mercredi 3 août 2022

Comme le lierre 20

 




Avec quels yeux celui qui jusque là était interdit de spectacle regarde-t-il ces lieux ?

Ceux qui se pensent « être » tandis que les « riens » restent dehors, comment regardent-ils celui qui entre dans ce temple de « culture » pour la première fois ?

En quels rejets, derrière quelles frontières vivons-nous ?

Frontières invisibles dont la ligne de démarcation est fonction d’un niveau de revenu.

Il faut naître du bon côté de la barrière.

De l’autre, tu dois avoir la patience du lierre qui lentement mais surement ronge la barrière dressée de mains d’hommes.


Lorsque tu pénètres avec sésame dans ce monde dont tu ne pouvais jusque là qu’imaginer l’existence, c’est avec les yeux du nouveau-né.

Quelque chose se passe : tu es là, mais pas vraiment.

Tu sens les regards se poser sur ton visage pas tout à fait bien ordonné, sur ta tenue pas tout à fait bien mise.

Ce n’est pas vrai, les regards ne te voient pas mais c’est tout comme.

Tu te sens intrus dans un monde qui fonctionne sans toi depuis si longtemps.

Il faut du temps au lierre pour gagner l’ensemble du mur.

Car il se trouve toujours mains diligentes pour en éviter l’invasion.

Tu es ce rejet oublié et tu entres dans le temple d’une « culture » dont tu connais les mots de passe, mais qui était jusque là toujours dans un ailleurs improbable.

Tu n’imaginais pas y entrer, même au pigeonnier.

Tu regardes les musiciens.

La chanteuse te lance un regard, alors tu tournes la tête : est-ce bien à toi qu’elle a souri ?

Tu es tellement anachronique ici que tu doutes de cette complicité éphémère.


Xavier Lainé


20 juillet 2022


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