jeudi 29 février 2024

Debout au milieu du gué 5

 




« Israël est le matador, bien habillé, respectable, qui plante ses banderilles, et la population de Gaza est le taureau. En Occident, on contemple l’agonie de la bête. Certains s’indignent même de la rage du taureau ! » Rami Abou Jamous, Gazaoui et reporter de sa propre tragédie, Libération, samedi 3 et dimanche 4 février 2024


Sauf que les aficionados

Ne se contentent pas de contempler l’agonie du taureau

Il paraît même que la règle du jeu serait

Que la colère du taureau favorise sa grâce

Ce que ne fait pas l’Occident

Qui regarde l’agonie mais ne dit rien


Nous en sommes là en ce monde fascisant

Qu’un être humain n’en égale pas un autre

Que certains peuvent être voués à la mort

Sans que ça émeuve qui que ce soit

Dans le monde prétendu civilisé


Je ne suis pas de ceux que l’agonie du taureau

Ou même sa grâce puisse réjouir

Un vivant qui plie sous les coups

En égale un autre 

Qu’il soit humain ou pas


Or voici que reviennent les temps bruns

Où l’inégalité est la règle

Certains devant être punis pour des crimes qu’ils n’ont pas commis

D’autres sont jetés en prison pour des faits dont ils ne sont que suspectés

D’autres encore le sont pour avoir osé s’opposer

On meurt en ce monde pour avoir soif de vivre debout



Xavier Lainé

5 février 2024


mercredi 28 février 2024

Debout au milieu du gué 4

 




Un soleil froid traverse les vitres de poussière

Un instant j’ai cru possible de vivre

D’aller au-delà du possible 

Explorer des continents de mots

Jusqu’ici inexploré


C’est dimanche

Certains attendent ce jour là

Comme un jour de repos

D’autres ne cessent de soupirer

Devant l’ampleur des tâches

Laissées en jachère

Qu’il faut bien accomplir

Avant de reprendre

Le chemin du labeur


Ici ou là on se lamente

On geint au premier accroc

Que le monde parte à la dérive

Ne change rien

On est penché sur soi-même

Et on tourne


*


Vingt sept mille hommes femmes et enfants

Sont morts sous les décombres de Gaza

C’est un nombre incertain

Puisqu’aucun témoin n’est accepté

La vie s’écrit en larmes de sang


*


Vingt sept mille hommes femmes et enfants

Sont morts sous les bombes

Et les poètes s’inquiètent qu’un apparatchik 

De droite extrême parraine leurs cérémonies


Vingt sept mille hommes femmes et enfants

Sont morts pris au piège de leurs soit-disant représentants

Et tant d’autres dont le nombre est inconnu

Sous les décombres et la poésie officielle  n’en dit mot


Vingt sept mille hommes femmes et enfants

Les regards vont ailleurs on s’affaire à ses petits mots

À ses petits soucis ses petits tracas de poètes

On montre du doigt le fasciste en service commandé

On ne regarde pas ce qui relève du fascisme dans nos indifférences

Dans nos choix d’écriture qui ne disent rien de l’état du monde


Car le fascisme commence là

Quand les voix des victimes deviennent inaudible

Que les mots se taisent comme linceuls posés

Sur les cadavres encore fumants


Le fascisme commence là

Lorsque toute parole contraire ne trouve plus havre

Où se déposer pour être lue et entendue

Lorsque toute forme d’opposition 

Est criminalisée car contraire aux intérêts des serviles


Que le monde de la poésie ne se préoccupe que de son entre-soi

En relève tout autant

Et tant pis si ma parole est honnie



Xavier Lainé

4 février 2024


mardi 27 février 2024

Debout au milieu du gué 3

 




Difficile de quitter ce chemin 

Où me précèdent tant d’illustres


J’y chemine avec Kundera

Que suis Germain Nouveau

Main dans la main avec Kayyâm


Un peu plus loin 

Joseph Kessel discute avec Le Goff

Tandis que Edgar Morin

Partage ses pensées avec Norman Doidge

Suivi de près par Jean-Didier Vincent


Faisant un détour

Je découvre Nathalie Heinich

En grande conversation avec Philippe Breton


Tandis que Matthieu Ricard m’invite à méditer

Mon attention erre dans les chemins creux

En compagnie de Locke et Marx


Étranges rencontres en vérité

Qui m’invitent à demeurer là

Dans cette pensée nomade

Qui ne cesse de repousser les limites 


Je suis de ces éternels errants

Qui ne savent marcher qu’un livre à la main

N’en suis pas pour autant plus savant

Car tant d’autres m’attendent en embuscade


*


Parfois mes compagnons du livre m’accompagnent par défaut

Ils sont là à me guetter dans la pénombre de mon bureau

Ils chuchotent entre eux

Soupèsent mon état mental et les errements de mon esprit

Entre deux pages ils me laissent rêveur


Je ferme les yeux

Retrouve pour un instant le sommeil abandonné

Ou plutôt un demi-sommeil peuplé de douces visites

Mes fées m’emportent par de-là les murs

M’invitent en leurs antres secrètes

Me bercent de leur infinie tendresse

Je dors sans dormir

Je savoure l’instant de cet envol

La légèreté est si rare en ce monde



Xavier Lainé

3 février 2024


lundi 26 février 2024

Debout au milieu du gué 2

 




Une journée blanche

Écriture effacée sous le poids

Des nécessités


Une journée blanche

Temps passé trop vite


Une journée blanche

Rien ne vient

Sous le poids des fatigues



Xavier Lainé

2 février 2024


dimanche 25 février 2024

Debout au milieu du gué 1

 





C’est l’heure

Celle où les bouches s’ouvrent

Où les plumes trempées dans l’encrier

Les doigts pleins d’encre

Tissent leurs mots et dénoncent


C’est une étrange pratique

La dénonciation

Elle permet à celui qui dénonce

De se refaire une morale

En disant après coups

Ce qu’il aurait pu combattre

Sur le moment


Mais sur le moment 

Ha la belle confusion

Semée de main de maître

Par pervers garanti cent pour cent au pouvoir

Pouvoir de décider en méconnaissance des choses

Pouvoir de vie et de mort sociale

Sans état d’âme ni remords


On peut toujours dénoncer après coup les forfaitures

Ceux qui furent blessés et délaissés

Stigmatisés et meurtris au plus intime de leur vie

Qui durent plier sous le joug ou se démettre sans filet

N’ont rien à pardonner

Leur métier fut souillé et leur âme assassinée

Mais le triste pouvoir est resté là

Droit dans ses bottes de pernicieuse suffisance


C’est l’heure où les bouches s’ouvrent

Les petits compromis et les accointances financières

Affleurent enfin et trahissent

Ce qui fut de honte et de mépris

Voisin dénonçant son voisin

Soupçon généralisé et mort sociale assurée


Les bouches peuvent toujours s’ouvrir

Qui hier se taisaient par peur d’y passer à leur tour

Pleutres citoyens qu’un minuscule virus poussaient à la délation

Pleutres responsables jetant l’opprobre sur gens honnêtes

Car c’est honnêteté que de ne pas tout avaler comme vérité

C’est honnêteté que de garder l’esprit libre et critique

Quand tout le monde marche au pas cadencé des soumissions


Les bouches s’ouvrent

Les plumes se trempent dans l’encrier

Les doigts pleins d’encre montrent les tâches indélébiles

Que je sois des morigénés d’hier m’ouvre les yeux

Sur cette hypocrisie qui domine le monde

Un monde que les contraintes d’hier me poussent à quitter

Pour ne surtout pas ressembler à ceux qui criaient 

Avec les fauves de la soumission

Au délit de complotisme 

Quand il s’agissait de réfléchir et de penser

Pour conserver au moins 

Un minimum de dignité



Xavier Lainé

1er février 2024