vendredi 13 janvier 2023

Poéthique (une déambulation) 26

 



Photographie : Xavier Lainé - Le poème déchiré - 2012




Que reste-t-il de l’enfance une fois les rêves de l’enfance étouffés ?


L’un se jette dans mes bras, caresse ma barbe négligée.

Il y a dans ses yeux l’émerveillement d’un être imaginaire passé dans le monde réel.

Les autres demeurent, l’oeil rivés sur les écrans d’un monde virtuel qui tue leur enfance.


Que reste-t-il de l’enfance une fois les rêves de l’enfance étouffés ?


Je lis.

Je lis dans tes yeux de près d’un siècle tous les regrets.

Dansent dans ton regard nos Noëls d’autrefois.

Un autrefois pas si lointain où le mot fête voulait encore dire moment de tendres et douces effusions humaines.

On se prenait dans les bras, on riait à gorge déployée.

Le bonheur n’était pas qu’un rêve évanoui.

Il était à portée de nos actes, non réduits à la sphère marchande.

On se satisfaisait de peu.

De ce moment passé ensemble sans préméditation.

On aurait parcouru la terre entière pour rendre ce moment possible.


Mesurerons-nous un jour tout ce qui a été brisé en si peu d’années ?

Mesurerons-nous un jour toute la nostalgie dans nos yeux vieillissants d’un temps qui ne faisait pas la queue à la porte des « grandes surfaces » ?

Mesurerons-nous un jour tout ce qui s’est brisé au coeur même de notre humanité au nom d’un commerce sans limite ?


Verrons-nous un jour dans le regard de nos petits-enfants, dans celui de nos parents, autre chose que cette fracture douloureuse ?


(26 décembre 2022 — 1 — 9h17)


*


Porté ou emporté, c’est le lendemain que l’esprit s’interroge.

Il reste si peu de chose des légèretés du passé !

Comme si une lame de fond nous avait engloutis et avait emporté ce qui restait en nous de l’enfance.

La fête réduite aux consommations téléguidées.

De quoi aurions-nous besoin sinon de ces simples instants de tendresse et d’affection dont nous ne trouvons plus le mode d’emploi.

Un geste d’amour ne se revend pas sur eBay.

C’est pourtant lui qui donne toute sa substance à ce qu’ils osent nommer « fêtes ».

L’estomac ballonné de « trop », on se prend à rêver du peu qu’il nous faudrait pour avancer léger vers la rupture d’un an.


Ouvrir une part de rêverie le 25, entrer de plein pied dans sa mise en acte le 1er.


… ET S’Y TENIR, sans rien concéder aux fossoyeurs du siècle.


(26 décembre 2022 — 2 — 12h06)


*


Tourner la page de la fête et revenir au pragmatisme contemporain : pour consommer il faut gagner.

À défaut de gagner d’avance, il faut trouver moyen de compenser ce qui est déjà parti.

En quelques années, ils ont réussi ce tour de force de nous faire passer d’une vie à gagner, à une vie à crédit.

Et, tandis que pour une minorité absolue de nantis c’est toujours plus, pour les autres, ne sont que turbulences d’une vie où on se demande chaque jour quel va être celui du grand basculement dans le vide absolu des dettes incompressibles et impossibles à rembourser.

La mort pour ceux qui ne s’en sortent pas serait-elle un solde de tout compte à l’avantage des débiteurs qui pourront encore s’enrichir sur les maigres héritages ?


(26 décembre 2022 — 3 — 14h03)


Xavier Lainé


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