samedi 28 janvier 2023

Α-σώματος/In-corporel ? 10

 



XL-In-corporel-Fusain/2001


Les jours, il n’y a pas si longtemps, avaient quelques repères immuables.

Le passage du facteur, par exemple.

On savait, et si besoin on le guettait.

On sortait toujours à la même heure avec la clef de la boite aux lettres.

On ouvrait la petite porte le coeur battant dans l’espoir d’une lettre.

Une lettre !

Inexorablement, il n’y eut plus que factures et publicités.

Ecrire ? 

Diable !

Mais vous êtes ringard, à l’heure du courriel (mail pour les anglicistes) et du SMS auto-corrigé en langage abscons.


Les jours avaient leur rythme.

Mais c’était avant.

Avant que des « experts » ne passent par là et surveillent de près la « rentabilité » de l’entreprise.

C’est un pognon de dingue que coûte un facteur portant une lettre d’amour ou d’amitié !

Alors on en restreint lentement la présence.

Le rythme du jour s’estompe sous les caprices des « gestionnaires ».

Le facteur passe d’abord quand il peut dans une tournée d’enfer.

Puis la tournée d’enfer vire à l’enfer en bonne et due forme.

Plus moyen de savoir quand.

On finit par ouvrir la boite au petit bonheur la chance.

Parfois c’est étonnant, le nombre de courriers qui tombent nuitamment.

Comme si la poste souffrait d’un symptôme de rétention des lettres, sous l’empire des chiffres, et qu’elle n’en relâchait le flot que sous la pression de mystérieux sphincters.


Les jours n’ont plus de rythme.

Les lettres n’ont plus de timbres.

La vie n’a plus de lien.

La boite désertée, celle de ton ordinateur croule sous les « pourriels ».

Ta vie maniant la plume n’a plus de sens.

Il te faut accepter la rentabilité comme seule issue d’un monde sans âme.


Les jours des solitaires qui écrivaient encore avec leur coeur, les âmes perdues au fin fond de leurs campagnes n’existent plus.

Sauf lorsqu’elles finissent par déserter d’un monde dépourvu de son humanité.


Le rythme des jours fut.

Il n’est plus qu’un vague souvenir.


(10 janvier 2023 — 1 — 12h21)


Xavier Lainé


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