)


Xavier Lainé

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